-Les Milices africaines
aïeules de nos unités territoriales

Gaston Palisser
Deuxième partie
Les milices de l'Algérie -
Les milices algériennes - Les milices indigènes-Les milices du Second Empire - La Garde nationale de 1871
extraits du numéro 103 , septembre 2003 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"

mise sur site le 27-2-2010

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Les Milices africaines
aïeules de nos unités territoriales
Gaston Palisser
Deuxième partie


Depuis les événements de 1839, la Milice africaine s'était étoffée.

Cette année-là, l'accroissement de la population avait permis d'augmenter la force des 4e et 5e bataillons de cette Milice, dans les communes rurales du massif d'Alger, implantées sur les deux rives de l'Harrach, par la formation de deux nouvelles compagnies dans la plaine de la Mitidja, au quartier de Ben Moussa.

C'est ainsi qu'en 1841, la légion d'Alger comprenait un colonel, un lieutenant- colonel, un major, un chirurgien-major, huit capitaines, dont un trésorier, un d'armement, un d'ordonnance et cinq rapporteurs, sept lieutenants, dont un porte-drapeau et un chef de musique. Le petit état-major se composait d'un tambour-major, d'un maître-tambour, de trois sergents de musique et d'un sergent de sapeurs, d'un caporal, de sept sapeurs et de trente-trois musiciens. Dans le même temps, les états-majors d'Oran et de Bône comprenaient neuf officiers, tandis que celui de Philippeville en comptait dix et celui de Bougie seulement trois.

Six bataillons composaient la milice d'Alger, plus un corps de réserve de 368 miliciens, à quoi s'ajoutait la compagnie de Cherchell, ce qui portait le total à 4 386 hommes, contre 1 807 seulement en 1839. C'était à la fois l'augmentation de la population et un recrutement plus sélectif qui avait permis cet accroissement d'effectifs. La milice d'Oran et de Mostaganem comprenait 35 officiers, 915 sous-officiers et miliciens et 40 hommes de réserve, soit au total 990 hommes répartis en artilleurs, pompiers, grenadiers, marins-voltigeurs et trois compagnies de chasseurs. L'effectif de cette province, concentré sur deux points seulement, était le plus fort. Celle de Bône comptait 22 officiers et 435 sous-officiers et miliciens formant cinq compagnies. Dès 1831, l'intrépide Yusuf y avait mis sur pied sa propre milice. S'étant emparé de la ville conjointement avec le capitaine d'Armandy et dans des conditions inouïes d'audace, il s'y était installé à la tête de miliciens turcs à sa solde, dont l'un avait bien 70 ans et y maintint l'ordre jusqu'à l'arrivée des troupes françaises. Le 21 septembre 1832, l'arrêté du duc de Rovigo pourvut Bône d'une garde nationale calquée sur celle d'Alger et, en 1836 et 1837, on la vit rivaliser de zèle et de courage avec les colonnes régulières, lors des deux expéditions de Constantine.

À Philippeville, la population s'était constituée spontanément en milice, dix- huit mois seulement après l'établissement des Français dans cette cité, les tribus voisines faisant peser sur elle leur menace en permanence. Situation qui fut régularisée, un peu plus tard, par l'autorité militaire. Quatre, puis cinq compagnies de milice furent créées, leurs commandants et capitaines étant soumis à élection et, pendant plusieurs mois encore, elles assurèrent un service quasiment actif, l'armée leur ayant confié divers postes. À la fin de 1841, cette milice comptait un effectif de 1 100 hommes, en fournissant 35 par jour, ce qui théoriquement leur imposait un tour de garde tous les 31 jours. Cette même année, durant le mois de septembre, l'armée ayant été appelée à réprimer quelques actes de banditisme, en particulier à El-Arrouch, 157 miliciens prirent la garde pendant plus de quinze jours.

Enfin, le 11 octobre 1841, une compagnie de milice se forma à Stora, mesure que l'assassinat de trois soldats ainsi que de nombreux vols
commis dans le port avait rendue nécessaire. Le bataillon de Philippeville comprit ainsi dix compagnies.

Au 17 janvier 1842, le quart de la population philippevilloise se trouvait incorporé.

Plus près d'Alger, dans la Mitidja, un centre agricole ayant été créé, sous le nom de Médina Clauzel, par arrêté du 27 septembre 1836, près de l'emplacement du marché indigène séculaire et à proximité du camp d'Erlon, le nouveau village reçut aussitôt une milice africaine en cadeau de naissance. Tous les Européens de 20 à 50 ans, patentés ou propriétaires, furent appelés au service de cette milice qui, dès le début, fournit déjà une compagnie complète commandée par M. Eymin, capitaine. Cette formation paramilitaire, à dater de sa création et jusqu'en 1842, sera vivement occupée en permanence et dans des conditions plus que pénibles, quelquefois même dramatiques. " Dans cette période héroïque, écrit Trumelet, la générale appellera presque chaque jour les colons aux armes; chaque jour verra son combat; chaque nuit aura ses tueries, ses vols, ses incendies.Des jours sans repos, des nuits sans sommeil, telle sera, pendant cinq longues années, leur existence ". Le service de la milice de Boufarik était des plus pénibles: elle fournissait 25 hommes de garde par jour; cinq postes lui étaient confiés, ceux des quatre portes de la ville et un cinquième placé au centre comme réserve.

Cependant, malgré la vigilance de ces volontaires, l'étendue de Boufarik était trop considérable et ses maisons trop dispersées pour qu'il fût possible aux divers postes d'exercer, pendant la nuit, une surveillance efficace dans toutes les parties de ce vaste établissement.

Rien n'était plus facile aux pillards Hadjoutes que de franchir inaperçus le fossé de l'enceinte et de venir allumer des incendies dans l'intérieur du centre. Les meules de foin et les baraquements de planches brûlaient alors, laissant les malheureux colons ruinés et sans abri. C'est dans des gourbis que le sergent-major allait chercher ses hommes qu'il trouvait, une fois sur deux, minés par la fièvre ou tordus par la dysenterie, couchés sur une poignée de foin ou sur la terre nue. Il y avait tant de malades qu'on dût se résoudre à payer les gardes de nuit, car les valides devaient les prendre quasiment en permanence et ne pouvaient plus travailler pour gagner leur vie. Ils reçurent dix francs par nuit.

Mais Boufarik, " la première victoire de la quinine ", " la plus belle réalisation du génie colonisateur de la France ", " l'émeraude pêchée dans la vase " (Trumelet) était née, car son nom préfabriqué de Médina Clauzel n'avait eu qu'une vie éphémère.

Le 30 mars 1841, Bugeaud, passant à Boufarik et se rendant à Blida, est accueilli par la milice. Celle-ci avait perdu, en cinq ans, seize hommes tués, trente-huit colons avaient été enlevés dont vingt-deux ne rentrèrent jamais. Bugeaud se montra peu optimiste: " Si j'ai un conseil à vous donner, dit-il, c'est de faire vos paquets et de filer sur Alger! ". Puis il passa la milice en revue. Les armes des miliciens étaient celles de bagarreurs peu habituées à être briquées. Le général s'arrêta devant un colon dont le fusil n'était rien moins qu'éblouissant: la batterie surtout, encrassée de rouille et de poudre, présentait une nuance roux foncé : " Votre fusil, milicien, fit observer le gouverneur, n'est pas d'une propreté excessive! " - " C'est possible, mon général, mais permettez-moi de vous faire observer qu'un chien noir mord tout aussi bien qu'un chien blanc ". Bugeaud sourit et passa.

En 1844, Boufarik connaîtra enfin une paix relative. Sa milice comprenait alors 264 hommes et un tambour, 19 sous-officiers, 26 caporaux et 9 officiers. Le bataillon de la ville comprenait trois compagnies de chasseurs intra muros, une compagnie extra muros et une section de sapeurs-pompiers.

A Alger, le service de garde et de patrouille était fatigant. Les hommes n'éprouvaient guère de plaisir à gravir, la nuit, les hauteurs de la Casbah pour y faire la police ou à passer de longues heures dans les guérites. Ce fut au cours d'une de ces patrouilles nocturnes, dans la partie supérieure de la rue de la Casbah, que le notaire Auger fut grièvement blessé d'un coup de couteau. Il en réchappa heureusement, et fut décoré. Les miliciens s'évertuaient à esquiver un service peu agréable à qui ne portait pas l'épaulette et certains parvenaient à ne jamais prendre de tour de garde. D'autres, au contraire, les prenaient presque tous les jours à leur place, moyennant un dédommagement financier. Ceux-là en faisaient même un métier. Mais en 1836, ce droit de remplacement fut limité aux seuls membres de la famille. Puis, le 17 décembre 1841, un arrêté le toléra seulement à l'intérieur du même bataillon, ce qui donne à penser que le remplacement professionnel devait se pratiquer auparavant sur une grande échelle entre les trois bataillons d'Alger. Les abus durent cependant continuer puisque, le 14 avril 1843, Bugeaud prit un nouvel arrêté limitant les remplacements à l'intérieur d'une même compagnie, ce qui diminuait évidemment l'activité des remplaçants professionnels.

" Il est probable, nous dit Aumeran dans ses Souvenirs algériens, que l'autorité militaire, en créant tous ces divers corps spéciaux, n'avait eu d'autre but que celui d'agrémenter un service souvent pénible, en flattant la vanité bourgeoise par la variété du costume. Celui des cavaliers était élégant. Celui des éclaireurs l'était moins, il y avait trop de jaune: le collet, les parements, le pourtour du képi étaient jaunes. On se moquait des jeunes gens qui en faisaient partie, en les traitant de serins, ce qui amena bien des querelles... ". Les marins de la milice portaient la tenue de matelot, leurs officiers l'uniforme de lieutenant de vaisseau ou d'enseigne. Mais tous ces petits travers n'empêchaient pas les miliciens des divers corps de faire leur devoir quand l'occasion s'en présentait.

En 1847, un épisode comique fit jaser tous les Algérois: une nuit, un milicien de garde, rue Bruce, devant la Djénina,

Après la révolution de février 1848, les milices africaines changèrent d'appellation et devinrent les " milices de l'Algérie ". Par un arrêté du 23 mars suivant, le successeur du maréchal Bugeaud, le général Cavaignac, abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres de l'autorité militaire et remettait en vigueur l'arrêté du 28 octobre 1836. La première conséquence de cette décision fut le retour à l'élection des officiers de la milice. Les officiers, jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par les miliciens, tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux, étaient élus par les officiers et sous-officiers, et nommés par choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une liste de trois noms. Autre conséquence alors palais du gouverneur, et s'ennuyant dans sa guérite, éprouva la fantaisie de transporter celle-ci ailleurs. Ce milicien se nommait Soldini et avait été recruté au titre étranger. Cet homme, un véritable colosse, prit la guérite sur son dos et les rares promeneurs nocturnes de ce quartier eurent la surprise de le voir descendre la rue du Divan, s'acheminant vers la place du Gouvernement, alors place Royale, où il déposa son édicule aux pieds de la statue du duc d'Orléans ! L'affaire fit du bruit. Le terrible commandant de la place, le colonel Marengo, qui détestait cordialement les fantaisistes, s'apprêtait à infliger une condamnation exemplaire à celui qui avait osé abandonner son poste en pleine nuit. Mais le chef de la milice, le colonel Lacroutz, alla vite rapporter l'histoire au maréchal Bugeaud qui s'en divertit si bien qu'il fit commuer la condamnation de Marengo en une sévère réprimande du Conseil de discipline.

Les milices de l'Algérie

Après la révolution de février 1848, les milices africaines changèrent d'appellation et devinrent les " milices de l'Algérie ". Par un arrêté du 23 mars suivant, le successeur du maréchal Bugeaud, le général Cavaignac, abrogeait les textes plaçant les milices sous les ordres de l'autorité militaire et remettait en vigueur l'arrêté du 28 octobre 1836. La première conséquence de cette décision fut le retour à l'élection des officiers de la milice. Les officiers, jusqu'au grade de capitaine, étaient élus par les miliciens, tandis que les chefs de bataillon ou d'escadron, les porte-drapeaux, étaient élus par les officiers et sous-officiers, et nommés par choix. Le gouverneur général qui, par ailleurs, désignait directement le colonel et le lieutenant-colonel, les choisissait sur une liste de trois noms. Autre conséquence, les jurys de révision, au lieu d'être présidés par le tribunal civil de première instance (arrêté du 12 décembre 1836), le furent par le juge de paix.Une autre conséquence du changement de régime fut que les Algérois voulurent déboulonner, le 28 octobre suivant, la statue équestre du duc d'Orléans. Des miliciens zélés s'y employaient déjà lorsque, selon une légende, vint à passer un milicien israélite, homme aux cheveux blancs et d'embonpoint sérieux. S'étant enquis des motifs de cette agitation, notre milicien se vit répondre que la République étant de nouveau proclamée, les droits du peuple rétablis, les tenants de l'ancien régime devaient disparaître. " Qu'est-ce que cela peut bien vous faire, observa notre homme, et pourquoi vous en prendre à celui- là qui ne coûte rien à nourrir? ". Cette réflexion amusa extrêmement les émeutiers qui, éclatant de rire et désarmés, abandonnèrent leur besogne destructrice. C'est grâce à cette boutade frappée au coin du bon sens que, paraît-il, la statue du fils aîné de Louis-Philippe dut de se dresser longtemps encore sur la place du Gouvernement, que les indigènes dénommèrent " Plaça de l'Aoud ".

Les milices algériennes

La Deuxième République n'ayant guère duré, le coup d'État de 1851 amena, dans un premier temps, le désarmement de toutes les milices. Puis, un décret du 12 juin 1852, avec une légère modification de leur nom: " les milices algériennes ", ordonna une réorganisation de ces dernières. Le prince Louis-Napoléon, qui venait de réviser les gardes nationales de la métropole, s'occupa activement des milices de
l'Algérie. Il pensait que les unes et les autres ne devaient plus constituer une " garantie contre le pouvoir ", mais être une garan?
tie contre le désordre et l'insurrection. Sans doute alors, sans encore le dire, songeait-il à jeter les bases de son prochain Empire. Quant aux nouvelles milices de l'Algérie, leur rôle principal était de prêter main-forte à l'armée pour assurer l'intégrité du territoire conquis à la civilisation européenne.

Devenu Napoléon III, l'empereur exposa, en 1865, dans sa Lettre sur la politique de la France en Algérie, adressée au maréchal de Mac-Mahon, gouverneur général de la colonie, une idée qui préludait à celle qui allait présider à l'organisation de la Garde mobile en France: tous les Français participeraient au tirage au sort et ceux qui seraient désignés pour le service de la milice, seraient versés dans la réserve de l'armée active pour sept ans et feraient des périodes d'instruction dans les régiments de ligne. Finalement, cette idée, qui avait l'inconvénient majeur d'entraver les travaux de la colonisation, ne reçut aucun commencement d'exécution en Algérie.

Une nouvelle réorganisation fut décidée le 9 novembre 1859. La milice passait sous l'autorité du ministre de l'Algérie et des Colonies dont les représentants, furent en Algérie et suivant les territoires, les préfets et les généraux de division. De nouvelles conditions d'âge, de profession et même des cas d'indignité, furent prévues, différentes questions étudiées et sanctionnées par un conseil de recensement par commune présidé par le maire. Décision dont il pouvait être fait appel devant le jury de révision du canton présidé par le juge de paix.

Il faut noter que depuis 1832, les milices recevaient des tenues de drap plus adaptées aux climats nordiques qu'à celui de l'Algérie, errements que de nombreux chefs stigmatisaient en vain.

Un décret avait fixé l'habillement et l'équipement des miliciens urbains et ruraux. Les premiers portaient une tenue bleu roi, comprenant une tunique et une capote à collet écarlate avec un rang de boutons portant l'exergue: Milices algériennes, le pantalon pouvait être blanc en été.

Les ruraux portaient une blouse de toile bleue au collet écarlate ou en velours, suivant la subdivision d'armes. Les officiers coiffaient un képi bleu avec liseré blanc et rouge; les hommes de troupe avaient une casquette en carton recouverte de toile cirée. Les officiers des formations rurales portaient l'uniforme des officiers des unités urbaines, les signes distinctifs des grades demeurant ceux de l'infanterie de ligne.

Quant à l'équipement et à l'armement, ils consistaient, pour les officiers, en un ceinturon de cuir noir et un sabre d'infanterie; pour les sous-officiers, caporaux et miliciens, en une cartouchière de cuir noir fermée par une agrafe de cuivre et supportant le sabre d'infanterie (sous- officiers et caporaux) ou la baïonnette.

L'historique des uniformes de la Garde puis de la Milice est assez malaisé à établir car, compte tenu des instructions générales visant à l'uniformité de la tenue, chacun y ajoutait avec entêtement les caractéristiques de son arme d'origine. Jusqu'en 1848, beaucoup de miliciens de situation aisée s'achetaient leur uniforme; mais à partir de cette date, l'administration fournit elle-même les tenues des milices urbaines qui acquirent ainsi plus d'unité. Quant aux ruraux, ils étaient seulement armés; ce qu'ils souhaitaient au fond. Ceux-là, fortement intéressés par la défense de leurs biens, n'éprouvaient nul besoin de parader et se contentaient fort bien de leur blouse. Et, à ce propos, une anecdote réjouissante nous est demeurée: un jour, c'était en juin 1860, le maréchal Pélissier, gouverneur général, annonça sa visite au centre de Bordj-Ménaïel. Grand branle-bas de rassemblement de la milice qui comptait beaucoup d'hommes en blouse. Longues discussions au conseil de la compagnie : les uns proposaient de ne pas mettre les blousards sur les rangs, les autres prétendaient que le maréchal, très fouinard, demanderait le contrôle de l'effectif et que le remède serait pire que le mal. On se résigna donc à rassembler toute la compagnie en plaçant les blousards à la gauche des hommes en tenue. Tout se passa bien jusqu'à ce que le duc de Malakoff parvienne à hauteur de la gauche de la haie d'honneur. Là, le gouverneur s'arrêta tout à coup et, d'une voie tonnante, appela le capitaine commandant la milice, qui le suivait d'ailleurs à trois pas.
- " N... de D..., capitaine, qu'est-ce que ceux-là? ".
Sidéré, le pauvre homme, qui se voyait déjà cassé de son grade, se mit à patauger lamentablement, sans parvenir à trouver une quelconque explication.
- " Monsieur le Maréchal ! ... Monsieur le gouverneur ! ... Monsieur le Duc!... ".
- " N... de D... ! lui rétorqua l'irascible maréchal, voulez-vous que je vous le dise, moi! Eh bien, ce sont les moins bêtes de votre compagnie. Au lieu de fondre dans leurs tuniques comme vous et moi, ils sont au frais dans leurs blouses ! ".

Dans chaque ville, l'armement matriculé avec un contrôle tenu par le maire, était géré par un officier ou un sous-officier: un capitaine à la légion, un adjudant- major au bataillon, un lieutenant' au groupe de compagnie, un sous-lieutenant à la compagnie, un sous-officier dans les subdivisions de compagnie. L'officier d'armement passait une revue trimestrielle. Les officiers d'artillerie en passaient une tous les ans, assistés d'un contrôleur d'armes aux frais des communes. Ces revues avaient toujours lieu un dimanche.

En temps ordinaire, les armes du service courant, en tout cas celles de réserve, étaient déposées dans un local spécial, sous la surveillance d'un tambour qui était appointé par la commune, appointements fort chiches il est vrai. En Alger, dans les premières années, ces tambours, préposés à la garde des armes, furent logés dans la mosquée désaffectée du Marché au Lin (Djama souk el Kettan), au 121 de la rue Porte-Neuve.

Le journal satirique Le Moqueur du 19 novembre 1865, nous apprend par une anecdote, que cette disposition demeurait encore en vigueur chez les ruraux: à Duperré, près de Miliana, le tambour du village ne battait que d'une seule baguette, laissant l'autre au baudrier. À ceux qui s'en étonnaient, il répondait: " Dame, dans les autres villages, on donne dix francs par mois au tambour.

Les milices indigènes

À toutes ces troupes d'appoint, il faut ajouter une milice indigène qui fut créée à Tlemcen, suivant un arrêté du gouverneur général du 14 février 1842. Cette milice devait comprendre quatre compagnies qui seraient plus spécialement attachées au service de la province, mais qui marcheraient sous les ordres du commandant des troupes françaises, partout où besoin serait. Chacune de ces compagnies devait comprendre : un commandant indigène ayant le grade de lieutenant, quatre sergents, dont un devait remplir les fonctions de fourrier, trois caporaux, deux tambours ou clairons et cent miliciens, ce qui constituait un effectif total de 110 hommes. Les quatre compagnies se trouvaient sous le commandement d'un officier indigène ayant reçu le grade de capitaine.

La solde mensuelle de ces hommes était de 150 F pour le capitaine, de 100 F pour les lieutenants, les sergents touchaient 1,50 F par jour, les caporaux 1,25 F, les tambours ou clairons 1,05 F et les miliciens 1 F. Au moyen de cette solde, les officiers et miliciens devaient pourvoir à tous leurs besoins et n'avaient droit à aucune autre espèce d'allocation, soit en argent, soit en nature. Si les nécessités de la guerre et des opérations obligeaient à leur délivrer des vivres en campagne, la valeur de ces vivres ainsi distribuées devait être prélevée sur leur solde. C'était le commandant de la place de Tlemcen qui était chargé de tenir la comptabilité générale de cette milice et de faire payer la solde. Ajoutons qu'à ce bataillon de milice était adjoint un médecin chirurgien. Le premier titulaire fut Benzergua Mohamed, qui avait été le propre médecin d'Abd el- Kader.

Mais cette dénomination de " milice " était en fait une réminiscence des milices turques de la Régence. C'était une troupe auxiliaire composée d'anciens partisans d'Abd-el-Kader, donc peu comparable à une milice populaire prenant les armes pour sa défense ou celle de ses institutions. L'organisation militaire de ce corps se rapprochait beaucoup plus des corps de tirailleurs indigènes des autres provinces algériennes que des gardes nationaux ou urbains de la colonie. Exception faite cependant pour les gardes urbaines de Blida, Koléa et Djidjelli qui, à cause de la proximité de l'ennemi et l'insécurité qui en résultait, avaient été organisées militairement dès le 28 mars 1841.

À Dellys, deux sections de milice indigène furent formées le 24 juin 1851. Leur maintien fut confirmé en juin 1852 et novembre 1859, ce principe étant reconnu avantageux.

Comme ici, on ne me donne que cinq francs, je ne me servirai que d'une baguette tant que je ne toucherai pas la paye réglementaire! ". A la suite des revues, les armes étaient envoyées en réparation, comme celles des corps réguliers, chez les armuriers militaires, après avoir été versées au capitaine d'armement.

Les milices du Second Empire

À partir de 1860, l'époque héroïque des milices s'estompait. La pacification de l'Algérie paraissant terminée, les miliciens, faute d'occupation, semblaient jouer au soldat. C'était là le résultat d'une période de paix et de tranquillité qui avait assoupi les craintes dans les esprits. A ce moment-là, la presse algérienne qui avait toujours témoigné de la sympathie pour les milices, commença à les moquer, à les égratigner même. À cette époque, outre les journaux sérieux, tels que l'Akhbar, le Mobacher ou Le Moniteur, l'Algérie voyait une légion de périodiques humoristiques attaquer férocement tous ceux qui, dans la colonie, leur servaient de tête de turc: le Moqueur, le Chitann, le Bavard, la Goguette, le Lorgnon, le Tambour-Major, le Siroco, etc. Puis, vers la fin de l'empire, cette presse se calma et cessa de satiriser lorsque, le 28 octobre 1869, la milice d'Alger fut réorganisée. Ce corps comprenait 991 miliciens, se décomposant en une compagnie de sapeurs-pompiers de 170 hommes, un bataillon de francs-tireurs à deux compagnies de 100 hommes, deux bataillons d'infanterie de huit compagnies de 120 hommes fournis par la banlieue, une subdivision de la banlieue adjointe à une compagnie d'Alger et une subdivision de cavalerie de 50 hommes, au total 1 640 hommes. Les officiers étaient nommés à l'élection générale et les chefs de bataillons à l'élection des officiers.

Puis ce fut la guerre et, immédiatement, le ton changea dans la presse. " Les compagnies de miliciens et de francs-tireurs sont maintenant organisées militairement et peuvent rendre des services sérieux à l'Algérie, surtout au moment où nos villes sont dépourvues de troupes régulières ", écrivait le Lorgon du 14 août 1870.

Et le 20 août, les cadres de la milice furent complétés et renforcés, les compagnies réunies en unités solidement commandées. Des corps de volontaires furent créés. Les miliciens de 18 à 35 ans formèrent des corps mobilisables, les employés de chemin de fer en service actif étant dispensés du service de milice. Les autres constituèrent les sédentaires, commandés par les officiers en second des compagnies, les officiers en premier commandant les mobilisés.

Les corps spéciaux : francs-tireurs, tirailleurs israélites, volontaires algériens (créés le 8 août précédent, un bataillon de 300 hommes) étaient toujours mobilisables. Le 6 octobre, le service de ces bataillons mobilisés fut complètement réglé: solde, nourriture, campement, entrée en campagne, étaient fixés. Et le 7 novembre, francs-tireurs et troupes similaires reçurent l'ordre d'embarquer pour la métropole. Précédemment, les 26 et 30 septembre, le préfet d'Alger avait incorporé, dans les bataillons sédentaires du département, les indigènes musulmans et les Espagnols âgés de 18 à 55 ans, en vertu d'une convention consulaire du 7 janvier 1862, passée entre la France et l'Espagne. Mais le 30 novembre 1870, les consuls d'Espagne et d'Angleterre ayant adressé des représentations au sujet de l'incorporation forcée de leurs nationaux, l'administration rappela, dans une circulaire, que cette méthode était irrégulière et contraire au droit national, mais en profita pour se féliciter du " zèle avec lequel un très grand nombre d'étrangers se sont présentés pour entrer dans les rangs de la milice ".

La Garde nationale de 1871


Dès le 11 mars 1871, tous les corps spéciaux autres que les francs-tireurs, les cavaliers, les sapeurs-pompiers et les artilleurs avaient été supprimés.

Et le 31 mars suivant, la Garde nationale fut créée, " mais la milice avait un passé trop glorieux pour disparaître de cette façon, nous dit Maitrot de la Motte, et si quelques pièces officielles... employèrent le terme nouveau, la dénomination ancienne fut pieusement conservée ".
Ce remaniement, survenu en pleine insurrection parisienne, eut pour résultat appréciable d'équiper immédiatement, avec les francs-tireurs et les artilleurs, des éléments utilisables dans toutes les unités, fournissant ainsi, en chaque localité, un élément mobile destiné à résister à une menace de soulèvement.

Le 29 avril, la milice passa toute entière sous le commandement militaire. Le 15 mai, les miliciens reçurent pour solde : les hommes 1 F, les sous-officiers 1,25 F, les cavaliers percevant 0,25 F de plus. D'autre part, les mobilisés eurent droit à une ration de 750 gr de pain par homme et une ration de fourrage par cheval, les officiers continuant à percevoir la solde de première classe de leur grade dans l'infanterie.

Enfin, le 10 juin, les mobilisés mariés furent renvoyés dans leurs foyers.

Entretemps, depuis 1870, la milice jouait un rôle stabilisateur dans la capitale algérienne, comme l'avait voulu le décret de 1852, c'est-à-dire être une garantie contre le désordre et l'insurrection, au milieu des troubles qui agitaient Alger.

C'est ainsi que le maire, Romuald Vuillermoz, s'opposa au général Walsin Esterhazy, gouverneur brutal et violent, qui arrivait précédé d'une fâcheuse réputation d'antirépublicain.

En 1876 enfin, les " milices " algériennes disparaîtront et ne seront remplacées qu'en 1954 par des formations paramilitaires d'esprit très différent: les Unités Territoriales,(voir) dont nous connaissons tous le parcours et la fin.

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Bibliographie:
- ROZET (ingénieur-géographe), Relation de la guerre d'Afrique, Didot, 1832.
- PELLISSIER DE RAYNAUD, Annales algériennes, Paris, 1839.
- LAUJOULET T., La France algérienne, revue septembre à décembre 1845.
- BODICHON (docteur), Études sur l'Algérie, Alger, 1847.
- Ministère de la Guerre, Tableau de la situation des établissements français dans l'Algérie, 1854.
- ROUSSET Camille, L'Algérie de 1830 à 1840, tome t et il, Plon, 1887.
- TRUMELET (colonel), Boufarik, Alger, 1887.
- AUMERAT, Souvenirs algériens, Blida, 1888.
- KLEIN H., Feuillets d'el Djezaïr, Chaix, 1910, 1912.
- MAITROT DE LA MOTTE A., La milice africaine, Albi, 1929.

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