La poterie modelée d'Afrique du Nord,
dite " poterie kabyle " (troisième partie)

L'auteur :
Jean Couranjou, né à Alger, est issu d'une famille qui y était installée depuis 1882. Directeur de recherches à l'I.N.R.A. (Institut national de la recherche agronomique, département génétique et amélioration des plantes) jusqu'en 1994; il est aujourd'hui à la retraite. Passionné d'Algérie, il a progressivement constitué une collection d'objets traditionnels (utilitaires, d'apparat et rituels) relatifs à l'Afrique du Nord et à divers pays islamiques, allant de la préhistoire à l'époque actuelle. Mais les carreaux de faïence constituent sa collection la plus importante car ses recherches personnelles, menées depuis 1965, concernent la faïence de revêtement importée de pays très divers dans la Régence turque (1518-1830). Dans ce domaine qu'il a passablement élargi, il a réalisé de nombreuses découvertes. Elles l'ont amené à la réalisation d'un très important ouvrage, actuellement non édité. Il est en relation avec des chercheurs de divers pays, et publie dans des revues spécialisées d'Espagne et des Pays-Bas. Il est aujourd'hui chercheur associé au Centre de recherche sur les archéomatériaux (Université de Bordeaux 3, CNRS. U.M.R. 5060).
Son site : http://arts.medit.occ.pagesperso-orange.fr/

extraits du numéro 99, septembre 2002, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 30-1-2010

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La poterie modelée d'Afrique du Nord dite poterie " kabyle " (troisième partie)
(note du site : je n'ai pas inséré toutes les illustrations. Voir PDF)

4 - Éléments de base du décor (diverses régions d'Algérie)

Puisqu'avec les akoufi, nous venons d'évoquer le décor, abordons celui de la poterie modelée proprement dite. Il en constitue un élément très important, parachevant l'aspect artistique de cette confection qui, hors son usage, accrochée au mur de la maison, joue en effet un rôle décoratif. On a vu que le décor n'affecte pas toutes les poteries, mais beaucoup en arborent et souvent de forts savants. Il n'est pas question ici des décors en relief dont on se souvient qu'ils sont faits sur poterie encore humide, que ce soit ceux des akoufi que l'on vient de voir ou ceux de certaines pièces de feu, kanoun, marmites ou enfin ceux habituellement pratiqués dans certaines régions (Aurès, diverses zones tunisiennes). Il s'agit ici des motifs peints avant cuisson lorsque les colorants utilisés sont d'origine minérale, ou après cuisson lorsqu'ils sont extraits de végétaux. Ces motifs sont non figuratifs; quelqu'en soit la variété infinie, ils ont essentiellement pour base la ligne droite et le triangle. Il est possible que les instruments utilisés ne soient pas très adaptés à la réalisation de motifs curvilignes. Mais l'exécution de motifs rigoureusement rectilignes sur des surfaces le plus souvent courbes, demande une très haute dextérité.


Éléments du décor peint de la poterie modelée algérienne
Fig.20.-Éléments du décor peint de la poterie modelée algérienne

Sans chercher à répertorier et à classer la grande variété des motifs, on peut en donner ici des repaires (note du site :ou repères?) puisés dans les différentes régions d'Algérie, chacune d'elles ayant ses registres (fig. 20):
- La droite isolée est rare mais fréquente est l'association de droites parallèles servant souvent à séparer des champs: ce sont de nombreuses parallèles fines, généralement verticales, formant faisceau (Djurdjura, zone centrale de Grande Kabylie...), ou deux ou trois parallèles horizontales très épaisses pouvant renfermer entre elles une arête de poisson ou une sinusoïde (Petite Kabylie, ouest de Constantine); dans les régions comportant un décor à faisceaux de droites fines, ceux-ci peuvent apparaître ailleurs notamment pour border des triangles.
- Les droites croisées résultent du croisement entre deux ou trois faisceaux de fines parallèles. Le double réseau forme, selon le cas, des losanges, des carrés ou des rectangles pouvant subir (Chenoua, Grande Kabylie...) ou non (Monts des Traras) un remplissage en damier; il peut être constitué de lignes doubles (Traras). Le triple réseau forme des triangles pouvant être agrémentés d'un remplissage (Chenoua).
- La droite brisée simple, mais le plus souvent double ou triple, forme des zigzags comportant éventuellement des remplissages divers pouvant conduire à différents types de chaînages (Petite Kabylie et ouest de Constantine).
- Le triangle peut renfermer un décor de lignes et de réseaux plus ou moins complexes (Grande Kabylie). Plusieurs triangles peuvent s'assembler pour former sabliers (Oued Isser), croix de Malte (Oued Isser), losanges (Grande Kabylie), décorés des différents dispositifs précédents. On en arrive à des figures très complexes comportant l'arsenal de toutes ces possibilités, terme de cette composition géométrique linéaire.

Ainsi la courbe est inconnue si ce n'est dans quelques régions, mais juste pour former des festons à la périphérie des figures. Même à l'intérieur des plats, le cercle central lié à la forme même de la pièce, est rare. Ceci est vrai en Algérie. En revanche, les choses sont différentes avec certaines poteries de Tunisie et surtout du Rif et du Zehroun marocains, dont le décor peut comporter de véritables cercles et des courbes légères (fig. 28).

Mais qu'il soit rigoureusement rectiligne ou pas, le décor des poteries modelées apparaît à première vue strictement non figuratif, mais à première vue seulement, car parfois des végétaux, des animaux et même des personnages peuvent discrètement l'agrémenter. Ils constituent ce que Gobert appelle les " remarques " ou les " fantaisies marginales " et que je préfère dénommer les ajouts figuratifs; il est ainsi précisé qu'il s'agit bien de motifs figuratifs, s'opposant à l'ensemble du style et s'ajoutant généralement au décor.

Dans ma collection comprenant plus d'une centaine de pièces, quelques- unes comportent ces ajouts. Ainsi une jarre de Petite Kabylie porte à son col et en quatre exemplaires, une tige munie de sept feuilles (fig. 21). Un plat du nord-est marocain est particulièrement intéressant car, outre quatre palmes de facture rudimentaire, un motif sans doute symbolique répété onze fois et un petit cœur, on découvre un chameau et deux groupes de personnages (fig. 22). On peut même préciser qu'il s'agit d'un dromadaire femelle; l'un des groupes est constitué de deux femmes se tenant par la main; dans l'autre, i] s'agit d'une femme et d'une fillette. Mais il est important d'observer qu'animal et personnages obéissent totalement, là encore, à la triangularisation. Un pichet de même origine comporte des astres et peut-être des figures symboliques. Tous ces motifs figuratifs n'ont rien de moderne; ils accompagnent le décor rectiligne depuis toujours, c'est-à-dire depuis des millénaires, comme le montrent les poteries nord-africaines protohistoriques portant un décor tout à fait analogue.

Dans cette même collection, deux poteries de l'Oued Isser présentent, au niveau du col, plusieurs main dites mains de Fatma par le Européens, en fait la khamsa. Si h représentation de la main est assez exceptionnelle dans le décor de h céramique modelée, elle est par ailleurs très largement répandu( dans toute l'Afrique du Nord comme symbole de protection. Le cinq doigts de la main, ou seulement l'index et le pouce, dirigés contre un regard qui se pourrait maléfique parce que porté par un éventuel envieux, conjure le sort qui pourrai en résulter; c'est le geste accompagnant la célèbre sentence : " Khamsi fi'aînick " (" cinq dans ton oeil ") L'empreinte de la main protectrice au-dessus de la porte d'entrée de la
maison, est une pratique courante. On rencontre la khamsa en bien d'autres circonstances (bijoux, suspensions des grands lustres marocains...). Si dans ce dernier cas, comme pour l'empreinte à l'entrée des demeures, les doigts sont dirigés vers le haut, dans les bijoux, la position est inversée (fig. 23). C'est le cas aussi pour une poterie de Kabylie maritime décrite par Roubet (fig. 24): les mains y sont rassemblées en collier fixé à la base du col et retombant sur la panse, tout comme une parure fixée au cou de la jeune fille et retombant sur sa poitrine; l'auteur y voit, à juste titre, une manifestation d'anthropomorphisme entourant ces poteries, comme on en verra d'autres. La khamsa n'a pas de signification particulièrement islamique. C'est un symbole des plus anciens autour de la Méditerranée, qui apparaît sur certaines stèles puniques, aussi bien à Constantine qu'à Carthage, comme
aussi d'ailleurs et beaucoup plus fréquemment, le croissant inversé. Encore bien plus en arrière dans le temps et dans de nombreux pays, que de fois la main est-elle représentée, le plus souvent en réserve, dans l'art pariétal de la Préhistoire !

Ainsi finalement, le décor non figuratif et rectilinéaire des poteries modelées de l'Afrique du Nord peut-il admettre très régionalement la courbe et çà et là des ajouts figuratifs. Mais on l'a dit, chaque région a son style, confirmant les paroles de cette Kabyle : " Nos poteries sont comme nous des villageoises.
Comme nos vêtements, leur décor permet d'identifier leur origine ".

5 - Styles régionaux

Nous en arrivons donc aux styles régionaux. Ils sont très nombreux et il n'est pas question de les passer ici tous en revue. Dans toute la zone de production, le Maroc sera examiné rapidement: Zehroun, Rif et trouée de Taza. Pour l'Algérie nous nous limiterons, d'ouest en est, aux monts des Traras, à une des zones de la vaste plaine du Chélif, au massif du Chenoua, à la plupart des zones de la Grande Kabylie, à la vallée de la Soummam, à la Petite Kabylie et l'ouest de Constantine pour terminer par l'Aurès. La Tunisie ne sera pas traitée.

     Maroc

Au Maroc, comme dans le reste de l'Afrique du Nord, la poterie modelée n'est confectionnée que dans le nord. Généralement destinée à la vente, elle n'est donc pas saisonnière. Une caractéristique générale est l'absence de vernis.

- L'extrême nord du Rif, entre Chechaouen et Tétouan, abrite la tribu des Bini Saïd; elle confectionne une poterie sans engobe, sans décoration et sans vernis, remarquable par la teinte rouge de sa terre (fig. 25).

Pour le reste, Delpy distingue trois grandes zones quant au style des poteries du nord du Maroc. Je leur ai donné les appellations qui suivent (fig. 26).

- La zone sud-rifaine s'étire du nord- ouest au sud-est. Elle est partagée entre une dizaine de tribus dont les poteries sont enduites d'un engobe clair sur lequel est peint un décor minéral à deux teintes: brun foncé presque noir et rouge orangé. La teinte de l'engobe varie selon les tribus (fig. 27). Celui utilisé par les Bini Derkoul est assez gris, celui des Bini Mesguilda est plus blanc, moins cependant que celui des Tsoul. Assez simple, le décor orne des poteries de diverses natures dont certaines dénotent une nette influence, pour ne pas dire contamination, européenne ou au moins citadine. Les styles sont bien différents selon les tribus.

- Le nord-est du Rif et le Zehroun sont séparés entre eux de quelque 200 km et se situent de part et d'autre de la zone précédente; mais ethnographiquement ils sont très voisins; c'est que les tribus du Zehroun sont, pour la plupart, des Bini Ouriaghel et des Bini Touzin du nord-est du Rif, installés dans cette région par le sultan Muhammad Bin 'Abd al-Rahmân (1859-1879). Chez ces sept ou huit tribus, la poterie est sans engobe, donc décorée à même la terre et très finement, seulement en brun généralement végétal, parfois minéral (fig. 28).

C'est de ces deux zones que viennent ces pots à lait très particuliers, aussi bien pour la forme, avec leur ouverture à cornes, que pour le décor faisant intervenir la courbe, comme on l'a vu. Nombre d'entre eux comportent un motif curieux interprété par certains comme une barque, par d'autres, comme la survivance du signe de Tanit (la déesse carthaginoise).

- La trouée de Taza, dépression en croissant, s'étend de l'ouest de Taza à Berkane. Elle comporte six ou sept tribus. Les Ghiata confectionnent des poteries rouges et bien cuites, décorées en brun de motifs simples : plats à cuire le pain, marmites, kanouns, jarres arrondies. Les grandes jarres de la tribu des Hayaïna sont très particulières, démesurément pansues sur un seul diamètre, à deux anses et long col (fig. 29); tant qu'elles sont poreuses, elles servent à transporter l'eau, puis le calcaire faisant son effet, elles sont utilisées comme barattes.


Poteries du nord-est du Rif (tribu des Bini Ouriaghed; h= 14 à 20 cm).
Fig.28.-Poteries du nord-est du Rif (tribu des Bini Ouriaghed; h= 14 à 20 cm).

Le vocabulaire des potières du nord marocain pour désigner les différents motifs de leurs poteries est comme ailleurs, très imagé : l'oiseau de nuit, les yeux du hibou, le peigne, les tatouages rifains, le tordu, le noyau d'olive, le damier, les graines de courge, les petites tiges, le corbeau...

     Extrême ouest algérien: les monts des Traras

À l'extrême ouest algérien, entre Tlemcen et mer, les monts des Traras avec leurs ravins profonds et leurs cimes érodées à l'allure tourmentée, culminent à 1 100 mètres (fig. 25). Par de nombreux aspects, ils s'apparentent à la Grande Kabylie. Blottie dans ces monts, au creux d'un long versant face à la mer au nord, Nedroma, lieu de villégiature des anciens souverains de Tlemcen. C'est là que naquit 'Abd al-Muinîn fils d'un potier, fondateur en 1147 de la dynastie des Almohades. Après avoir définitivement réduit les Almoravides, il se livra sur ceux de ses propres guerriers à la fidélité douteuse, à ce qui est resté sous le nom de la " journée du tri "; ceux qui ne furent pas exécutés furent déportés, notamment dans cette région où les noms actuels de tribus indiquent leurs origines, en particulier de Fès, de Meknès et du Rif. Aussi la poterie des monts des Traras, confectionnée surtout par la tribu des Bini Msirda, se rattache-t-elle fortement à celle du Rif et diffère nettement de toutes celles d'Algérie, en particulier par l'absence d'engobe, par le décor strictement linéaire ignorant le triangle et par l'utilisation des seuls colorants végétaux; le dégraissant est du sable. Les pichets sont caractéristiques par leurs formes rondes et pansues et la présence d'un ergot sur l'anse, sorte de poucier (fig. 30). Souvent quelques larges traits verticaux régulièrement espacés et éventuellement ondulés, sont tracés au rouge minéral, colorant rare ici car provenant du Rif. Le décor en noir est réalisé à partir de broyat de lentisque. Les motifs s'inscrivent dans de grands quadrilatères définis par des doubles lignes maîtresses verticales et horizontales. Ces fenêtres sont occupées par un entier remplissage de motifs uniquement rectilignes en quadrillage régulier simple ou double, toujours obliques par rapport aux marges et caractéristiques de ce style. Assez haut, une frise horizontale peut interrompre la monotonie : arêtes de poisson, damier... Enfin généralement, une bande noire orne le bord supérieur et parfois le bord inférieur du pichet. Ce décor végétal fragile tend à disparaître avec le temps, laissant alors son empreinte et le décor rouge minéral en bandes verticales (fig. 30). Autre différence avec la plupart des régions d'Algérie, une partie de la production est vendue; certains villages se sont en effet spécialisés dans ce commerce pour lequel il est fait appel aux hommes, au moins pour le ramassage et la vente des pièces. C'est peut-être ce débouché commercial à vocation d'entreprise artisanale qui explique pour ces poteries exportées actuellement vers l'Europe, une simplification dans la confection, marquée par l'absence du tracé en rouge avant cuisson et l'impression d'inachevé du décor qui, à la base de pièce, n'est pas cerné horizontalement. De plus, ces pièces commerciales présentent un piédouche qui fait entorse à la tradition des poteries modelées nord- africaines qui, sauf les exceptions citées, sont, comme on l'a dit, à fond plat.

     Plaine du Chélif: région d'Inkerman

Le Chélif détermine au long de son cours une zone très vaste (fig. 31). Il prend sa source au sud de Boghari puis se dirige vers le nord. Contournant le bord oriental de l'Ouarsenis aux pentes de chênes verts et aux sommets de cèdres séculaires, distrait dans son cours par le barrage du Ghrib, il se heurte ensuite au Zaccar, massif schisteux aux forêts de chênes et de pins, le longe parallèlement à la côte qu'il ne peut rejoindre qu'après avoir encore parcouru à son pied tout le Dahra aux plates-formes de grès, à bosquets de thuyas, et enfin abandonne la grande et brûlante plaine, en se jetant, peu avant Mostaganem, à la mer. En fait la zone du Chélif s'étend grossièrement de Médéa, perchée dans ses vignobles, à Relizane aux innombrables cigognes, en passant par Miliana, Affreville et Orléansville. Mis à part la poterie de l'Ouarsenis que je passerai ici sous silence, celle de la vaste région du Chélif n'en répond pas moins à une certaine unité; ainsi les pièces de la zone occidentale, celle de la région d'Inkerman, l'actuel Oued Rhiou, entre Relizane et Orléansville (Al Asnam) sont représentatives. Le profil des jattes est nettement marqué par une rupture; pour les écuelles, elle est située près du bord qui, ainsi, forme un méplat vers l'extérieur (fig. 32); ces ruptures de profil sont généralement soulignées par deux caractéristiques petits tétons entre eux diamétralement opposés; ils sont formés de deux petites protubérances. L'engobe blanc crème est disposé sur toute la surface, intérieure et extérieure. Le décor intéresse l'intérieur et l'extérieur au-dessus de la rupture de profil soulignée par un large trait brun, un autre large trait brun séparant intérieur et extérieur. En noir, les motifs sont très simples : lignes formant triangles (remplis ou non d'un hachurage ou d'un quadrillage lâche), zigzags... Le vernis n'intéressa que la partie décorée.

     Massif du Chenoua


Zones de production de la poterie modelée de l'ouest algérien (plaine du Chélif, massif du Chenoua,...)
Fig.31.-Zones de production de la poterie modelée de l'ouest algérien (plaine du Chélif, massif du Chenoua,...)

À 80 km à l'ouest d'Alger, juste à l'est de Cherchell qui fut Caesare, capitale de la Maurétanie cœsarienne sous Rome, le massif du Chenoua s'avance dans la mer (fig. 31). De sa hauteur de plus de 900 m, la vue s'étend sur le Zaccar, le Dahra, l'Ouarsenis, l'Atlas blidéen, le Sahel et la mer. À ses pieds, Tipasa qu'il a vu punique, puis romane; elle repose dans ses antiques monuments de pierre dorée aujourd'hui enlacés par l'exubérante flore méditerranéenne et parmi lesquels vagabondent de sauvages sentiers de sable aux senteurs de lentisque et d'absinthe. Le massif du Chenoua, bleu au loin dans sa végétation, rouge par son grès quand on l'approche, abrite une population berbérophone que l'activité urbaine, au temps de Rome, n'a pas influencée. De nos jours encore, elle poursuit la confection d'une poterie modelée de qualité, connue de quelques amateurs fidèles qui venaient chaque année faire leur choix à domicile. Je ne parle pas ici de la production accessoire pour la vente aux touristes, vue précédemment. Les formes des poteries traditionnelles du Chenoua sont nombreuses, ne dégageant pas de caractères propres permettant de définir les poteries du massif. En revanche, le décor est très caractéristique, d'importance variable selon les différents types de poteries. Les grosses pièces non décorées (plats à laver le linge, à cuire le pain, marmites, jattes et kanoun), présentent la rutilance du massif qui les a vues naître (fig. 33).

Pour les cruches à rafraîchir l'eau, la décoration est généralement limitée au tiers supérieur, tandis qu'elle ne concerne qu'une petite zone pour les jattes. Mais elle affecte toute la surface intérieure et les bords des plats à servir les mets (fig. 34). Le décor rouge du Chenoua est caractéristique. Très particulier et très fin, il est appliqué sur une surface passée à l'engobe blanc. Seuls les cernes délimitant les motifs sont bruns. Ils déterminent d'abord des plages triangulaires et quadrangulaires, parfois des bandes, dans lesquelles ils forment ensuite un réseau en quadrillage auquel peut s'ajouter une série supplémentaire de lignes obliques; on obtient alors des petits carrés ou des petits losanges ou, le plus souvent, des petits triangles, le tout disposé de façons diverses selon les pièces. Alternativement peints en rouge, ils forment des sortes de damiers toujours à petite échelle; le remplissage en rouge est en plein ou en lignes parallèles d'une grande finesse. Les plats sont décorés intérieurement, généralement de la façon suivante, de l'extérieur à l'intérieur: en brun, lignes brisées ou zigzag sur le marli, bande rouge, espace, décor proprement dit.

Tout cela est souvent fait avec grand soin, de sorte que les petits éléments méticuleusement tracés, sont tous identiques. Un vernis léger recouvre généralement le tout. Finalement, un décor tout à fait spécifique, assez constant, rouge, très fin, très régulier et pour toutes ces raisons réunies, très reconnaissable.

(À suivre)

Jean Couranjou
(Photos et dessins de l'auteur)

* Voir l'algérianiste n° 96 et 97.