Antoine Gadan (1854-1934)

par Marion Vidal-Bué

extraits du numéro 127 , septembre 2009 , de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site : septembre 2013

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A mon avis, ne pas zoomer à plus de 125 à 150% pour que les photos ne soient pas trop dégradées...Enfin, "c'est vous qui voyez" (ou pas).

Antoine Gadan
(1854-1934)
par Marion Vidal-Bué


Antoine Gadan dans son atelier

Antoine Gadan dans son atelier

Antoine Gadan, né à Seurre en Côte d'Or, a appris son métier de peintre dans son pays natal, de manière autodidacte, et quelques oeuvres de jeunesse représentant la campagne bourguignonne en témoignent encore, mais c'est dans son pays d'adoption, l'Algérie, qu'il a développé son talent exceptionnel de paysagiste.

Toute une partie de la famille Gadan, d'origine paysanne, part en Algérie pour y chercher une vie meilleure et le jeune peintre, alors âgé de vingt-sept ans, séjourne à Marseille dans l'attente de l'embarquement, avec ses parents, son frère Charles, son épouse et son premier fils Charles, qui y naît en novembre 1880. Ce premier garçon décède à Bône en 1882, un autre fils également prénommé Charles y vient au monde en janvier 1883, mais meurt à son tour au mois d'octobre suivant. Deux filles survivront, Jeanne née en 1884, et Marie-Louise née en 1887.

La réussite couronnera Antoine, comme on va le voir, mais aussi son frère Charles qui dirigea longtemps les caves du domaine de Guébar et qui devint propriétaire de la ferme du comte de Sonis au fort Gênois, une vieille habitation rurale qu'il orna de détails d'architecture mauresque pour en faire " l'élégante demeure qui s'abrite aujourd'hui sous des palmiers et des pins pour regarder orgueilleusement la mer ", ainsi que le raconte Louis Arnaud dans son ouvrage sur Bône (Bône, son histoire, ses histoires, Constantine, Imprimerie Damrémont, 1957, p. 214-215.).

Le même auteur, qui consacre plusieurs pages d'hommage au peintre, le décrit installé " dans une petite rue du faubourg, parallèle à l'avenue Célestin Bourgoin, à peu près exactement derrière l'église Sainte Anne (La rue de la Liberté, précise plus loin Louis Arnaud.). La maison, simple comme lui, était presque enfouie dans la verdure et les fleurs, et son atelier était sans le moindre apparat, au bout du jardin touffu ". Cette simplicité se vérifie dans les trois photos qui représentent cette " gloire de Bône " vêtu de façon rustique et coiffé d'une casquette de paysan, dans son atelier comme dans son jardin. L'homme était " modeste et bon ", d'un commerce aimable et facile, toutes qualités humaines qui, jointes à la séduction de son art, lui attirèrent les faveurs des critiques artistiques et le soutien d'artistes importants.

Dans la campagne des environs de Bône, son amour de la nature s'exalte, tout concourt à l'épanouissement de son tempérament en quête d'harmonie. Il aime immédiatement la pureté lumineuse de la contrée, cette lande sauvage et douce, parsemée d'asphodèles ou de touffes de joncs, ces montagnes arrondies, ces jeunes enfants menant leurs troupeaux sur des sentiers surplombant la mer, et ne se lasse pas de les peindre.

Le commentateur de la Revue nord- africaine illustrée l'exprime parfaitement: " Gadan excelle dans ses toiles du Sahel de Bône... L'artiste, on le sent, y est maître de lui, parce qu'il est bien chez lui, parmi des horizons et des couleurs qu'il rend avec une précision qu'une connaissance intime du milieu permet seule de traduire aussi fidèlement [...] Sa peinture a quelque chose d'infiniment doux, de tendre, et en même temps d'enjôleur, parce que au pays de Bône, tel est le charme des baies et des golfes, des plaines et des collines. Nulle action dramatique des éléments, aucun soleil aveuglant, aucune mer trop uniformément colorée, au contraire, traduction fidèle des milieux, c'est le chatoiement des eaux vertes et bleues qui reflètent avec une grande douceur une dune dorée ou des roches brunes, avec des lointains de montagnes de tous les verts des brousses sauvages. Gadan travaille le matin et le soir et surprend la nature à ses heures les plus intimes, quand les ombres et les brumes suaves flottent sur toutes choses. [...] Il ne recherche pas les grands effets, il peint ce qu'il voit avec vérité et poésie. Et avec une
telle simplicité, il atteint la beauté " ( Boyer, in Revue nord-africaine illustrée, 2 février 1908, p. 59-60.).

Même appréciation chez un autre critique qui note : " Goût sûr et délicat, pinceau simple et franc, léger et aimable, et surtout un goût très vif de la nature " (C. Monplessis, in Revue nord-africaine illustrée, 17 au 24 janvier 1909.), ou chez Frac, qui aime par-dessus tout les sujets pastoraux de l'artiste: " les ravins boisés du Cap de Garde; la luxuriante végétation algérienne se détachant sur les lointaines montagnes qui s'estompent sur un ciel immuable [...] les claires matinées de mars au pied de l'Edough [...], les intérieurs arabes où filtre un rayon de soleil [...]les pâturages dans les chaumes; les crépuscules dans les vallées ombreuses, les luxuriantes moissons, tout est prenant au possible et l'on emporte de cette magie des couleurs, la meilleure des jouissances artistiques ".

Le territoire d'Antoine Gadan ne se limite pas, en effet, à la campagne riante du littoral, il recherche volontiers les paysages contrastés de l'Aurès, apprécie de toute sa sensibilité le déroulement paisible de la vie sur les Hauts Plateaux, sous la tente ou dans le ksar, admire la blondeur du sable et les saisissants changements de lumière, plus loin dans le Sud.

Deux toiles présentées à Paris en 1895, au Salon des Artistes français, le font remarquer favorablement: " La rivière blanche à El Kantara " et " Nuit Algérienne ". Elles sont suivies de " La rivière rouge à El Kantara " au Salon de 1896.

Reconnu dès lors comme paysagiste et décorateur, Gadan est chargé de brosser le diorama destiné à la décoration du Pavillon de l'Algérie au Trocadéro, lors de l'Exposition Universelle de 1900. Il choisit d'illustrer " La côte algérienne de Bône à Oran ", prétexte à faire défiler dans un véritable voyage pictural les plus beaux sites des rivages algériens.

Cet immense diorama qui sera exposé à Londres et à New York, après Paris, obtient un vif succès public, tout en suscitant pour son auteur les éloges du jury, en particulier ceux du peintre d'histoire Edouard Detaille et du paysagiste Jules Breton, membre de l'Académie des beaux-arts. Et lorsque Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg et président de la Société des peintres orientalistes français, offre à la Société des artistes algériens et orientalistes une médaille de vermeil destinée à l'exposant le plus méritant au sein de son Salon, c'est à leur collègue Antoine Gadan que Georges Rochegrosse et Albert Mulot, membres des plus éminents, décident de la décerner.

Maxime Noiré, le plus en vue des paysagistes algériens, le prend quant à lui en totale amitié, proclame " sa haute valeur " et l'emmène avec lui au début 1908 pour un " voyage d'études dans les oasis de Biskra et d'El Kantara " (Annales africaines, n° 7, 15 février 1908.).


" Le mont Eydough et la vallée du Ruisseau d'or, environs de Bône ", (coll. B. Toma).
" Le mont Eydough et la vallée du Ruisseau d'or, environs de Bône ", (coll. B. Toma).

A la suite de ce séjour fructueux pour le renouvellement de son inspiration, Gadan connaît l'honneur d'une exposition de quinze toiles au musée de Constantine, organisée à l'initiative du conservateur M. Hinglais. Ce sont des " toiles du Sahel méditerranéen de Bône ", et des travaux inspirés par El Kantara et le pays chaouïa. Pour les Annales africaines, ces sujets pris " au seuil du désert " le classent " au premier rang des orientalistes algériens, à côté de Noiré " 161. La Revue nord-africaine illustrée les apprécie tout autant: " C'est partout de la poussière de lumière: dans le troupeau qui rentre dans le soir, comme dans la fumée qui plane au- dessus des maisons de toube et des tentes; dans l'indolent ruissellement de l'oued presque desséché comme sur les feuillages brûlés par l'été qui s'achève " (C. Monplessis, " Notes d'art ", Revue Nord-africaine illustrée, 4 avril 1909, pp. 186-187.).

Cette année faste de 1908 se conclut par un accueil chaleureux au Salon d'Automne à Alger, où Gadan montre entre autres sa " Rivière d'El Kantara ", " à l'heure où le soleil monte: la rivière coule sur les galets blancs, la lumière ruisselle, les palmiers presque bleus et d'énormes abricotiers fleurissent sur les berges dans un vallon éblouissant; le village de toube se dessine au sommet d'une falaise rouge, des femmes chaouïa en descendent pour laver leur linge ", pour reprendre la description de C. Monplessis qui loue également " Le chemin des dunes à Bône au printemps ", " poème intense de vie lumineuse " dans lequel se déploie " la fluidité rose améthyste à travers laquelle [Gadan] nous montre la dune bônoise ".

Le chantre de l'est algérien est alors à son sommet, et le critique Frac peut écrire: " Nous n'avions pas tort de pronostiquer un grand succès pour l'exposition Gadan. il a été plus considérable encore que nous l'avions supposé, puisque toutes les toiles, toutes sans exception, ont été enlevées aussitôt qu'exposées. Ceux qui les possèdent conservent jalousement chez eux ces œuvres délicieuses où l'harmonieuse nature resplendit, où le sens de la vérité est si exact, si personnel, où, en un mot, chaque coin est définitif ".

Nous ne savons pas grand-chose de plus sur l'existence apparemment paisible et sans tapage de cet artiste dont les oeuvres ont leur place parmi les meilleurs peintres de l'Algérie. La prestigieuse revue Mercure de France affirmait en 1923 : " Les oeuvres de Gadan, subtil interprète des nuances de lumière dans une Algérie pastorale, sont beaucoup mieux répandues dans la métropole que comprises et estimées dans son pays " ( Mercure de France, 1er sept. 1923.). Il est pourtant certain que de nos jours, les collectionneurs originaires d'Algérie, comme les amateurs de peinture " orientaliste ", se disputent ce paysagiste que l'on ne cesse de redécouvrir.

Régulièrement présents dans les ventes orientalistes, ses tableaux s'arrachent parfois à prix d'or, tant ils évoquent avec charme l'image d'une nature inoubliable.

Après la mort d'Antoine Gadan, à Bône, un buste modelé par son gendre, le sculpteur algérien Ernest Popineau ( Décédé à Paris en 1951.) fut érigé dans le petit square Randon proche de sa demeure, louable tribut à la mémoire d'un artiste qui ne recherchait pas la gloire, mais trouvait toute satisfaction dans le bonheur de peindre ce qu'il aimait, et de plaire à ses amateurs. Parmi ceux-ci, le maire de la ville, qui avait choisi plusieurs de ses tableaux pour décorer son bureau : deux d'entre eux s'y trouvaient encore en 2005, selon un visiteur algérianiste.

Dans les collections du musée Gustave Mercier de Constantine, au moins cinq toiles de Gadan témoignaient de son art voué au pays, de son vivant, dans les années 1910. Trois d'entre elles ont été recensées par les services du Musée Cirta en 2005: " Le moulin abandonné " (l'intérieur d'un moulin avec cinq personnages et deux petits ânes), " La cueillette des olives " (une femme et une fillette en robes de couleurs vives contrastant avec la verdure, un groupe d'hommes en burnous blanc parmi les arbres), ainsi qu'un très grand " Portrait " de fillette européenne blonde aux yeux bleus, au regard intense. D'autres toiles ont été repérées dans la réserve du musée, mais ne sont pas encore répertoriées.

Le musée national des Beaux-Arts d'Alger avait reçu à la mort de l'artiste un don de sa fille, Mme Popineau, consistant en cinq peintures à l'huile. Elles figuraient toutes au catalogue établi par Jean Alazard en 1939, et sont toujours présentes dans celui de 1995 (Catalogue des peintures, dessins et gravures (Ecoles européennes du xn.7' siècle à 1960) du Musée national des Beaux-Arts, par Mahammed-Orfali Dalila ", Alger, 1995, p. 228.) : " Environs de Bône, les oliviers ", " Paysage couvert à Mandia " (Tunisie), " Environs de Bône ", " Environs de Biskra ", " Plaine de Bône ".

En ce qui concerne les collections des musées français, L'Afrique du Nord illustrée annonçait le 21 décembre 1935, à la suite de l'exposition du Pavillon de Marsan dans laquelle " ni Noiré ni Gadan n'avaient trouvé leur place ", que l'oubli était réparé pour ce dernier, et que cinq de ses études prenaient place au musée des Colonies, Porte Dorée à Paris. Trois tableaux d'Antoine Gadan sont en effet répertoriés dans les collections " Histoire " du Musée du Quai Branly, qui a récupéré un grand nombre d'oeuvres de l'ancien Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie : " Village en Algérie ", " Paysage du Sud algérien ", " Oued en Algérie ". Il s'agit également de dons de Mme Popineau.

Les visiteurs de la belle exposition " Lumineuse Algérie sous le regard des peintres de marines " qui eut lieu en 2003 dans le cadre du Musée national de la Marine à Toulon, ont pu admirer une très belle toile appartenant à cette institution, " Femmes à la rivière " (Le tableau est reproduit en page 11 du catalogue de l'exposition (12 juin-15 déc. 2003). Elle représente une scène du Sud que beaucoup d'autres peintres ont illustrée, mais le traitement incomparable de la lumière par Antoine Gadan n'appartient qu'à lui.

Ces derniers tableaux, tous consacrés au Sud, démontrent l'étendue des registres d'Antoine Gadan, peintre de Bône et du Constantinois.