Du 1 novembre 1954 au 3 juillet 1962, Algérie
2798 jours de guerre ( 19 mars : cessez-le-feu en Algérie)

La Toussaint sanglante : 1er novembre 1954

CDHA- La lettre d'information du 31-10-2025

CDHA
36ter avenue de l'europe , 13090 Aix-en-Provence

 

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CDHA- La lettre d'information du 31-10-2025

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Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, entre 23 h 45 et 3 heures du matin, l’Algérie est secouée par une vague d’attentats. Le premier touche une caserne située entre Boufarik et Blida ; il s’agit pour des rebelles sous les ordres de Amar Ouamrane un Kabyle qui deviendra plus tard responsable de la wilâya 4 et ministre du G.P.R.A. de se saisir du stock d’armes ; l’opération est un échec car le commando rafle seulement 4 mitraillettes et 6 fusils. A quelques kilomètres de là un scénario identique s’est reproduit à la différence que le commando a laissé trois morts et des blessés et n’a pu prendre des armes. Au même moment, la coopérative de Boufarik brûle.

A 0h15, le préfet d’Oran reçoit un coup de téléphone l’informant que la gendarmerie de Cassaigne vient d’essuyer des rafales de mitraillette et qu’un Européen a été tué ; d’autre part à quelques centaines de mètres de là un gardien a été assommé et son fusil lui a été volé. Le préfet est persuadé qu’une série d’événements aussi graves dans une région habituellement calme n’est pas le fruit du hasard. Il ne sait pas encore, il l’apprendra plus tard, que deux fermes ont été mitraillées et que le transformateur du centre d’Ouillis a été attaqué ; le garde ayant été blessé. D’autre part de nombreux poteaux télégraphiques ont été sciés et des fils téléphoniques sectionnés.

A Alger à 0h45, une explosion retentit à l’usine à gaz .A la même heure, deux bombes sont placées à Radio Alger, rue Hoche, ainsi qu’aux pétroles Mory rue de Digne sur les quais du port. Une autre vise le central téléphonique du Champ de Manœuvre. Nulle part les dégâts ne seront importants ; le projet d’embraser Alger est un échec.

Constantinois : 2 heures. Sur la route de Philippeville, la gendarmerie de Condé-Smendou a été attaquée. A dix kilomètres de Constantine, au Kroub c’est la caserne qui a essuyé des coups de feu, dans les deux cas rien de grave n’est à signaler.

2h30 : Biskra .Simultanément, le commissariat et la centrale électrique ont été attaqués. On dénombre quatre Européens blessés dont deux policiers. Alerté par téléphone, le sous-préfet, en résidence à Batna déclenche l’alerte générale. Au même instant, des coups de feu retentissent à la caserne, deux militaires français sont mortellement touchés. Le sous-préfet ne sait pas que Hadj Lakhdar Abidi -futur responsable de la wilâya 1- qui a dirigé l’attaque l’a eu dans sa ligne de mire deux heures auparavant et qu’il n’a pas tiré car il était trop tôt !

3 heures : Kenchela, dans les Aurès. Trois rebelles ont pénétré dans le commissariat et sous la menace de leurs armes se font remettre les revolvers des gardiens de la paix. Le transformateur électrique a sauté ; l’explosion a réveillé en sursaut le lieutenant Darnault qui s’habille à la hâte et sort sur le pas de la porte de la caserne. Cinq coups de fusil sont tirés : le lieutenant et une sentinelle s’écroulent, morts. Les spahis de la caserne ripostent, deux rebelles sont blessés.

Toujours dans les Aurès, à T’Kout, à l’entrée des gorges de Tighanimine, la gendarmerie avec ses dix gendarmes, quatre épouses et cinq enfants est assiégée. Dans cette région aussi, les liaisons téléphoniques et télégraphiques ont été coupées et la localité d’Arris est complètement isolée. Au petit matin, le car Biskra-Arris et ses passagers est stoppé par des inconnus dans un virage ; ils en font descendre un jeune couple d’instituteurs récemment arrivés de Métropole et un caïd ; une rafale claque, le caïd s’effondre, les deux instituteurs également, le jeune homme décèdera quelques heures plus tard, la jeune femme survivra.

Dès 3h30 à Oran, à 4 heures à Alger et à Constantine, des cellules de crise sont réunies.

A Oran, le préfet Lambert est persuadé qu’il s’agit du début d’une insurrection ; le général Wiedespach-Thor, commandant la place d’Oran et le commissaire central sont sceptiques. Mais les ordres du préfet sont formels : appliquer les mesures de l’état de siège, procéder à des arrestations chez les nationalistes fichés par les R.G., multiplier les contrôles d’identité. A l’aube 8 terroristes ont été tués ; sur six d’entre eux on a trouvé des armes ; l’un des deux non armés, s’appelle Ramdane Ben Abdelmalek ; il a assisté à la réunion des 22, au Clos Salambier le 22 juin 1954; c’est un adjoint de Ben M’Hidi. Il est le premier chef de la rébellion à tomber, mais le policier qui enregistre son nom ne le sait pas encore.

Si à Constantine, le général Spillmann commandant la garnison semble surpris, le préfet Dupuch l’est beaucoup moins, lui qui, quelques heures plus tôt avait étudié avec son ami Jean Deleplanque sous-préfet de Batna le problème de la perméabilité de la frontière tunisienne. D’ailleurs à Batna, le sous-préfet a réagi à la manière de Lambert à Oran, avec une priorité, joindre la localité d’Arris.

A Alger, le Gouverneur Général Léonard a convoqué le directeur de la Sureté Jean Vaujour et le commandant en chef Paul Cherrière ; la situation est jugée seulement préoccupante, sauf peut-être par Vaujour ; toutefois le risque d’un embrasement des Aurès est évoqué, et il faut se résoudre à prévenir Paris, c'est-à-dire Pierre Mendès-France le président du Conseil et François Mitterrand le ministre de l’Intérieur, et à demander des renforts.

La radio annonça les attentats dans le courant de la matinée, mais en ce jour férié peu de gens l’écoutaient. A 17 heures, parut le journal T.A.M. Dernières Nouvelles dont la diffusion n’était pas très forte. Ce ne fut donc que le 2 novembre que tous les quotidiens titrèrent sur les événements de la veille.

Le bilan humain des attentats du 1er novembre s’élève à 7 Européens tués dont quatre militaires, deux musulmans tués -le caïd et un policier- Par ailleurs sept personnes furent blessées parmi lesquelles l'épouse du jeune instituteur récemment arrivé de métropole et lâchement abattu aux côtés du caïd.

L’Histoire a accrédité le 1er novembre comme le début de la libération nationale algérienne ; il faut y voir la commotion provoquée par la simultanéité des attentats sur tout le territoire et le « battage médiatique » qui s’en suivit ; il faut y voir également la propagande du F.L.N. dès novembre 1954, mais aussi après l’indépendance, qui dans les manuels d’histoire inculque qu’il y a une Algérie d’avant le 1er novembre et une Algérie après le 1er novembre.

L'Histoire accrédite également le 1er novembre comme le début de la guerre d'Algérie. Peut-on qualifier de guerre un événement au cours desquels un des belligérants abat aveuglément dès le premier jour, des civils, parmi lesquels une femme ? J'ai répondu à cette question dans mon article "guerre ou terrorisme" paru dans le Mémoire Vive, n°92.

Le 1er novembre annonce en fait le début d'attentats qui sèmeront la terreur chez les civils européens, mais aussi chez les Musulmans non acquis à la cause du FLN. Quelques mois plus tard, le 20 août 1955 marque un des premiers sommets de l'horreur à laquelle seront confrontées les populations civiles européennes ainsi que les populations musulmanes non impliquées dans la lutte pour l'indépendance. Suivront une liste non exhaustive, le Milk Bar, Melouza, les massacres de Harkis du printemps 1962, liste qui s'achève avec les 700 morts du 5 juillet.

Gérard Crespo