Aïn-Roua en 1900
Texte de Edgar Scotti
extraits du numéro123, septembre 2008 l de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 28-1-2009

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Ce chef-lieu de commune créé par une décision du 1er février 1873, s'étend sur un territoire de 10565 ha. Selon le guide Louis Piesse de 1889, au-dessous de la fontaine qui sort des rochers formant la base du djebel Anini (1598 m), se trouvent les ruines de l'ancien poste romain (Horrea Aninicensi, grenier du djebel Anini), dont la montagne a conservé le nom depuis l'époque romaine. Le centre est à 33 km de .04 Sétif sur la route de Bougie. Il est à une altitude de 1160 m. Il neige en hiver, en été la température atteint 42 °C.

En 1900, il abritait 3 390 habitants dont 26 foyers français (12 Alsaciens-Lorrains et 14 Algériens), ces derniers déjà habitués au climat et aux techniques culturales de la région. Le centre d'Aïn-Roua était administré par un adjoint spécial.

En 1877 ces fonctions sont assumées par M. François Arnold jusqu'au 10 novembre 1880, où le village est érigé en commune de plein exercice.

Aïn-Roua avait, en 1900, soit vingt-sept ans après, des commerçants et un moulin et cela malgré l'isolement consécutif au manque de routes, aux maladies et à une région exposée aux caprices du climat: sécheresse, gel, etc. En raison de l'insalubrité du site du futur village, du relief accidenté des collines érodées, le colonel du Génie Renoux émettait déjà en 1873 des doutes sur l'avenir d'Aïn-Roua. En effet, malgré une pluviométrie variant de 250 à 400 m /m par an, le moindre orage creusait dans les sols des sillons chargés de limon qui allaient se fondre dans le torrent des oueds boueux.

En 1900, malgré ces conditions peu favorables, des agriculteurs s'accrochaient avec pugnacité à ces sols en voie de désertification.

Sur les coteaux rocailleux, Alsaciens de 1872 et colons d'Algérie plantent de la vigne. Il faut au préalable dérocher, à la barre à mine, avant de mettre les plants en terre.

En raison de la lourdeur des frais de plantation et de l'exiguïté des lots de culture, les parcelles étaient de taille très réduite. Elles produisaient des vins rouges d'excellente qualité.

Administration municipale en 1900

Maire : Jean Fages ;
adjoint : Antoine Bunoz ;
secrétaire : M. Sanviti;
garde-champêtre : Placide Contat;
médecin de colonisation: Dr Laherre;
architecte : Jules Bastien;
forêts: M. Jumelle (brigadier);
instituteur : Joseph Fouret ;
postes, télégraphe : Constantin Exiga.

Commerçants et artisans

Aubergiste : A. Croso (hôtel des Voyageurs);
boulanger : Auguste Montlahuc;
constructeur de moulins : Étienne Roques;
débitant: M. Fages;
minotier : Narcisse Puech.
AgriculteursParmi eux : MM. Lucien Arnold, Antoine Bunoz, Croso, Jean Fagès, Fietta, Léon Friederich, Mmes veuves Lorin et Pelé, ainsi que MM. François Quéraud, Wetzel et Martin.ViticulteursMme veuve François Arnold 2,50 ha; MM. Dominique Fietta 1,50 ha; Adolphe Chagnaud 80 a; Jean Fages 2 ha; François Audrand et Garofala 1,50 ha; Léon Friederich 60 a; Joseph Lleu 75 a; Augustin Rossi 70 a; Mme veuve Pelé 1,75 ha; Mme veuve Lorin 40 a.

Originaire de Sainte-Marie-aux-Mines, la famille de Ferdinand Arnold ne connaissait pas l'érosion des sols et ses effets sur la désertification. Les pluies et la neige qui tombent finement sur le couvert végétal sont lentement absorbées par le sol. Au- dessus de la ville, au col du même nom, les languettes de glace qui, en hiver, sortent horizontalement des murs, ont la pureté du cristal.

À Aïn-Roua, dans cet ancien grenier de Rome, il tombe en une heure sur un sol érodé et friable, la même quantité d'eau qu'à Sainte-Marie-aux-Mines en un mois. Ceci avec toutes conséquences sur le lavage des sols et le déplacement des limons vers les plaines.

Afin de remédier à cette stérilisation de la terre nourricière, Ferdinand Arnold eut l'idée de planter des arbres sur des banquettes confectionnées, sans aide, à la pioche, le long des courbes de niveau. " Ce fut l'une des toutes premières réalisations; les collines pelées et arides balayées par les vents, brûlées par le gel, délavées par les pluies, retrouvèrent, en quelques années, de la végétation et une nouvelle couche d'humus " (Jean- Paul Arnold).

Sur les bourrelets des banquettes, poussaient des arbres fruitiers et de l'herbe. Ces productions fruitières ou herbagères intéressaient tous ceux qui tentaient de survivre dans ces régions. Arboriculteurs, éleveurs, sans distinction de fortune ou d'origine, trouvaient alors des moyens de développer leurs activités. À cet effet une " coopérative des fruits et légumes des Babor " voyait le jour.

Convaincu qu'il fallait assurer des services aux fellahs, Ferdinand Arnold fondait une coopérative de travaux. Elle offrait à leurs enfants une promotion sociale avec des emplois divers (conducteurs d'engins, mécaniciens).
En raison de l'improductivité d'une énorme portion du territoire, où une maigre végétation était cantonnée dans le creux des vallées, le modèle de régénération des collines dénudées proposé par Ferdinand Arnold, intéressait les services de reboisement des Eaux et Forêts.

C'est en effet sous l'impulsion de MM. Saccardy, conservateur, et Putod, ingénieur des Eaux et Forêts, que le service de la Défense et de la Restauration des Sols (DRS) a été créé avec du matériel bien adapté. Des banquettes sont ouvertes avec de puissants tracteurs équipés de lames " Angle dozer " pour interrompre le ruissellement et faciliter l'infiltration des eaux pluviales dans le sol.
Afin de prévenir la désertification qui menaçait l'Algérie, le relief algérien, à partir de 1952, se couvrait de banquettes de DRS (Défense de la Restauration des Sols). Issue d'une initiative de Ferdinand Arnold, cette entreprise faisait l'admiration des spécialistes étrangers et notamment américains qui dépêchaient le professeur Lawdermilk. Ce géologue constatait qu'à Aïn-Roua, le pic des Cèdres avait retrouvé des cèdres et des sources plus abondantes.

Après le lâche assassinat de Ferdinand Arnold, le 18 février 1958, à l'âge de 49 ans, la ferme de l'Aïn-Guenafed fut abandonnée.

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Ce texte a été rédigé en hommage à ce précurseur de la lutte contre la désertification, la misère et la faim, et à son fils Jean-Paul Arnold, ancien élève de nos écoles d'agriculture d'Algérie. Certainement incomplète, cette note est susceptible d'être développée par tous ceux qui, ayant des attaches familiales à Aïn-Roua, pourront y apporter d'utiles compléments sur l'oeuvre des hommes et des femmes qui, après les Romains, lui redonnèrent une activité profondément humaine. Ces hommes et ces femmes accomplirent, avec pugnacité, en un minimum de temps, ce que dans d'autres pays, d'autres mirent plusieurs siècles à réaliser...

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Bibliographie
- Guide Louis Piesse, 1889.
- Guide Adolphe Joanne, 1908.
- L'oeuvre agricole française en Algérie, ouvrage collectif publié en 1990 par l'Amicale des Anciens élèves des Écoles d'agriculture d'Algérie.
- " Aïn-Roua : des âmes et des greniers ", par Jean-Paul Arnold, in l'algérianiste n° 37, mars 1987. - " À notre ami Jean-Paul Arnold ", par René Martin, in bulletin n° 24 de l'Amicale des Anciens élèves des Écoles d'agriculture d'Algérie, mars 1994.
De plus amples informations sur les sujets abordés peuvent être obtenues en consultant les ouvrages suivants (liste non exhaustive):
- À propos de l'expérimentation d'Aïn-Deheb. Réflexions sur les processus de désertification. De la néguentropie à l'entropie, Alexis Monjauze, contrôleur général des Eaux et Forêts.
- " Le village d'Aïn-Roua ", in Les villages des Hauts Plateaux sétifiens, de Maurice Villard et Yves Bassard.