Alger - l'Algérie
LES ORIGINES D'ALGER
Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960 (deuxième partie)

extraits du numéro 128, décembre 2009, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : janvier 2014

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Partie 1
Partie 3
Partie 4

Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960
(deuxième partie)
par Georges Mercier


La métamorphose

La France avait donc pris pied sur El Djezaïr " la barbaresque " depuis une décade et demie. A n'en pas douter les aménagements du port et du quartier de La Marine en basse Casbah formaient l'embryon d'un développement qui allait s'accélérer par nécessité tant vers l'est que vers l'ouest.

En effet, accrochée à la colline et emmurée depuis des siècles, la Casbah ne pouvait s'adapter à une société moderne à l'européenne.

La ville indigène n'était qu'un labyrinthe de ruelles tortueuses et étroites toutes en pentes et en escaliers que seuls les piétons et les petits ânes " de service " pouvaient emprunter.

D'ailleurs deux siècles après, elle demeure toujours dans son état typiquement pittoresque.

Si le règne de Louis-Philippe fut relativement court, un " plan général d'alignement " avait été partiellement adopté le 10 décembre 1846.

Ce plan manquera toutefois d'ambition car il se limitait aux tracés des " nouveaux remparts " prévus par le général Charras. Une première extension vers l'est à partir de la " place Royale " devait ouvrir des rues commerçantes et des places de marchés comme la place de Chartres et la place du Soudan.

La Djenina avait été partiellement ravagée par un incendie en 1844. Aussi décida-t-on d'y faire une trouée pour y créer une rue commerçante sous arcades qui reçut le nom devenu célèbre de " rue Bab-Azoun ".

Les chantiers ne cessaient de s'activer. Le baron Baude écrira que les travaux s'effectuaient " dans une poussière suffocante qui obscurcissait les rues ".

Rien ne pouvait être laissé en attente, et il fallait bien nettoyer ou remplacer les anciennes canalisations d'eau en terre par de la fonte. On en profitera pour implanter un sérieux réseau d'égouts. M. Guiauchain architecte des bâtiments civils et le baron Voirol vont décider d'imposer une unité architecturale par une rédaction précise des règlements de voirie édictés par l'Intendant civil (Les premiers maires n'exerçaient que des fonctions d'état civil. C'était l'intendant civil qui administrait, et ce n'est que le 28 juillet 1847 que toutes prérogatives furent dévolues aux maires.). Et c'est ainsi que les nouveaux immeubles allaient être pourvus au rez-de-chaussée de galeries " à couvert " avec arcades en façade sur chaussées. Directives destinées à abriter le public et permettre l'installation de commerces pour faire vivre la ville, tout en assurant le brassage de la population. Les premiers éclairages publics par lampadaires à huile apparurent en 1846 sur la place Royale ( Du temps des Ottomans il n'existait aucun éclairage public. Les habitants se déplaçaient la nuit à l'aide de " ballons vénitiens " teintés attachés au bout de bâtons. Un arrêté administratif du 11 juillet 1830 obligea chaque demeure à être pourvue d'une de ces lanternes..) système Bardet et Marcet. Ils seront remplacés six ans plus tard par les fameux " bec de gaz " et en février 1852 la rue de La Marine en fut la première pourvue. On allait très vite !

La grosse activité de la construction avait remis en exploitation une ancienne carrière turque qui entamait au nord-ouest la colline de la Bouzaréah. Prenant le nom de son propriétaire la " carrière Jaubert " fournissait une pierre dure appelée " pierre bleue " en raison de sa teinte. Aux yeux du public elle était une garantie de solidité et de sécurité.

Tout immigrant y trouvait un travail immédiat. Ces derniers, en majorité espagnole de la région de Valence ou de l'île de Mahon devaient donner lieu à un nouveau quartier cosmopolite de Bab-el-Oued auquel on prêtera le nom de " La Cantera " (la carrière) ou encore " la Basseta " (la partie basse de la ville). Les hommes travaillaient à la carrière ou au port, et les femmes trouvaient facilement à se faire embaucher chez " Bastos " ou " Job " comme cigarières. Ce quartier allait plus tard au xxe siècle donner une dimension méditerranéenne vivante et colorée d'Alger avec ses odeurs de cuisine, de café, de kémia, d'anisette et de " brochettes à toute heure ". Tout un petit monde dur à la besogne et fier, composé d'un mélange de Français au patois provençal, de Valenciens, d'Italiens, de Maltais et d'Arabes. Chacun ayant apporté ses expressions, les us et coutumes de ses origines, ses règles de l'honneur, et tout cela dans une joie de vivre ensemble dans ce quartier. Ce petit monde donnera lieu à un langage imagé et truculent " le pataouète " qui inspirera plus tard Gabriel Robinet alias " Musette " pour son personnage " Cagayous ", ainsi qu'Edmond Brua qui écrira " La parodie du Cid ", et enfin la " Famille Hernandez " de Geneviève Baylac dans les dernières années de l'Algérie Française.

Ce quartier devait aussi inspirer les croquis de Charles Brouty et de l'humoriste-dessinateur Assus, et d'autres peintres ou romanciers. Le n° 82 de l'algérianiste a publié un texte de Marcel Laffont sur " Musette et ses héros ". Babel-Oued qui s'étendait donc au nord-ouest du boulevard de Verdun (anciens remparts) était desservi par les rampes Valée, l'avenue de la Bouzaréah et l'avenue Malakoff, puis le boulevard de Champagne qui allait desservir l'hôpital Maillot (militaire). Encore plus loin c'était les cimetières et en continuant la commune de Saint-Eugène.

En métropole cependant, les évènements se précipitaient avec la révolution de 1848 et l'abdication de Louis-Philippe. Ces événements devaient entraîner une émigration de peuplement vers l'Algérie, " terre promise " pour de nombreux miséreux et révoltés ( L'épopée des misères de ces colons a été racontée par Alain Lardiller sur la revue l'algérianiste n° 65 de mars 1994, par Marie-Jeanne Groud sur le récit du Premier convoi de 1848 au n° 86 de juin 1999, et par Eugène Grand au n° 102 de juin 2003, ainsi que sur l'extrait du Prix algérianiste sur le n° 106 de juin 2004.).

Louis-Napoléon Bonaparte élu à la présidence de la République le 10 décembre 1848 proclamera l'Empire le 2 décembre 1852.

Tout devait s'accélérer à Alger. Le Second Empire allait insuffler un nouvel essor à la ville, bien que le pays fût encore loin d'être pacifié.

Toutefois le patrimoine berbéro-ottoman de la ville n'avait pas du tout échappé aux autorités. De sorte que sera créée une " Inspection générale des monuments historiques " sous la houlette du maréchal Randon. ( À quarante ans de là, ce service deviendra le Corps des monuments historiques comme en métropole. S'y illustreront des architectes tels que Boeswillwad, Edmond Duthoit, Albert Ballu et Pierre Guiauchain.)

L'ère économique et industrielle qui se développait en Europe devait franchir la Méditerranée. La ville de Dakar avait été fondée en 1854 et dans le cadre de l'ère coloniale anglo-française on parlait de plus en plus du percement du canal de Suez aux perspectives économiques prometteuses. Le maréchal Randon se rendit en 1856 à Paris auprès de Napoléon III afin d'accélérer l'essor du pays, d'autant plus que les ambitions et les volontés d'entreprendre ne manquaient pas. Par exemple, et déjà à cette époque, une société de lettres et des Beaux Arts créée en 1848 avait l'ambition de devenir une " académie ". Côté médecine et chirurgie l'hôpital civil de Mustapha avait tout juste un an et l'on y préparait la création officielle de " l'Ecole supérieure de médecine " dont la rentrée solennelle aura lieu le 10 novembre 1859.

En économie et commerce le trafic portuaire était en pleine croissance ( La première ligne maritime Alger-Marseille date de 1841. Par son trafic le port d'Alger allait atteindre le troisième rang des ports français en 1924, juste après Rouen et Marseille. L'extension de l'arrière-port de l'Agha se fera en 1892 et son complet achèvement interviendra en 1912. Les aménagements les plus modernes ne cesseront jusqu'en 1950. Revues n° 34 et 35 de 1986 (articles de M. Nocchi) et n° 51, 52, et 53, 73, 86 et 99 (articles de MM. Scotti et Poutensan).). Il fallait encore d'autre part la développer pour assurer la liaison avec les autres ports de la côte algérienne et constituer les débouchés de l'arrière-pays. La construction d'une gare sur les quais du port s'imposait et les premiers travaux de terrassement de la voie de chemin de fer Alger-Blida débutaient en 1858. La ligne sera inaugurée dans un climat enthousiaste le 15 août 1862 par le maréchal Pelissier, duc de Malakoff et ministre de l'Algérie. Ce qui permit à Théophile Gautier une belle description de ces réjouissances.

La gare du port d'Alger sera presque achevée en 1865. Ces travaux devront se poursuivre après la chute du Second Empire de 1870 à 1914. Interrompus pendant la Grande Guerre, ils reprirent en 1922 avec la construction de l'avant-port et des deux bassins du Hamma et de Mustapha.

Mais revenons aux projets de 1858.

On parlait beaucoup à Alger d'une prochaine visite de Napoléon III. Aussi deux études d'un développement du port et de la ville furent élaborées en 1858. L'une par les architectes Vigouroux et Caillot, et l'autre par un cousin germain du peintre orientaliste Théodore, Charles-Henri-Frédéric Chasseriau. Ce dernier nommera respectueusement son projet "Napoléon-Ville" qu'il signera toutefois sous sa qualité d'ex-directeur des travaux publics de la ville de Marseille. La ville ancienne étant respectée. Le projet était ambitieux car il ouvrait de larges voies et boulevards bordés d'immeubles d'inspiration et de style très haussmannien.

Chasseriau écrira " Pour nous il nous faut de l'air et du soleil, des boulevards plantés d'arbres et des rues à galeries couvertes "...On croit à une description d'une rue de Paris comme la rue de Rivoli.

Le décret du 12 mai 1860 devait ordonner l'exécution du projet.

La ville fut autorisée à traiter " l'assiette " des boulevards et ses soutènements à arcades avec une entreprise anglaise dirigée par Sir Morton Peto après adjudication. Les travaux seront exécutés sous la direction du Génie et sous contrôle des Ponts et Chaussées.

La " première pierre " bénie par Mgr Pavy, évêque d'Alger, sera posée par l'Impératrice Eugénie le 19 septembre 1860, et le boulevard du front de mer prit le nom officiel de Boulevard de l'Impératrice.

Après la chute du Second Empire il sera débaptisé pour devenir le " boulevard de la République " et sera prolongé par le boulevard Carnot. Napoléon III devait revenir en 1865 et aura l'occasion de voir l'achèvement des travaux sur plus d'un kilomètre et demi. Le boulevard était relié au port et à la gare par des rampes et escaliers. Les emplacements de deux ascenseurs étaient prévus.

Depuis la mer, " Alger la Blanche " avait désormais son aspect définitif.

Ces travaux furent une totale réussite compte tenu d'une dénivellation de plus de 20 m ( En 1830 les falaises de bord de mer tombaient à pic d'un dénivelé d'une vingtaine de mètres.) par rapport aux quais. Le boulevard était non seulement une voie majeure de front de mer, mais l'architecte l'avait bâtie en créant sous cette voie d'immenses entrepôts et magasins pour les compagnies maritimes et les commerces divers qui s'ouvraient face au port et sur le large. De plus les liaisons étaient directes avec les voies de chemin de fer. Les rampes (Chasseloup- Laubat et Magenta) construites en liaison avec le port n'avaient qu'une faible pente à 3% propre à être empruntées par les véhicules hippomobiles. Elles seront achevées en 1864 et 1866.

Le " front de mer " restera dans bien des mémoires comme un superbe balcon face au Levant, la mer et au permanent spectacle du port.

Si le projet de Chasseriau était passé à exécution en 1860, on n'en retint pas moins les idées des projets concurrents de Mac Carthy-Genevey et de Vigiuroux-Caillot.

Ces projets tenaient compte de l'accroissement de la population européenne. Cette dernière allait d'ailleurs prendre de l'ampleur avec la crise du phylloxéra en métropole qui poussait de nombreux viticulteurs vers l'Algérie où les vignobles étaient composés de " plans américains ". Cette émigration devait encore s'intensifier après la chute du Second Empire en 1871 et la naissance de la Hie République, avec les Alsaciens-Lorrains désireux de venir en Algérie se refaire une vie en restant Français ( Il y eut même des villages entiers de familles d'Alsaciens-Lorrains regroupés. Revues l'algérianiste n° 52, 53 et 73 (texte de M. Scotti).).

Tout allait très vite. Le premier tramway était inauguré en 1876 et le plan Freyssinet devait accroître le réseau ferré alors que la Chambre de commerce prenait en main l'équipement du port.

Vers 1875 la ville comptait déjà 75000 habitants et il était urgent de réserver des emplacements privilégiés pour les édifices de premier ordre, qu'ils soient administratifs, civils, commerciaux ou universitaires. L'emballement de la construction sous le Second Empire avait grandement été inspiré par le style haussmannien qui transformait Paris à cette époque, au point que dans certains quartiers on aurait pu se croire à Paris.

Cet élan sera encore accéléré avec la révolution industrielle et économique de l'Europe, mais aussi par les perspectives commerciales qu'allait offrir la récente ouverture du canal de Suez, inauguré en 1869. En effet la mer Méditerranée n'allait plus être une mer fermée. Alger, Philippeville et autres villes allaient être des étapes de mi-parcours pour tous trafics commerciaux et militaires. De sorte que sur la fin du XIXe siècle, l'Algérie recevait une immigration de plus en plus qualifiée et motivée.

Un engouement " d'orientalisme " était même observé chez certaines personnalités du monde littéraire, musical et journalistique. Et Victor Hugo en avait déjà produit un avant-goût avec ses " Orientales " en 1829. Le peintre et écrivain Fromentin qui avait séjourné en Algérie de 1852 à 1853 en produisant quelques oeuvres. Même Jules Verne visitera le pays en 1878 et 1884. D'autres écrivains de renom furent aussi séduits par le charme du pays comme Flaubert, A. Daudet, Maupassant etc, et plus tard (M. Georges-Pierre Hourant illustrera les revues n° 40 sur A. Daudet, n° 69 sur P. Lotti, n° 100 sur V. Hugo) Pierre Loti. Cette séduction orientaliste devait également gagner des musiciens de talent tel que Camille Saint- Saëns qui s'attacha au pays et mourut à l'hôtel de l'Oasis (square Bresson) en 1921. Le boulevard " Bon accueil " prit son nom après sa mort (La vie de C. Saint-Saëns nous est relatée sur la revue n° 37 de mars 1987 par Jeanne Guion de Méritens.).

D'autre part la luminosité et l'atmosphère limpide des paysages devaient séduire beaucoup d'artistes peintres, lithographes et dessinateurs comme Delacroix, Fromentin, Th. Chassériau, E. Guillaumet, E. Deshayes, E. Dinet, P. Lazerges, Horace Vernet, Etienne Billet et bien d'autres. Ces artistes nous laisseront des témoignages merveilleux de cette époque qu'il est toujours doux de parcourir en feuilletant de beaux albums ". (Les merveilleux albums de Marion Vidal-Bué et de Georges Hirtz à consulter.)

Certaines familles illustres s'installèrent à Alger, telle la famille Lung, dans un immeuble du square Bresson près de l'Opéra et du grand café le Tontonville.

De l'autre côté de l'entrée et sur l'axe du square se trouvait la place de la République et surtout l'Opéra municipal d'Alger inauguré en 1853, incendié vingt ans après, reconstruit à l'identique pour l'extérieur.

A citer également M. Laperlier, célèbre collectionneur qui livra au Louvre une grande partie de sa collection et qui prit sa retraite à Alger en laissant son nom à une voie montant d'Alger à El-Biar.

Le courant " orientaliste " avait été grandement influencé par les précieux relevés d'architecture et éléments décoratifs de l'art berbéro-turc exécutés par le " corps des monuments historiques " dont les chefs de file furent Bonnaventure

Amable Ravoisié et son confrère architecte et successeur Pierre Auguste Guiauchain, ainsi qu'Edmond Duthoit qui organisa de nombreuses expositions tant à Paris qu'à Alger, et enfin Albert Ballu architecte qui poursuivra cette mission en 1889 aux " monuments historiques ".

Le patrimoine de l'Algérie allait être en grande partie sauvegardé. Certains particuliers avaient même pris des initiatives de construire en adoptant un style oriental comme la famille Tabet-Cohen qui avait fait bâtir le " Palais Oriental " de 1857 à 1864 dans un style néo-mauresque au 46 de la rue Marengo ou au 16 de la Rampe Valée.

Dans le cadre de la politique coloniale de la France de cette époque l'art mauresque ou musulman sera exprimé lors des " expos " de 1885 et 1886 à Paris au " Grand Palais ", puis en 1900 et 1906 à Marseille.

Reconnaissons toutefois que ces louables efforts de représentation de l'art mauresque resteront sans grand effet dans une métropole et une Europe qui s'ouvraient à de nouveaux matériaux (verre, métal) entraînant des formes nouvelles d'expressions architecturales et industrielles animées par de nouvelles énergies (vapeur, électricité) le béton n'apparaîtra qu'à l'exposition de 1900. Toutefois en cette fin du xixe siècle un engouement local du style " mauresque " devait gagner une petite communauté britannique que l'on nomma vite les " hiverneurs " ( La présence de cette petite colonie britannique à Alger coïncidait toutefois avec les rivalités coloniales entre l'Angleterre et la France à la charnière des deux siècles.). Installés à Alger pour la douceur de son climat propre à soigner quelques tuberculoses pulmonaires, terrible maladie de cette époque, ces familles anglaises de condition aisée s'y étaient fermement établies. Elles avaient même leur clinique le " British Cottage hospital " et leur cimetière au boulevard Bru ainsi que leur lieu de culte aux abords du Palais d'Eté. Cette communauté avait aussi un hebdomadaire: The Algerian Avertiser. Le bon goût anglais de l'habitat devait conduire à la révélation d'un style qui allait incontestablement marquer Alger et ses environs. Installée à Mustapha Supérieur, entre le Palais d'Eté et les hauteurs de la ville, cette communauté avait été séduite non seulement par le site mais aussi par l'architecture néo-mauresque que l'architecte Georges-Adrien Auguste Guiauchain avait créée sur les côteaux de Mustapha et à El-Biar pour certains hiverneurs, comme la belle demeure de John Bell, le Palais de Mustapha Raïs qu'il avait restauré de belle façon. Guiauchain réalisera aussi de 1887 à 1889 un orphelinat pour jeunes filles sur les restes d'une résidence turque que son fils Jacques devait d'ailleurs transformer plus tard en 1927 en " hôtel Saint-George "...

Les Britanniques devaient alors faire venir d'Angleterre un architecte de talent, Sir Bucknall qui, effectivement, fut séduit par ce style qu'il adapta au mode de vie de ses commanditaires fortunés. Aussi en cette fin xixe siècle Mustapha Supérieur était devenu un immense jardin parsemé de somptueuses villas telles que les villas Arthur, Marèse, celle du riche américain Macklay, celle de Savorgnan de Brazza ou encore la superbe villa Montfield au dessus de la villa des Glycines au chemin Beaurepaire à El-Biar.

A citer aussi à El-Biar la " Villa des Oliviers " où résidèrent les plus grandes personnalités pendant la seconde guerre mondiale.

Sir Bucknall joua si bien de ce style qu'il y laissa sa marque pour de nombreuses réalisations, et un charmant chemin ombragé à El-Bi a r qui portera son nom. Bien des couples d'amoureux s'en souviendront.

L'entreprise Vidal et ses descendants pratiqueront ce style avec bonheur, ainsi que quelques architectes algérois.

En cette fin du xixe siècle l'urbanisation de la ville devenait préoccupante au plus haut point. Les municipalités successives n'avaient cessé de réclamer la cession de terrains du domaine militaire sans grand résultat. Aussi las d'attendre le député Paul Bert, s'appuyant sur la loi du 20 décembre 1879 concernant l'enseignement supérieur réussit à faire adopter le choix du " champ de navets " pour construire l'Université que l'on projetait depuis des années. Il s'agissait d'un terrain très en pente sous le " chemin " du Télemly (ancien aqueduc qui servait au maraîchage). Plans et chantier furent ordonnés. Il en sortit un énorme bâtiment de style néo-classique de 120 m de long par 12 m de large avec quatre ailes perpendiculaires de 32 sur 9. Inauguré le 13 avril 1887 par le gouverneur Tirman, il regroupait médecine et recherches, le droit, sciences et lettres, et bien d'autres services s'y rattacheront au long des années.

Sa reconnaissance arrivera plus tard en 1909, et dans le langage courant il reçut le nom de " Facs ". Son destin restera attaché aux événements de la fin de l'Algérie française ( Les " Facs " seront le théâtre de la " journée des dupes " du 13 mai 1958, puis des " barricades " du 24 janvier 1960, l'algérianiste n° 38 de juin 1987, n° 105 de mars 2004, n° 106 de juin 2004, n° 107 de septembre 2004. D'autre part M. J. P Fillard a écrit l'histoire des Facs dans la collection Mémoire d'autrefois.).

Toujours par nécessité d'équipements indispensables à une population dont le niveau d'évolution ne cessait de croître, il était décidé en 1889 de bâtir un Palais Consulaire. Son emplacement fut choisi entre les deux mosquées de la place du Gouvernement. Un choix malheureux car de style néo-classique d'aspect massif et même disgracieux, il s'interposait entre les deux mosquées en cassant l'harmonie de l'ensemble.

En 1891 une convention avec l'autorité militaire était enfin passée pour la cession d'environ 35 ha ce qui allait permettre la création de deux quartiers, celui de Bab-el-Oued et celui de la nouvelle préfecture ainsi que l'achèvement du quartier d'Isly.

Restait encore en négociation la cession d'une soixantaine d'hectares au Champ-de-Manoeuvre, dont cinq seulement furent cédés. La totalité des cessions ne devaient intervenir que trente cinq ans plus tard.

Entre temps dans le quartier du Hamma on édifiait l'institut Pasteur dans l'alignement du Jardin d'Essai. Créé en 1894 par les docteurs Trolard et Soulié, et les docteurs Roux et Calmette, élèves de Pasteur, cet institut devait faire autorité dans la pathologie de l'Algérie et des maladies tropicales.

Après l'édification des " Facs ", les fossés et remparts du général Charras ne servaient plus à rien. Ils devenaient même un obstacle à l'extension de la ville. Aussi décida-t-on en 1897 de les démolir ainsi que la Porte d'Isly qui ne le sera qu'en 1905.

Le XIXe siècle s'achevait pour " Alger la Blanche " sur de solides perspectives.
(A suivre)