agriculture et arboriculture en Algérie avant 1962
paru dans " aux échos d'Alger, n°60 de mars 1998
J.P. PASCUITO, (Guyotville)

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Esclapez, Dieudonné, Grima, Domaine de la Trappe, Domaine Ste Marguerite, la SCA de Boufarik, Victor Bernard, les frères Kollen d'Oued el Alleug, voilà quelques noms de l'agriculture et de l'arboriculture algérienne d'avant 1962.

-----Ayant collaboré comme vendeur aux halles d'ALGER pour toutes ces exploitations, conservé par miracle quelques lettres à en-tête, j'ai pensé qu'il est de mon devoir, avant qu'ils ne tombent dans l'oubli, de rappeler ces souvenirs.

-----ESCLA, quels sont ceux d'entre nous, en âge de se souvenir, qui ont pu oublier ces boîtes de confitures marquées ESCLA?
Le dépôt d'ALGER était situé près du cinéma Majestic, en face du square NELSON. Certains l'ignoraient ou l'ignorent encore, ESCLA venait du nom de la famille de Vincent ESCLAPEZ de RELIZANE (Oranie) où étaient situés les vergers et l'usine de conserves et confitures.

-----J'ai très bien connu la famille Vincent ESCLAPEZ, sa femme Charlotte qui était le cerveau de la maison, ses enfants Fernand et Paulin. Ils étaient à la tête d'environ 1.000 hectares d'arbres fruitiers et autres, oliviers, caroubiers, etc.

-----C'était une ferme modèle, cette importante plantation apportant verdure et ombrage plus l'irrigation, a fait que la température moyenne de Relizane, en été, avait baissé de quelques degrés au cours des années de constitution du verger. Excepté les tomates destinées à la conserve dont j'ai été l'un des principaux fournisseurs, à partir des halles d'ALGER ou d'entrepôts d'exportateurs de GUYOTVILLE, POMONA VITIELLO, DI MEGLIO, ALEMANY etc., ainsi que les cerises et prunes Reine Claude de MILIANA dont les achats étaient confiés par Mme ESCLAPEZ à un seul et unique fournisseur, M. Hadj BOUKHATEM de MILIANA. qui jouissait de la confiance totale de la famille ESCLAPEZ, toutes les autres confitures, pêche, abricot, patate douce, orange, etc. étaient faites à partir des produits des vergers ESCLAPEZ.

-----Ils m'exportaient sur ALGER des produits à vendre et, en particulier, des olives dont certaines variétés étaient destinées à être cassées et de très grosses Sévillanes, délicieuses et pleines de chair pour faire entières. Ils exportaient aussi beaucoup en France, l'un des fils, Fernand, s était installé à la Bourse des primeurs à MARSEILLE et avait fondé une société ESCLAP.

-----En bref, voici donc l'histoire de cette famille que j'ai très bien connue et pour laquelle j'avais beaucoup d'estime, ce qui était réciproque envers moi.

-----DIEUDONNE, pépiniériste à BOUFARIK. toute une histoire. Je ne connais pas celle de leur implantation à BOUFARIK, j'ai aussi eu l'honneur d'être leur vendeur aux halles d'ALGER dans les années 60.

-----En plus du rôle de pépiniériste qu'ils avaient, plants d'arbres fruitiers et autres, toutes sortes de fleurs et plantes d'ornement, seule une copie du catalogue des années 1954/55 et 1960 peut donner un aperçu de ce que l'on pouvait se procurer auprès des pépinières et roseraies Louis DIEUDONNE, leur renommé dépassait les frontières de l'Algérie, ils étaient aussi installés à la CHARITÉ SUR LOIRE et à VEDENE dans le Vaucluse.

-----Donc. en plus du rôle de pépiniériste, ils étaient eux-mêmes planteurs d'arbres fruitiers en particulier poires et pommes. Dans les année 60, ils ont été les importateurs exclusifs sur l'Algérie des variétés de poires Santa Mafia, poires fondantes, très colorées jaunes et rouges, d'une très bonne tenue en conservation frigo, de la pêche Spring lime, variété très précoce et de très bon goût, et de prunes Sierra Ru
-----C'est M. et Mme DIEUDONNE qui avaient incité plusieurs domaines d'Algérie à planter ces nouvelles variétés ainsi que les pommes Golden et Red Delicious, les nouveaux traitements qui existaient déjà permettaient d'obtenir de très beaux fruits rivalisant avec des fruits produits dans différentes régions de France, sans oublier les poires William jaunes rouges, Guyot, Passe Crassane, Wilder, Packams etc. Au début des productions de ces nouveaux fruits, beaucoup de colons vendaient ces récoltes sur pieds principalement à un très gros commerçant algérien de la région de Rovigo, M. Omar MATCH, associé à M. Said RAHAL, d'origine Kabyle, ces deux commerçants jouissaient de la confiance totale des colons, payant bien souvent leurs achats après avoir terminé les cueillettes (cette précision afin de décrire le soi-disant climat de méfiance qui existait entre Algériens et Pieds-Noirs).

-----Pour en revenir à DIEUDONNE, c'était véritablement un jardin d'Allah... M. et Mme DIEUDONNE étaient aidé par leurs enfants et principalement dans le domaine arboricole, leur gendre Roger SPRANG qui était maître en la matière.

-----Il a lui aussi vécu un grand malheur, l'assassinat le même jour de son frère et son père sur leur propriété à BOUFARIK. Malgré cette épreuve, il est demeuré en Algérie après la proclamation de l'indépendance et a quitté sa terre natale qu'après les nationalisations d'octobre 1963. Etant donné ses connaissances, les autorités algériennes lui ont même proposé de travailler sur les nouveaux domaines autogérés de l'état.

-----Les époux DIEUDONNE ont quitté l'Algérie après l'indépendance et se sont retirés à Vedène dans le Vaucluse. Il existait entre nous, une amitié et confiance réciproque.

-----LE DOMAINE JAMORY à Maison Carrée était la propriété de M. Henry BERNABE et sa soeur Grima, le nom de JAMORY vient, je crois, de trois prénoms, Jeanne, Monique et Henry. Ils faisaient du jardinage, carottes, navets, artichauts, choux et choux fleurs etc. ils avaient aussi planté beaucoup d'arbres fruitiers de qualité, leurs produits étaient très beaux, bien présentés, surtout en poires, en pêches, pommes en carton de 1 ou 2 rangs recouverts de complexes Cellophanes, comme d'ailleurs la présentation des produits
DIEUDONNE.

-----La famille BERNABE/GRIMA a arrêté l'exploitation de ce domaine aux nationalisations. Après mon retour en France, j'ai revu le fils GRIMA installé à NOVES dans le Vaucluse. J'ai également eu l'honneur de défendre leurs produits sur les halles d'ALGER.

-----LE DOMAINE DE LA TRAPPE, Henri BORGEAUD, qui n'a pas connu au moins de nom et de renommée, LE DOMAINE DE LA TRAPPE et Messieurs BORGEAUD père et fils? Sur intervention de mon beau-père, Jean ALEMANY de GUYOTVILLE, j'ai eu aussi l'honneur et le plaisir d'être vendeur aux halles d'ALGER du domaine de LA TRAPPE, il s'agissait surtout de grosses oranges Navel, plus prisées sur le marché local qu'à l'exportation sur la France. En plus du vin, le domaine de LA TRAPPE produisait des carottes, des pommes de terre, des haricots etc. qui étaient exportés sur la France. Bien sûr, il y avait aussi un grand verger d'agrumes.

-----M. Henri BORGEAUD contrairement à ce que croyaient beaucoup de gens, est demeuré en Algérie après la proclamation de l'indépendance, mon beau-père, Jean ALEMANY. est décédé le 31juillet1962 à GUYOTVILLE (un mois après la proclamation de l'indépendance). Il n'avait pas voulu quitter sa terre natale. Une heure après son décès. M. Henri BORGEAUD est venu nous faire visite, iIs étaient très liés d'amitié, ils avaient fondé en commun avec la participation d'autre riziculteurs, 1' usine de traitement du riz produit sur leurs fermes et l'usine de stockage à GUYOTVILLE et aux dunes entre GUYOTVILLE et STAOUELI, mon beau-père, Jean ALEMANY a été en quelque sorte, le père de la culture du riz en Algérie à partir d'un quart d'hectare planté en 1950, il en produisit en dernier jusqu'à 150 hectares dans sa propriété de BOUFARIK. Une anecdote concernant M. Henri BORGEAUD, véridique, après s'être recueilli devant la dépouille de mon beau-père, nous nous sommes assis dans le salon et avons parlé un peu de la nouvelle situation de l'Algérie indépendante, voici textuellement par quoi il a conclu "PASCUITO, vous verrez, nous allons être choyés "...

-----Le domaine de LA TRAPPE, M. Henri BORGEAUD, encore présent, a été parmi les premières cibles des domaines nationalisés au printemps 1963, avec dans l'Algérois, AVERSENG, GERMAIN, etc. et d'autres domaines en Oranie.

-----Les surfaces moins importantes l'ont été en octobre 1963, j'ai connu également M. BARDELLI et GELY qui ont été, à tour de rôle, directeurs du domaine de LA TRAPPE, sans oublier Jean-Pierre BORGEAUD, très populaire, serviable et avenant.

-----LE DOMAINE DE SAINTE MARGUERITE, près de BOUFARIK, près de CHEBLI et BOUINAN, endroits tragiques actuellement, était en fait, la propriété des parfums CHIRIS de GRASSE, la direction en était assurée par M. Guillaume PAULIAN, sénateur d'ALGER.

-----Ils étaient surtout spécialisés en agrumes, maraîchage et fleurs dont ils faisaient les extraits de parfum destinés à leur usine de GRASSE, géranium, lavande, etc. Leurs installations étaient très modernes. Que sont-elles devenues? Le domaine de SAINTE MARGUERITE a été nationalisé en 1963, j'ai eu le plaisir d'avoir été leur vendeur aux halles d'ALGER, je n'ai pas connu M. PAULIAN, j'avais contact avec le directeur de l'exploitation dont je ne me souviens pas du nom.

-----La S.C.A. Société Coopérative Agricole de BOUFARIK, un vrai monument, j'ai eu l'honneur, dans les années 55/60 d'être le vendeur pour les produits vendus sur les halles d'ALGER, j'avais connu de nom, dans les années 42/45, les directeurs de la S.C.A., M. WEBER et ensuite M. DEMASSIEU. Pour ma part, j'ai travaillé avec eux sous la direction de M. Jean VIALA, homme efficace, compétent et intègre, assisté par M. CHOUILLOU, ils exportaient dans toute l'Europe. La marque S.C.A. était très renommée et se vendait dans tous les ports français, MARSEILLE, SÉTE, PORT- VENDRES, ainsi qu'en Allemagne et en Angleterre, leur image de marque était très soignée, ils n'exportaient que des fruits de première qualité et écartaient tous les autres destinés à la consommation locale, leurs installations étaient ultra modernes pour le conditionnement des agrumes.

-----C'était une coopérative qui regroupait beaucoup de colons de la région de BOUFARIK et des environs, les produits étaient classés, à la rentrée, par catégories et chacun y retrouvait son compte.

-----M. VIALA est rentré en France après les nationalisations puis est décédé dans le Sud-Ouest, je n'ai pas revu M. CHOUILLOU.

-----Après les nationalisations des terres et stations de conditionnements, l'état Algérien a continué à faire tourner cette station sous la marque B6. Ayant conservé une grande partie des cadres algériens parfaitement formés, les agrumes exportés en France, jusque dans les années 1975, sous la marque B6, étaient les mieux conditionnés et présentés de toutes les autres marques d'Algérie exporté~s par I'O.F.L.A. (Office National des Fruits et Légumes d'Algérie).
-----Je ne peux terminer ce récit de souvenirs sans un coup de chapeau à M. Victor BERNARD de BOUFARIK qui avait constitué, en mettant la main à la pâte, un verger de. 150 hectares d'agrumes dans lequel il faisait, pendant que les arbres étaient encore petits, de la culture d'artichauts blancs en intercalaire, qui se vendaient aussi bien aux halles d'ALGER sur mon carreau que ceux qu il exportait à MARSEILLE, où Norbert BOUZER, enfant de BOUFARIK défendait ses intérêts. Sa marque d'exportation était deux doigts en signe de V plus le B de Bernard.

-----Coup de chapeau aussi aux frères KOLLEN d'OUED EL ALLEUG et BOUFARIK, ils étaient apparentés à M. Victor BERNARD, eux aussi étaient à la tête d'un très grand verger de clémentines, oranges et mandarines qu'ils exportaient en France et vendaient aussi sur les halles d'Alger où j'ai défendu leurs couleurs. la marque K.F.

-----Voilà c'était quelques souvenirs de mon travail et de l'agriculture d'Algérie d'avant 1962.
Le 26-05-1997
J.P. PASCUITO, (Guyotville)