sur site le 3-1-2004
-Gloire à l'Armée d'Afrique
les Tirailleurs algériens : in memoriam
Général André LENORMAND
extrait de Historia Magazine, la guerre d'Algérie, n°218/25, 6 mars 1972

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1.-uniforme de tirailleur, turco, 1844
1.-uniforme de tirailleur, turco, 1844
2.-turco en sentinelle, 1844


3.-Province d'Alger, 1er uniforme
4.-Porte-aigle en grande tenue
5.-officier tirailleur algérien
6.-Caporal tirailleur algérien
7.-Le tambour du 7è R.T.A. , 1919
8.-7è R.T.A. , Maroc, 1919

-------Pendant plus de cent ans, la France a compté dans les rangs de son armée des Algériens musulmans dont il est inutile, tant cela est connu, de rappeler qu'ils prirent une part active et glorieuse à notre histoire militaire.
-------L'armée française avait su conquérir la confiance, l'estime et le dévouement total de ces Arabes, Kabyles, Arabo-Berbères qui servaient avec fierté dans les unités de tirailleurs et de spahis.
-------Et puis cette armée d'Afrique a disparu de notre horizon et si sa présence physique n'est plus, son souvenir demeure dans le coeur de tous ceux, Français de souche comme anciens tirailleurs algériens, qui ont eu l'honneur de servir dans ses rangs.
-------Notre propos n'est pas de faire l'historique des unités de tirailleurs nordafricains mais d'exposer brièvement quelques traits caractéristiques de l'évolution de leur formation et du comportement de ces troupes.
-------Tout d'abord, les contingents indigènes furent considérés comme des auxiliaires de l'armée. Issue des " bataillons indigènes " recrutés dès le 1er octobre 1830 - soit trois mois après le débarquement à Sidi-Ferruch -, et après bien des tâtonnements et des transformations, une unité formant corps fut créée le 10 février 1840 comprenant un escadron de spahis et quatre compagnies d'infanterie. En 1841, trois bataillons de " tirailleurs indigènes " furent formés, un pour chaque province, avec officiers français parlant obligatoirement arabe et officiers musulmans.
-------Ce n'est qu'en 1843 qu'un uniforme fut adopté, qui ne manquait ni de coloris ni de pittoresque : veste arabe vert dragon, gilet et pantalon de drap garance, ceinture cramoisie, calotte cramoisie avec gland bleu, turban en coton rayé blanc et bleu, petit collet ou caban vert.
-------À partir de 1853, les bataillons prirent les caractéristiques d'une troupe régulière et l'uniforme qui leur fut donné resta à peu de chose près le même jusqu'en 1914 : pantalon et veste bleu ciel, caban bleu foncé, ceinture et chéchia rouges. Le tombeau de la veste, ou fausse poche, distinguait l'origine des bataillons : garance pour celui d'Alger, blanc pour celui d'Oran et jonquille pour celui de Constantine.
-------C'est dans cet uniforme que fut créé, le 9 mars 1853, le " régiment de tirailleurs algériens ". Le 1er janvier 1856 furent formés trois régiments, un dans chacune des provinces, le premier à Alger, le deuxième à Oran et le troisième à Constantine. Ce sont les trois ancêtres dont tous les régiments de tirailleurs algériens sont issus - et c'est depuis cette date qu'ils font vraiment partie intégrante de l'armée française.

Les " boujadi " jeunes appelés

-------Plus connus sous le nom de " turcos ", ils participent à toutes les campagnes du second Empire et de la IIIe République : guerres de Crimée (1854-1855) et d'Italie (1859), campagne du Sénégal (1860-1861) et de Cochinchine (18611864), guerre du Mexique (1862-1867), guerre de 1870-1871 en Lorraine, aux armées de la Loire et de l'Est, campagnes de Tunisie (1881-1883), du Tonkin (1883-1886), de Madagascar (1895), colonnes de pacification en Algérie, au Sahara, opérations au Maroc de 1907 à 1912.
-------Partout où la France combattait il y eut des tirailleurs algériens, vrais guerriers, hommes de poudre, combattants ardents, téméraires.
-------Les qualités des contingents algériens incitèrent le gouvernement à en tirer un plus grand parti pour étoffer l'armée française, surtout devant les marées impérialistes allemandes du début du xxe siècle. Le recrutement des troupes nord-africaines se faisait uniquement par engagement et rengagement jusqu'à la parution du décret du 3 février 1912, qui instituait un recrutement de tous les Algériens âgés de dix-neuf ans afin de pouvoir pratiquer l'appel de ces jeunes gens et compléter ainsi les effectifs fixés par le ministère de la Guerre.
-------Le 1er août 1914, l'Algérie comptait 28 900 engagés ou rengagés et 3 870 appelés - soit 13 % de boujadi (jeunes appelés). Pendant la guerre 1914-1918, le nombre des engagés fut de 80 000, celui des appelés fut le même. Plus de trente régiments de tirailleurs prirent
part à la Grande Guerre, au cours de laquelle leur conduite fut digne des plus grands éloges.
-------Après la guerre, la proportion d'appelés fut variable ; certains régiments en avaient 10 %, d'autres 30 %. Par un système de relève, on peut dire que tous les bataillons de tirailleurs firent campagne de 1918 à 1939, soit au Maroc, soit en Syrie, et ce furent de très
belles unités qui prirent part à la seconde guerre mondiale. Pendant la malheureuse campagne de 1940, elles firent preuve de fermeté dans l'adversité et d'un dévouement absolu. Les pertes furent cruelles.
-------Plus tard, les unités de tirailleurs, reformées avec les " restes " et des engagés, sous l'impulsion d'abord du général Weygand, puis du général Juin, furent le fer de lance de l'armée française de la reconquête. Le corps expéditionnaire français en Italie, la 1è armée en France, en Alsace, en Allemagne, eurent un noyau d'infanterie algérienne et marocaine qui fut à l'origine de bien des victoires - Garigliano et passage du Rhin, pour n'en citer que deux.
-------Mais qu'étaient-ils donc, ces hommes du Maghreb, si attachés et si fidèles au drapeau français ?
-------Deux types bien distincts composaient l'armée d'Afrique. L'Arabe, grand, au teint plus foncé, le nez légèrement busqué, bavard et enthousiaste, aimant la fantasia, dépensier, parfois nonchalant et négligent. Le Kabyle, de taille moyenne, figure ronde, aux yeux clairs, souvent taciturne, travailleur, industrieux, cherchant à " gagner du galon ", économe.

La fidélité au chef...

-------Tous étaient courageux, résistants, marcheurs infatigables, enclins à la chikaya, aux disputes, rancuniers parce que susceptibles... Mais toutes ces imperfections étaient effacées par une qualité précieuse : la fidélité au régiment et à la personne du chef qui les commandait directement.
-------Combien d'officiers et de sous-officiers ont eu la vie sauve grâce au dévouement total d'un de leurs tirailleurs, en particulier de leur ordonnance ! En juillet 1925, dans la région de M'Sila (Rif oriental), au cours d'un combat rapproché, le tirailleur Arab ben o Mohamed, ordonnance d'un sous-lieutenant, se porte auprès de son chef et lui fait un rempart de son corps. Il est tué. Le sergent Amrouche se tourne alors vers un tirailleur et lui dit : " Ahmed, prends la place. " Ahmed, un colosse de 1,80 m, couvre de sa haute stature son jeune chef de section.

 

-------Jamais un mort ou un blessé n'était abandonné sur le terrain, au besoin toute la compagnie participait à son ramassage.
-------Cette fidélité, cet attachement, s'expliquent par la forme même du service dans les unités nord-africaines et aussi par le besoin que le tirailleur éprouve d'être commandé par un gradé qu'il connaît.
-------Avant 1940, l'appelé ou l'engagé était mis à l'instruction pendant près d'un an, puis affecté à une section d'une compagnie ; il y restait le temps de son
service légal ou le temps de son contrat. Ceux qui rengageaient restaient dans leur compagnie d'origine.
D'autre part, il était normal pour un officier sortant d'une école de faire cinq ou six ans à la tête de sa section. Il était fréquent pour itn officier de servir dans un régiment de tirailleurs pendant plus de quinze ans de sa carrière (au cours de plusieurs périodes).
-------C'est ainsi par exemple qu'un bataillon du 22e R.T.A. quitta Verdun en juin 1915 pour le Maroc et y retourna en novembre 1916 avec les cadres qui n'avaient pas été mis hors de combat. Cette continuité dans le commandement et le service à long terme de la troupe donnaient une valeur exceptionnelle aux unités de tirailleurs.
-------Si la victoire de 1945 avait effacé la défaite de 1940, les campagnes d'Italie, de France et d'Allemagne avaient creusé de grands vides dans les régiments de tirailleurs. Ils finirent la guerre usés. Les pertes avaient été particulièrement sensibles parmi les gradés, sergents, caporaux-chefs et caporaux, qui avaient payé très cher leurs galons et qui formaient l'ossature solide des petites unités.
-------Aussi, lorsqu'il fut nécessaire de diriger d'urgence vers l'Indochine des unités de tirailleurs, celles-ci ne représentaient pas la valeur qu'elles avaient avant 1940, car pour honorer les tableaux d'effectifs de l'encadrement, il avait fallu procéder à des nominations de gradés qui n'avaient ni l'autorité, ni l'expérience, ni la maturité pour assumer le commandement d'une troupe qui elle-même était jeune et dont l'instruction, en raison des circonstances, avait dû être faite très vite.

La déception de l'Indochine

-------Par la suite, la relève des effectifs en Indochine se fit par l'envoi de renforts dont une partie des cadres seulement avaient dirigé leur instruction et leur mise en condition de départ. Tout cela ne contribuait guère à valoriser les unités de tirailleurs.
-------Cette troupe aurait eu besoin de victoires et si elle eut des engagements heureux, dans son ensemble, elle fut déçue par notre éviction d'ExtrêmeOrient.
-------À peine de retour en Algérie, elle fut engagée dans les opérations de maintien de l'ordre et de répression de la rébellion. C'était beaucoup demander. Et pourtant, jusqu'en 1956, le tirailleur demeura fidèle à son régiment, à ses chefs. Après cette date, des régiments furent renvoyés en France ; en revanche, des unités restèrent hautement fidèles jusqu'à la fin de la présence française en Algérie.
-------Même après avoir quitté l'armée le tirailleur restait attaché à son passé militaire. Pour s'en convaincre, il suffisait de regarder avec quelle fierté il portait ses décorations sur son burnous et comme il témoignait une touchante amitié aux chefs qui avaient servi en Afrique du Nord. Comme ce sergent retraité et chef de son village dans l'Aurès qui ccueillait, en 1942, un capitaine en lui déclarant qu'il refusait la défaite de 1940. " Il y aura d'autres batailles ", disait-il et il ajoutait : " Le général de Gaulle en Angleterre, le maréchal Pétain en France, ce sont des chefs français qui s'entendront pour rouler les Allemands. " Que de bon sens et de foi dans la France !
-------Un colonel rencontre en ville un ancien caporal de son régiment. Ils boivent ensemble un café. On parle des anciens. Il y a des silences en se regardant les yeux dans les yeux ; puis, tout à coup, ce vieux soldat se penche vers son ancien chef et lui dit : " Tu vois, toi et moi, tous les deux ensemble, on est bien. " Oui, on " était bien " dans un régiment de tirailleurs où chacun avait choisi de faire carrière.
-------Après plus d'un siècle d'existence, les régiments de tirailleurs n'existent plus. Ces vieux soldats, ces fiers guerriers, sont tombés au service de notre pays, en France, en 1940, en Tunisie, en 1943, en France de nouveau, pour la libérer, en Allemagne, en 1944 et 1945. Ceux qui avaient survécu se sont usés physiquement et moralement ou sont morts dans les rizières d'Indochine.

-------Les tirailleurs algériens écrivirent pour l'armée française des pages parmi les plus glorieuses de son histoire. Au cours de la guerre 1914-1918, leur discipline et leur courage leur valurent les plus hautes distinctions. Au cours de la 2° guerre mondiale, ils renouvelèrent leurs exploits, en Tunisie, puis en Italie. Ils furent parmi les remarquables combattants qui, à Cassino, obligèrent la Wehrmacht à se replier. C'est la 3° division algérienne, sous le commandement du général de Monsabert, qui, au prix de combats acharnés et de lourdes pertes, enleva le Belvédère et ouvrit une brèche dans la ligne Gustav. Les tirailleurs algériens participèrent avec les pieds-noirs au débarquement en Provence et à la libération de la France. A leur retour d'Indochine, la majorité d'entre eux reprit le combat en Algérie, essentiellement dans les montagnes, pour mener une guerre, qui, au départ, leur était incompréhensible.


-------Que reste-t-il de ces magnifiques guerriers ? Des tombes dans bien des continents, des milliers de Légions d'honneur, 120 000 médailles militaires en
Afrique du Nord, des centaines de milliers de croix de guerre, des drapeaux décorés de la Légion d'honneur, de la médaille militaire et de la croix de guerre.
-------Il demeure aussi, pour l'armée française, le souvenir d'avoir compté dans ses rangs des Algériens, arabes et kabyles, qui ont accompli leur devoir avec honneur et fidélité.
-------Et pour tous ceux qui ont servi dans les unités nord-africaines, Français de souche et Algériens, la satisfaction et la gloire d'avoir combattu côte à côte dans les rangs d'une troupe d'élite.

Général André LENORMAND