Le plan d'aménagement 
          
          La Ville d'Alger, dès 1931 avait fait établir par les 
          frères Danger son plan d'aménagement, d'embellissement 
          et d'extension, approuvé et déclaré d'utilité 
          publique conformément à la délibération 
          du 12 juin 1931.
          
          Il fut suivi de deux plans rectificatifs, en janvier 1932 et en avril 
          1932, établis par MM. Prost et Rotival.
          Il n'y avait plus qu'à mettre ces plans en application. Le Service 
          Municipal d'Urbanisme créé en 1930 en fut chargé.
          
          Les plans d'alignement résultant du plan d'aménagement 
          se succédèrent régulièrement. Toutefois 
          quelques directives trop onéreuses furent rapidement abandonnées, 
          tel le tunnel hélicoïdal qui devait joindre l'avenue Pasteur 
          aux Tagarins. 
          De même l'élargissement de la rue Michelet et celui de 
          la rue Sadi 
          Carnot qui auraient coûté des sommes astronomiques.
          
          Cette expérience prouva que la " remodélation " 
          d'une Ville, expression chère à l'urbaniste Agache, est 
          une opération pratiquement impossible et que l'urbanisme pratique 
          ne peut s'exercer que sur les terrains non bâtis.
          
          Néanmoins, la Ville par des plans d'alignement modérés, 
          réalise morceaux par morceaux, son plan d'aménagement. 
          L'élargissement des rues au fur et à mesure de leur construction 
          ou de leur reconstruction est obtenu sans bourse délier grâce 
          à l'article du règlement de Voirie qui permet aux constructeurs 
          de gagner de la hauteur en se reculant jusqu'à 6 m. de l'axe.
          
          Le plan d'aménagement d'Alger date maintenant de vingt ans. Comme 
          tous les plans d'aménagement, il doit être remanié 
          périodiquement sous peine de ne plus être à l'image 
          de la réalité mouvante qu'est une ville, surtout Alger, 
          ville en pleine croissance et en transformations perpétuelles.
          
          De toute façon il faut adapter le plan d'aménagement aux 
          nouvelles dispositions du Plan Régional. Il faut aussi adapter 
          le zoning à la poussée de la construction que nous étudierons 
          plus loin.
          
          Cette étude est en cours.
          
          La transformation du quartier de l'ancienne Préfecture -
          
          Cette belle opération d'urbanisme, qui était la clef de 
          voute du plan d'aménagement, a été poursuivie par 
          les différentes municipalités avec un remarquable esprit 
          de continuité.
          
          On sait qu'elle comportait quatre étapes :
          - 1° La construction d'immeubles de recasement pour les 18.000 habitants 
          du quartier.
          -2° Le dérasement du quartier de taudis qu'était devenue 
          l'ancienne ville barbaresque dans sa partie basse (12 hectares).
          - 3° L'établissement d'une voirie moderne. 
          - 4° La construction d'un quartier moderne.
          Ces 4 étapes ont démarré à peu près 
          simultanément, pour gagner du temps. Il y a eu ,toutefois, au 
          début, les inévitables réactions, qui ont freiné 
          pendant quatre années les expropriations pour cause
          d'insalubrité. Pendant ce temps, toutefois, la Régie Foncière 
          construisait les premiers immeubles de recasement qui furent bien accueillis. 
          On put ainsi commencer les démolitions, puis construire l'Avenue 
          centrale, dénommée depuis Avenue 
          du 8 Novembre, et l'on put alors mettre en vente les terrains 
          devenus disponibles.
          
          La guerre arriva, qui arrêta net cet élan. On reprit après 
          l'armistice, et les opérations se poursuivent aujourd'hui normalement, 
          c'est-à-dire suivant les possibilités d'emprunt de la 
          Régie Foncière.
          
          Un point noir subsistait cependant. On aurait pu croire que la construction 
          privée se serait précipitée sur les nouveaux terrains 
          bien exposés, bien urbanisés, qui vont constituer en somme 
          le plus beau quartier d'Alger. D'autant plus que la crise du logement 
          battait son plein, et que la Ville d'Alger cédait ces terrains 
          à un prix relativement bas : 10.000 francs le mètre carré, 
          alors que les terrains du Télemly 
          dépassent 25.000 francs. Or, pratiquement, un seul immeuble en 
          copropriété avait été construit en 1952. 
          Il semble que cette réticence des constructeurs provenait de 
          la présence de vieux immeubles encore non démolis, où 
          se loge toute une population hétéroclite dont le voisinage 
          inquiétait les futurs copropriétaires. Cet inconvénient 
          disparaîtra quand toutes les démolitions auront été 
          effectuées.
          
          Pour l'instant, le quartier se garnit de bâtiments administratifs 
          ou pseudo-administratifs - Hôtel du Trésor, Central P.T.T., 
          Cités de fonctionnaires, bâtiment pour l'E.G.A., bâtiment 
          de la CASIDA. Il est à peu près certain que la construction 
          privée suivra dans quelques années.
          
          Là aussi il y eut une âpre lutte contre le plan initial 
          établi par MM. Prost et Socard ; depuis que l'on construit, les 
          servitudes architecturales imposées par ce plan sont violemment 
          combattues. Plan et servitudes ont tenu bon jusqu'à présent.
          
          La transformation du quartier de l'Ancienne Préfecture est donc 
          une réussite. Elle avait cependant démarré avec 
          l'appréhension d'un risque grave : la Ville de Marseille avait 
          tenté une opération analogue au quartier de la Bourse, 
          et cette opération s'était traduite par un échec.
          
          Cette réussite d'Alger, pour la partie basse d'El-Djezaïr, 
          fait bien augurer d'une opération devenue nécessaire : 
          la transformation de la partie haute de la même ville barbaresque, 
          que nous appelons la Casbah.
          Opération devenue non seulement nécessaire, mais urgente, 
          en raison de la vitesse avec laquelle se détruisent par vétusté 
          le$ immeubles de la Ville haute.
          
          L'application du Plan Régional -
          
          Rappelons que dès 1932 la Ville d'Alger avait commencé 
          l'élaboration du Plan Régional, en utilisant l'équipe 
          Coquerel qui venait de terminer le plan d'aménagement. Lorsque 
          parut le décret de 1935 sur les Plans Régionaux, ce Service 
          passa, comme il était légal, à la Préfecture 
          d'Alger, où il fut repris par M. Coquerel d'abord, puis par MM. 
          Wattez et de Maisonseul.
          
          Un comité de direction fut institué, dont la cheville 
          ouvrière fut l'Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées 
          Pierre Renaud. MM. Prost, Rotival et Le Corbusier participèrent 
          à ses débuts.
          
          Ce plan, terminé et mis à l'enquête en 1949, n'est 
          pas encore approuvé ni déclaré d'utilité 
          publique. Il a été en effet impossible jusqu'à 
          présent de mettre d'accord les 18 communes qui en font l'objet. 
          Mais en ce qui concerne la Ville d'Alger, l'application en est commencée 
          par la voie des Plans d'alignement, qui seront suivis d'un remaniement 
          du Plan d'aménagement actuellement en préparation.
          
          C'est ainsi qu'est en cours de réalisation la Corniche des Hauts 
          d'Alger, destinée à doubler le Télemly, définitivement 
          perdu comme vue touristique et qui, ancienne servitude d'aqueduc suivant 
          fidèlement les méandres des ravins, est rectifiée 
          à grands frais au moyen de viaducs et de tunnels. La nouvelle 
          corniche, qui sera une voie de grande circulation, comportera des servitudes 
          de vue qui en feront la rivale des Corniches de Nice.
          
          La route des Tagarins remplacera le labyrinthe que présentaient 
          l'extrémité du Télemly et la route en épingle 
          à cheveux des 4 Canons. Elle permettra une entrée rapide 
          en plein coeur d'Alger aux automobiles en provenance d'El-Biar 
          et du Sahel.
          
          La voie J, bretelle intéressante entre le Télemly et la 
          Colonne Voirol, se borde déjà de hautes maisons, bien 
          avant sa construction.
          
          Citons enfin l'aménagement du 
          Ravin de la Femme Sauvage en voie de grande circulation, 
          par  couverture 
          de l'Oued Kniss, aménagement qui, réalisé 
          avec beaucoup de goût a fait de cette artère la plus belle 
          " entrée " d'Alger.
          
          Les travaux de chômage -
          
          De tous temps, de grands travaux d'urbanisme ont été exécutés 
          pour remédier au chômage. Péricles lança, 
          dit l'histoire, les chantiers de l'Acropole pour occuper les tailleurs 
          de pierre et les sculpteurs d'Athènes qui manquaient de travail 
          par suite d'une grave crise économique et sociale. Alger n'a 
          pas failli à la tradition.
          
          Dès 1935, un important chômage s'était révélé 
          dans la région algéroise, car la crise économique 
          qui battait son plein dans la Métropole en 1930 avait fini par 
          atteindre l'Algérie. Le Conseil Municipal organisa en chantier 
          de chômage le chantier de terrassement que l'on avait commencé 
          pour l'aménagement du Forum. Ce chantier terminé, il fallut 
          bien en commencer un autre, ce fut alors qu'on proposa de démolir 
          les fortifications de 1845 et d'aménager leur emplacement. Ce 
          qui fut fait. Le total des chômeurs employés s'éleva 
          jusqu'à 1.200.
          
          Ces chantiers durèrent de 1935 à 1939 avec des vicissitudes 
          diverses. Il y eut même des grèves Dans l'ensemble ils 
          donnèrent des résultats intéressants et leur rendement 
          fut bien meilleur que ce que l'on aurait pu supposer. Dans le nombre 
          des chômeurs étaient beaucoup d'employés de bureau, 
          qui n'avaient jamais manipulé qu'un porte-plume. Quand on leur 
          confia une pioche, leurs mains saignèrent tout d'abord. On les 
          mit à un travail plus doux et en quelques semaines, les callosités 
          obtenues étaient suffisantes pour leur permettre d'être 
          de bons terrassiers. Pour beaucoup, cette vie physique au grand air 
          fut le commencement de la santé.
          
          C'est par les chômeurs que furent créées la promenade 
          des 4 
          Canons, les stades de la Rampe Valée, le boulevard 
          Clémenceau, etc... et que la Ville fut dotée d'une promenade 
          circulaire de Tafourah à Bab-el-Oued, comme toutes les anciennes 
          villes fortifiées. Cette promenade qui devait être à 
          l'origine une suite de parcs fut malheureusement bouchée ultérieurement 
          par la construction des casernes de gardes mobiles qui en occupèrent 
          la plus belle partie.
          
          Un détachement de 900 hommes construisit l'assiette des routes 
          de la propriété du Climat 
          de France.
          
          Les chantiers de chômage se dispersèrent tout naturellement 
          dès les premières mobilisations de 1939.
          Ils furent repris sous une autre forme à l'armistice de 1940. 
          Craignant le retour des démobilisés dans une économie 
          bouleversée et le manque de travail pour un grand nombre, le 
          Gouvernement Général donna l'ordre de " sortir " 
          tous les grands projets existant dans les cartons des administrations 
          et de les lancer immédiatement, avec des crédits algériens.
          
          C'est ainsi que furent lancés immédiatement : la couverture 
          de l'oued K'niss - le tunnel des Facultés - la piscine de Bab-el-Oued 
          - le parc des Sports - les grands égouts collecteurs d'Alger 
          - le détournement de l'oued M'Kacel - la 
          rampe Polignac.
          
          Tous ces travaux furent entrepris du jour au lendemain sans formalité 
          et occupèrent en effet
          un grand nombre d'ouvriers jusqu'en 1942. Au débarquement des 
          Alliés, ils furent tous arrêtés par suite de la 
          nouvelle mobilisation algérienne, et furent repris avec des fortunes 
          diverses, dès que les circonstances furent plus favorables.
          
          A l'heure actuelle certains sont terminés (tunnel des Facultés, 
          détournement de l'Oued M'Kacel, le collecteur Nord est terminé 
          depuis le Kassour jusqu'au square Briand). Les autres sont en cours.
          Ils n'ont pas conservé jusqu'au bout le nom de " Grands 
          Travaux destinés à lutter contre le chômage " 
          qui leur donnait l'avantage pour la Ville d'être exécutés 
          entièrement sur les crédits de l'Algérie. Ils sont 
          continués en participation entre la Ville et le Gouvernement 
          Général. Le modus vivendi généralement admis 
          est de 20 % pour la Ville, 80 % pour l'Algérie.
          
          Les bidonvilles -
          
          La question éternellement pendante de la suppression 
          des bidonvilles avait été vigoureusement prise 
          en mains en 1940, par le Gouvernement Général, pour combattre 
          la propagande de l'Axe.
          
          On posait en principe que, pour pouvoir détruire un bidonville, 
          il fallait d'abord reloger les habitants de ce bidonville, en raison 
          de la crise du logement.
          
          En conséquence, on envisageait pour chaque bidonville la création 
          d'une cité correspondante, de maisonnettes à très 
          bon marché.
          
          C'est ainsi qu'une cité Nord (architecte : M. Socard) fut commencée 
          sur la propriété du Climat de France, appartenant à 
          la Ville d'Alger, pour reloger les bidonvilles d'El-Kettar, Noiré 
          et Gambetta ; une cité Sud, (architectes : MM. Bienvenu et Lathuillière), 
          à la propriété Scala, appartenant à l'Office 
          d'Habitations à Bon Marché, pour reloger les bidonvilles 
          Mahieddine, Sésini, Laurent Pichat, Salembier, 
          etc...
          
          Le type de construction adopté était la rhorfa, mise à 
          l'ordre du jour par la campagne du Sud de la Tunisie. Elle ne nécessitait 
          ni bois, ni fer, matériaux dont on manquait absolument à 
          cette époque, mais comportait uniquement de la brique.
          
          La construction de ces cités fut commencée par l'Office 
          d'H.B.M. Cinq rhorfas au Nord, cinq rhorfas au Sud, furent inaugurées 
          par le Général Weygand en 1942.
          
          Puis vint le débarquement allié ainsi que la nouvelle 
          mobilisation et tout travail cessa.
          
          La question fut reprise en 1945. M. le Préfet Périllier 
          constitua le " Comité de lutte contre le taudis " où 
          intervenaient le Département, la Ville d'Alger, les H.B.M. et 
          diverses personnalités techniques et syndicales.
          
          La rhorfa était abandonnée, elle présentait des 
          difficultés d'étanchéité et d'autre part, 
          on ne pouvait plus avoir de briques.
          
          Les architectes se mirent au travail pour " inventer d'autres modèles 
          de construction possibles avec les rares matériaux qui subsistaient. 
          Une sorte de laboratoire était installé au Nador, où 
          différents prototypes furent construits. Il y eut même 
          une maison en toub (qui existe encore).
          
          Différentes cités furent construites au Clos Salembier 
          et au Climat de France avec ces procédés. Mais le Comité 
          de lutte contre le Taudis cessa de fonctionner en 1947, et la question 
          des bidonvilles resta une fois de plus non résolue, les cités 
          ayant servi à recaser par priorité des personnes qui s'étaient 
          installées d'autorité dans les H.B.M. en construction, 
          ou les anciens combattants, comme ce fut le cas, à la cité 
          en préfabriqué du Climat de France.
          
          Pratiquement, un seul bidonville a été recasé, 
          celui de la Villa Sésini, qui était menacé par 
          l'éboulement de la falaise. Tous les autres ont subsisté 
          et ont même proliféré, malgré une police 
          spéciale qui s'efforce d'empêcher la construction de nouvelles 
          baraques.
          
          Actuellement la question est reprise par l'Assemblée Algérienne 
          d'une façon plus générale. Un arrêté 
          du 2 mai 1952 accorde aux communes une importante participation et sur 
          l'achat des terrains nécessaires (50 %), sur les dépenses 
          de construction (66 %) et sur les travaux de viabilité (66 %).
          
          Le mouvement de la construction -
          
          La dernière année de construction normale avait été 
          1934, avec 401.515 mètres carrés de plancher bâti.
          
          Les années suivantes donnent comme autorisations de bâtir 
          (en m2 de plancher) :
          1935 - 138.978
          1936 - 133.871
          1937 - 137.598
          chiffres relativement constants, mais qui indiquent la crise. Puis viennent 
          les années de guerre. La construction s'arrête progressivement 
          :
          1938 - 63.329
          1939 - 45.651
          pour tomber pratiquement à zéro en 1940, reprendre légèrement 
          après l'armistice :
          1941 - 52.265
          1942 - 44.822
          retomber à zéro après le débarquement anglo. 
          américain et jusqu'en 1945.
          
          De 1945 à 1948, la construction reprend timidement. 
          1946 - 28.918
          1947 - 26.135
          1948 - 68.543
          
          Ce n'est qu'à partir de 1949 que la construction reprend un volume 
          comparable aux années d'avant-guerre.
          1949 - 101.477
          1950 - 209.720
          1951 - 174.906
          1952 - 268.866
          
          Le règlement de Voirie et le zoning 
          -
          
          Ces ralentissements et arrêts de la construction jouant sur une 
          période de 10 ans firent que, après la guerre on constata 
          à Alger une très grande pénurie de logements. On 
          calcula qu'il en manquait à Alger 20.000 environ (1/2 pour la 
          population européenne, 1/2 pour la population indigène).
          
          Cette crise du logement aurait dû amener une reprise formidable 
          de la construction.
          
          En fait, la construction, comme on a pu le voir plus haut, reprit d'abord 
          timidement, les matériaux étant chers et rares, la main-d'uvre 
          spécialisée avait disparu. D'autre part la formule de 
          l'immeuble à loyers semblait définitivement morte. On 
          se mit à bâtir pour soi, des villas et des immeubles en 
          copropriété.
          
          Dès 1945, vu les difficultés de la construction, on parle 
          de favoriser les surélévations, moins onéreuses. 
          Il était au début question de surélever les immeubles 
          qui n'avaient pas atteint le gabarit réglementaire. Puis on proposa, 
          vu l'importance de la crise, de donner une dérogation générale 
          d'un étage à tous les immeubles. Toutefois, après 
          discussion, on convint qu'une dérogation trop générale 
          pourrait amener de graves inconvénients dans certains cas particuliers 
          et que les dérogations au règlement devaient plutôt 
          faire dans chaque cas l'objet d'une étude spéciale.
          
          On sait que les gabarits de la construction sont fixés à 
          Alger, par le règlement de Voirie et les servitudes de zoning, 
          rattachés au Plan d'Aménagement de 1931 et approuvés 
          en même temps que lui. Ce règlement avait prévu 
          des dérogations pour des motifs d' " art, de science, d'industrie 
          ou d'utilité publique ". Ces dérogations devaient 
          faire l'objet d'études et d'avis par une commission extra- municipale 
          dénommée " Comité de Voirie " et où 
          étaient représentés l'ordre des architectes, les 
          urbanistes officiels et privés, l'association des propriétaires, 
          etc...
          
          L'ampleur de la crise du logement fit considérer l'habitat comme 
          le problème n° 1 de l'après- guerre, et l'expression 
          d' " utilité publique " vint naturellement à 
          l'esprit, c'est-à-dire une circonstance qui autorisait des dérogations 
          de règlement de voirie et du zoning.
          
          Cette attitude fut d'ailleurs officialisée par le M.R.U. qui 
          fit construire un immeuble de 14 étages au Champ de Manoeuvre 
          (d'ailleurs avec de larges prospects) et fit autoriser par le Préfet 
          d'Alger le groupe de 
          l'Aéro-Habitat, considérable dérogation 
          au règlement de la zone des coteaux.
          
          Finalement le Comité de Voirie, sous la poussée des besoins 
          de logements ouvrit la porte aux dérogations de plus en plus 
          importantes, si on peut encore appeler " dérogations " 
          des autorisations qui multiplient par 3 les hauteurs permises par le 
          règlement, et ce, sans qu'il soit plus question de prospect. 
          
          
          On peut évidemment dire que c'est grâce à cette 
          " largeur de vue " que la construction a pu reprendre à 
          Alger un essor comparable à celui des années d'avant-guerre. 
          On fait actuellement depuis 3 ans, bon an mal an, 1.000 logements par 
          an à Alger ; cette allure est en train de doubler de vitesse 
          ; on peut donc apercevoir la fin de la crise du logement, si aucun événement 
          défavorable ne survient.
          
          Mais on ne peut laisser plus longtemps la construction se passer de 
          règles précises et officielles, et c'est pourquoi la Ville 
          d'Alger va étudier, quartier par quartier, un nouveau règlement 
          qui permettra le maximum de hauteur compatible avec l'hygiène 
          et la préservation du site.
          
          La montée du centre de la Ville -
          
          Pendant cette période s'est confirmé le déplacement 
          du Centre de la Ville. Ce Centre, en 1890 était la Place 
          du Gouvernement. Il s'est déplacé au square 
          Bresson, puis à la Place 
          Bugeaud, puis au Boulevard 
          Laferrière. Ce dernier est déjà dépassé.
          
          On voit monter petit à petit vers Mustapha 
          tout ce qui caractérise le Centre, les magasins de luxe, les 
          grandes maisons d'automobiles, les librairies, les grands cafés 
          et le meilleur signe : la promenade de 18 h. 30 de toute la jeunesse 
          qui se tenait autrefois sous les arcades Bab-Azoun, 
          s'est déplacée d'un mouvement continu jusqu'au droit des 
          Facultés où la largeur du trottoir la retiendra longtemps, 
          parce qu'il n'y a rien de semblable plus haut.
          
          Corrélativement, la population bourgeoise abandonne les quartiers 
          bas, qui sont progressivement occupés par les musulmans. Le square 
          Bresson, qui fut un centre de mondanité, n'est plus que le jardin 
          public de la Casbah.
          
          Et, chose tragique, le Centre se dirige vers un quartier qui n'est nullement 
          préparé pour le recevoir.
          
          L'Alger de 1890 était une petite capitale bien ordonnée. 
          Elle avait sa place publique, la Place du Gouvernement, son jardin public, 
          le square Bresson, son Théâtre, en plein centre. Son artère, 
          grande pour l'époque, la rue d'Isly, bien bâtie, bien proportionnée, 
          de même que les boulevards, largement suffisants pour une circulation 
          de calèches (on avait traité de mégalomanes les 
          auteurs du plan de 1845 qui a créé le quartier d'Isly). 
          Qui ne se rappelle, il y a encore 40 ans, les grandes terrasses de cafés 
          de la Place du Gouvernement, où toute la population se rassemblait 
          à la fin de la journée et les rassemblements mondains 
          autour de la musique des Zouaves. On a dit qu'Alger ressemblait alors 
          à une petite Préfecture de France. D'accord, mais tout 
          cela était bien proportionné, bien équilibré, 
          adapté à l'importance qu'avait Alger en cette fin du 19ème 
          siècle.
          
          Mais trouvons-nous ces éléments dans le quartier qui va 
          devenir le Centre ?
          
          Où sont en effet, les rues de 50 mètres, les avenues de 
          100 mètres, les places publiques d'un hectare que mérite 
          l'Alger de 1950, et dont Lyautey a doté les jeunes villes marocaines, 
          il y a déjà trente ans ?
          
          La rue du Centre, c'est maintenant 
          la rue Michelet, quotidiennement embouteillée par 
          la circulation automobile (que sera-ce dans 10 ans ?), aux trottoirs 
          deux fois trop petits pour la circulation piétonnière 
          actuelle. Aucune place publique n'existe. Le carrefour Saint-Saëns, 
          qui devrait être notre Place de la Concorde, est ridiculement 
          petit (bien que son sous-sol ait été utilisé au 
          maximum et avec beaucoup de goût). Impossibilité absolue 
          de créer un seul parc de stationnement pour les automobiles. 
          Aucune possibilité de grande terrasse de café. Aucun monument 
          public.
          
          Ne parlons pas des rues latérales. La rue de Mulhouse (4 m. de 
          chaussée) qui devient, ô dérision, une rue centrale. 
            
          Le Boulevard Saint-Saëns, qui après un départ 
          majestueux se continue par un boyau impossible à élargir 
          et qu'on va être obligé de mettre à sens unique, 
          en creusant une dérivation sous le Télemly, la rue du 
          Languedoc, et le Chemin de la Solidarité. Voilà ce qui 
          va devenir le Centre d'Alger !
          
          Vue d'ensemble -
          
          L'urbanisme de cette période 1935-1952 à Alger est caractérisé 
          par 3 phases bien distinctes.
          1°:Un départ planifié et discipliné de 1935 
          à la guerre.
          2°/La coupure de la guerre.
          3° Après la guerre, une période bouleversée 
          à la recherche d'un équilibre nouveau tenant compte des 
          nouveaux éléments apparus (augmentation de la population, 
          crise du logement résultant de l'arrêt de la construction, 
          développement de l'automobile, montée du Centre vers Mustapha, 
          création du Plan Régional).
          
          Cette dernière phase, en cours, est une période de véritable 
          désarroi. Nous avons vu qu'une poussée irrésistible 
          de la construction a bousculé les règlements de voirie, 
          crevé les plafonds des gabarits, envahi les zones de villas par 
          des " gratte- ciel ", tout celà sans règle bien 
          précise. Il n'est que temps de régulariser tout cela, 
          en remaniant le règlement de voirie et le zoning, vieux de 20 
          ans, en les adaptant à une situation très différente 
          de celle de 1930, mais en préservant autant que possible le site 
          algérois.
          
          Il faut également adapter le Plan Urbain au Plan Régional. 
          Il faut enfin prévoir l'extension d'Alger, soit par la création 
          de villes satellites, soit par la création de quartiers nouveaux 
          dignes de la Capitale de l'Algérie. Alger, ville chantpignon, 
          se transforme et se développe comme un enfant qui grandit trop 
          vite et dont les parents n'arrivent jamais à lui fournir en temps 
          voulu des vêtements à sa taille et à sa convenance.
          
          Souhaitons que la prochaine période urbanistique rattrappe définitivement 
          le retard constaté aujourd'hui.
        Pierre MOLBERT,
          Ingénieur en Chef de la Ville d'Alger.