La poterie modelée 
          d'Afrique du Nord dite poterie " kabyle " (troisième 
          partie)
          (note du site : je n'ai pas inséré 
          toutes les illustrations. Voir PDF)
        4 - Éléments 
          de base du décor (diverses régions d'Algérie)
          
          Puisqu'avec les akoufi, nous venons d'évoquer le décor, 
          abordons celui de la poterie modelée proprement dite. Il en constitue 
          un élément très important, parachevant l'aspect 
          artistique de cette confection qui, hors son usage, accrochée 
          au mur de la maison, joue en effet un rôle décoratif. On 
          a vu que le décor n'affecte pas toutes les poteries, mais beaucoup 
          en arborent et souvent de forts savants. Il n'est pas question ici des 
          décors en relief dont on se souvient qu'ils sont faits sur poterie 
          encore humide, que ce soit ceux des akoufi que l'on vient de voir ou 
          ceux de certaines pièces de feu, kanoun, marmites ou enfin ceux 
          habituellement pratiqués dans certaines régions (Aurès, 
          diverses zones tunisiennes). Il s'agit ici des motifs peints avant cuisson 
          lorsque les colorants utilisés sont d'origine minérale, 
          ou après cuisson lorsqu'ils sont extraits de végétaux. 
          Ces motifs sont non figuratifs; quelqu'en soit la variété 
          infinie, ils ont essentiellement pour base la ligne droite et le triangle. 
          Il est possible que les instruments utilisés ne soient pas très 
          adaptés à la réalisation de motifs curvilignes. 
          Mais l'exécution de motifs rigoureusement rectilignes sur des 
          surfaces le plus souvent courbes, demande une très haute dextérité.
        
          
            
              
                 
                Fig.20.-Éléments du décor peint de la poterie 
                modelée algérienne 
                
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        Sans chercher à répertorier 
          et à classer la grande variété des motifs, on peut 
          en donner ici des repaires (note du 
          site :ou repères?) puisés dans les différentes 
          régions d'Algérie, chacune d'elles ayant ses registres 
          (fig. 20):
          - La droite isolée est rare mais fréquente est 
          l'association de droites parallèles servant souvent à 
          séparer des champs: ce sont de nombreuses parallèles fines, 
          généralement verticales, formant faisceau (Djurdjura, 
          zone centrale de Grande Kabylie...), ou deux ou trois parallèles 
          horizontales très épaisses pouvant renfermer entre elles 
          une arête de poisson ou une sinusoïde (Petite Kabylie, ouest 
          de Constantine); dans les régions comportant un décor 
          à faisceaux de droites fines, ceux-ci peuvent apparaître 
          ailleurs notamment pour border des triangles.
          - Les droites croisées résultent du croisement 
          entre deux ou trois faisceaux de fines parallèles. Le double 
          réseau forme, selon le cas, des losanges, des carrés ou 
          des rectangles pouvant subir (Chenoua, Grande Kabylie...) ou non (Monts 
          des Traras) un remplissage en damier; il peut être constitué 
          de lignes doubles (Traras). Le triple réseau forme des triangles 
          pouvant être agrémentés d'un remplissage (Chenoua).
          - La droite brisée simple, mais le plus souvent double 
          ou triple, forme des zigzags comportant éventuellement des remplissages 
          divers pouvant conduire à différents types de chaînages 
          (Petite Kabylie et ouest de Constantine).
          - Le triangle peut renfermer un décor de lignes et de 
          réseaux plus ou moins complexes (Grande Kabylie). Plusieurs triangles 
          peuvent s'assembler pour former sabliers (Oued Isser), croix 
          de Malte (Oued Isser), losanges (Grande Kabylie), décorés 
          des différents dispositifs précédents. On en arrive 
          à des figures très complexes comportant l'arsenal de toutes 
          ces possibilités, terme de cette composition géométrique 
          linéaire.
          
          Ainsi la courbe est inconnue si ce n'est dans quelques régions, 
          mais juste pour former des festons à la périphérie 
          des figures. Même à l'intérieur des plats, le cercle 
          central lié à la forme même de la pièce, 
          est rare. Ceci est vrai en Algérie. En revanche, les choses sont 
          différentes avec certaines poteries de Tunisie et surtout du 
          Rif et du Zehroun marocains, dont le décor peut comporter de 
          véritables cercles et des courbes légères (fig. 
          28).
          
          Mais qu'il soit rigoureusement rectiligne ou pas, le décor des 
          poteries modelées apparaît à première vue 
          strictement non figuratif, mais à première vue seulement, 
          car parfois des végétaux, des animaux et même des 
          personnages peuvent discrètement l'agrémenter. Ils constituent 
          ce que Gobert appelle les " remarques " ou les " 
          fantaisies marginales " et que je préfère 
          dénommer les ajouts figuratifs; il est ainsi précisé 
          qu'il s'agit bien de motifs figuratifs, s'opposant à l'ensemble 
          du style et s'ajoutant généralement au décor.
          
          Dans ma collection comprenant plus d'une centaine de pièces, 
          quelques- unes comportent ces ajouts. Ainsi une jarre de Petite Kabylie 
          porte à son col et en quatre exemplaires, une tige munie de sept 
          feuilles (fig. 21). Un plat du nord-est marocain est particulièrement 
          intéressant car, outre quatre palmes de facture rudimentaire, 
          un motif sans doute symbolique répété onze fois 
          et un petit cur, on découvre un chameau et deux groupes 
          de personnages (fig. 22). On peut même préciser qu'il s'agit 
          d'un dromadaire femelle; l'un des groupes est constitué de deux 
          femmes se tenant par la main; dans l'autre, i] s'agit d'une femme et 
          d'une fillette. Mais il est important d'observer qu'animal et personnages 
          obéissent totalement, là encore, à la triangularisation. 
          Un pichet de même origine comporte des astres et peut-être 
          des figures symboliques. Tous ces motifs figuratifs n'ont rien de moderne; 
          ils accompagnent le décor rectiligne depuis toujours, c'est-à-dire 
          depuis des millénaires, comme le montrent les poteries nord-africaines 
          protohistoriques portant un décor tout à fait analogue.
          
          Dans cette même collection, deux poteries de l'Oued Isser présentent, 
          au niveau du col, plusieurs main dites mains de Fatma par le Européens, 
          en fait la khamsa. Si h représentation de la main est assez exceptionnelle 
          dans le décor de h céramique modelée, elle est 
          par ailleurs très largement répandu( dans toute l'Afrique 
          du Nord comme symbole de protection. Le cinq doigts de la main, ou seulement 
          l'index et le pouce, dirigés contre un regard qui se pourrait 
          maléfique parce que porté par un éventuel envieux, 
          conjure le sort qui pourrai en résulter; c'est le geste accompagnant 
          la célèbre sentence : " Khamsi fi'aînick 
          " (" cinq dans ton oeil ") L'empreinte de la main 
          protectrice au-dessus de la porte d'entrée de la
          maison, est une pratique courante. On rencontre la khamsa en bien d'autres 
          circonstances (bijoux, suspensions des grands lustres marocains...). 
          Si dans ce dernier cas, comme pour l'empreinte à l'entrée 
          des demeures, les doigts sont dirigés vers le haut, dans les 
          bijoux, la position est inversée (fig. 23). C'est le cas aussi 
          pour une poterie de Kabylie maritime décrite par Roubet (fig. 
          24): les mains y sont rassemblées en collier fixé à 
          la base du col et retombant sur la panse, tout comme une parure fixée 
          au cou de la jeune fille et retombant sur sa poitrine; l'auteur y voit, 
          à juste titre, une manifestation d'anthropomorphisme entourant 
          ces poteries, comme on en verra d'autres. La khamsa n'a pas de signification 
          particulièrement islamique. C'est un symbole des plus anciens 
          autour de la Méditerranée, qui apparaît sur certaines 
          stèles puniques, aussi bien à Constantine qu'à 
          Carthage, comme
          aussi d'ailleurs et beaucoup plus fréquemment, le croissant inversé. 
          Encore bien plus en arrière dans le temps et dans de nombreux 
          pays, que de fois la main est-elle représentée, le plus 
          souvent en réserve, dans l'art pariétal de la Préhistoire 
          !
          
          Ainsi finalement, le décor non figuratif et rectilinéaire 
          des poteries modelées de l'Afrique du Nord peut-il admettre très 
          régionalement la courbe et çà et là des 
          ajouts figuratifs. Mais on l'a dit, chaque région a son style, 
          confirmant les paroles de cette Kabyle : " Nos poteries sont comme 
          nous des villageoises. 
          Comme nos vêtements, leur décor permet d'identifier leur 
          origine ".
        5 - Styles régionaux
        Nous en arrivons donc aux styles régionaux. 
          Ils sont très nombreux et il n'est pas question de les passer 
          ici tous en revue. Dans toute la zone de production, le Maroc sera examiné 
          rapidement: Zehroun, Rif et trouée de Taza. Pour l'Algérie 
          nous nous limiterons, d'ouest en est, aux monts des Traras, à 
          une des zones de la vaste plaine du Chélif, au massif du Chenoua, 
          à la plupart des zones de la Grande Kabylie, à la vallée 
          de la Soummam, à la Petite Kabylie et l'ouest de Constantine 
          pour terminer par l'Aurès. La Tunisie ne sera pas traitée.
          
               Maroc
          
          Au Maroc, comme dans le reste de l'Afrique du Nord, la poterie modelée 
          n'est confectionnée que dans le nord. Généralement 
          destinée à la vente, elle n'est donc pas saisonnière. 
          Une caractéristique générale est l'absence de vernis.
          
          - L'extrême nord du Rif, entre Chechaouen 
          et Tétouan, abrite la tribu des Bini Saïd; elle confectionne 
          une poterie sans engobe, sans décoration et sans vernis, remarquable 
          par la teinte rouge de sa terre (fig. 25).
          
          Pour le reste, Delpy distingue trois grandes zones quant au style des 
          poteries du nord du Maroc. Je leur ai donné les appellations 
          qui suivent (fig. 26).
          
          - La zone sud-rifaine s'étire du 
          nord- ouest au sud-est. Elle est partagée entre une dizaine de 
          tribus dont les poteries sont enduites d'un engobe clair sur lequel 
          est peint un décor minéral à deux teintes: brun 
          foncé presque noir et rouge orangé. La teinte de l'engobe 
          varie selon les tribus (fig. 27). Celui utilisé par les Bini 
          Derkoul est assez gris, celui des Bini Mesguilda est plus blanc, moins 
          cependant que celui des Tsoul. Assez simple, le décor orne des 
          poteries de diverses natures dont certaines dénotent une nette 
          influence, pour ne pas dire contamination, européenne ou au moins 
          citadine. Les styles sont bien différents selon les tribus.
          
          - Le nord-est du Rif et le Zehroun sont 
          séparés entre eux de quelque 200 km et se situent de part 
          et d'autre de la zone précédente; mais ethnographiquement 
          ils sont très voisins; c'est que les tribus du Zehroun sont, 
          pour la plupart, des Bini Ouriaghel et des Bini Touzin du nord-est du 
          Rif, installés dans cette région par le sultan Muhammad 
          Bin 'Abd al-Rahmân (1859-1879). Chez ces sept ou huit tribus, 
          la poterie est sans engobe, donc décorée à même 
          la terre et très finement, seulement en brun généralement 
          végétal, parfois minéral (fig. 28).
          
          C'est de ces deux zones que viennent ces pots à lait très 
          particuliers, aussi bien pour la forme, avec leur ouverture à 
          cornes, que pour le décor faisant intervenir la courbe, comme 
          on l'a vu. Nombre d'entre eux comportent un motif curieux interprété 
          par certains comme une barque, par d'autres, comme la survivance du 
          signe de Tanit (la déesse carthaginoise).
          
          - La trouée de Taza, dépression 
          en croissant, s'étend de l'ouest de Taza à Berkane. Elle 
          comporte six ou sept tribus. Les Ghiata confectionnent des poteries 
          rouges et bien cuites, décorées en brun de motifs simples 
          : plats à cuire le pain, marmites, kanouns, jarres arrondies. 
          Les grandes jarres de la tribu des Hayaïna sont très particulières, 
          démesurément pansues sur un seul diamètre, à 
          deux anses et long col (fig. 29); tant qu'elles sont poreuses, elles 
          servent à transporter l'eau, puis le calcaire faisant son effet, 
          elles sont utilisées comme barattes.
        
          
            
              
                 
                Fig.28.-Poteries du nord-est du Rif (tribu des Bini Ouriaghed; 
                h= 14 à 20 cm).  
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        Le vocabulaire des potières du nord 
          marocain pour désigner les différents motifs de leurs 
          poteries est comme ailleurs, très imagé : l'oiseau de 
          nuit, les yeux du hibou, le peigne, les tatouages rifains, le tordu, 
          le noyau d'olive, le damier, les graines de courge, les petites tiges, 
          le corbeau...
          
               Extrême ouest 
          algérien: les monts des Traras
          
          À l'extrême ouest algérien, entre Tlemcen et mer, 
          les monts des Traras avec leurs ravins profonds et leurs cimes érodées 
          à l'allure tourmentée, culminent à 1 100 mètres 
          (fig. 25). Par de nombreux aspects, ils s'apparentent à la Grande 
          Kabylie. Blottie dans ces monts, au creux d'un long versant face à 
          la mer au nord, Nedroma, lieu de villégiature des anciens souverains 
          de Tlemcen. C'est là que naquit 'Abd al-Muinîn fils d'un 
          potier, fondateur en 1147 de la dynastie des Almohades. Après 
          avoir définitivement réduit les Almoravides, il se livra 
          sur ceux de ses propres guerriers à la fidélité 
          douteuse, à ce qui est resté sous le nom de la " 
          journée du tri "; ceux qui ne furent pas exécutés 
          furent déportés, notamment dans cette région où 
          les noms actuels de tribus indiquent leurs origines, en particulier 
          de Fès, de Meknès et du Rif. Aussi la poterie des monts 
          des Traras, confectionnée surtout par la tribu des Bini Msirda, 
          se rattache-t-elle fortement à celle du Rif et diffère 
          nettement de toutes celles d'Algérie, en particulier par l'absence 
          d'engobe, par le décor strictement linéaire ignorant le 
          triangle et par l'utilisation des seuls colorants végétaux; 
          le dégraissant est du sable. Les pichets sont caractéristiques 
          par leurs formes rondes et pansues et la présence d'un ergot 
          sur l'anse, sorte de poucier (fig. 30). Souvent quelques larges traits 
          verticaux régulièrement espacés et éventuellement 
          ondulés, sont tracés au rouge minéral, colorant 
          rare ici car provenant du Rif. Le décor en noir est réalisé 
          à partir de broyat de lentisque. Les motifs s'inscrivent dans 
          de grands quadrilatères définis par des doubles lignes 
          maîtresses verticales et horizontales. Ces fenêtres sont 
          occupées par un entier remplissage de motifs uniquement rectilignes 
          en quadrillage régulier simple ou double, toujours obliques par 
          rapport aux marges et caractéristiques de ce style. Assez haut, 
          une frise horizontale peut interrompre la monotonie : arêtes de 
          poisson, damier... Enfin généralement, une bande noire 
          orne le bord supérieur et parfois le bord inférieur du 
          pichet. Ce décor végétal fragile tend à 
          disparaître avec le temps, laissant alors son empreinte et le 
          décor rouge minéral en bandes verticales (fig. 30). Autre 
          différence avec la plupart des régions d'Algérie, 
          une partie de la production est vendue; certains villages se sont en 
          effet spécialisés dans ce commerce pour lequel il est 
          fait appel aux hommes, au moins pour le ramassage et la vente des pièces. 
          C'est peut-être ce débouché commercial à 
          vocation d'entreprise artisanale qui explique pour ces poteries exportées 
          actuellement vers l'Europe, une simplification dans la confection, marquée 
          par l'absence du tracé en rouge avant cuisson et l'impression 
          d'inachevé du décor qui, à la base de pièce, 
          n'est pas cerné horizontalement. De plus, ces pièces commerciales 
          présentent un piédouche qui fait entorse à la tradition 
          des poteries modelées nord- africaines qui, sauf les exceptions 
          citées, sont, comme on l'a dit, à fond plat.
          
               Plaine du Chélif: 
          région d'Inkerman
          
          Le Chélif détermine au long de son cours une zone très 
          vaste (fig. 31). Il prend sa source au sud de Boghari 
          puis se dirige vers le nord. Contournant le bord oriental 
          de l'Ouarsenis aux pentes de chênes verts et aux sommets de cèdres 
          séculaires, distrait dans son cours par le barrage du Ghrib, 
          il se heurte ensuite au Zaccar, 
          massif schisteux aux forêts de chênes et de pins, le longe 
          parallèlement à la côte qu'il ne peut rejoindre 
          qu'après avoir encore parcouru à son pied tout le Dahra 
          aux plates-formes de grès, à bosquets de thuyas, et enfin 
          abandonne la grande et brûlante plaine, en se jetant, peu avant 
          Mostaganem, à la mer. En fait la zone du Chélif s'étend 
          grossièrement de Médéa, 
          perchée dans ses vignobles, à Relizane aux innombrables 
          cigognes, en passant par Miliana, 
          Affreville et Orléansville. Mis à part la poterie de l'Ouarsenis 
          que je passerai ici sous silence, celle de la vaste région du 
          Chélif n'en répond pas moins à une certaine unité; 
          ainsi les pièces de la zone occidentale, celle de la région 
          d'Inkerman, l'actuel Oued Rhiou, entre Relizane et Orléansville 
          (Al Asnam) sont représentatives. Le profil des jattes est nettement 
          marqué par une rupture; pour les écuelles, elle est située 
          près du bord qui, ainsi, forme un méplat vers l'extérieur 
          (fig. 32); ces ruptures de profil sont généralement soulignées 
          par deux caractéristiques petits tétons entre eux diamétralement 
          opposés; ils sont formés de deux petites protubérances. 
          L'engobe blanc crème est disposé sur toute la surface, 
          intérieure et extérieure. Le décor intéresse 
          l'intérieur et l'extérieur au-dessus de la rupture de 
          profil soulignée par un large trait brun, un autre large trait 
          brun séparant intérieur et extérieur. En noir, 
          les motifs sont très simples : lignes formant triangles (remplis 
          ou non d'un hachurage ou d'un quadrillage lâche), zigzags... Le 
          vernis n'intéressa que la partie décorée.
          
               Massif du Chenoua
        
          
            
              
                 
                Fig.31.-Zones de production de la poterie modelée de l'ouest 
                algérien (plaine du Chélif, massif du Chenoua,...)
                
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        À 80 km à l'ouest d'Alger, 
          juste à l'est de Cherchell 
          qui fut Caesare, capitale de la Maurétanie csarienne 
          sous Rome, le massif du Chenoua s'avance dans la mer (fig. 31). De sa 
          hauteur de plus de 900 m, la vue s'étend sur le Zaccar, le Dahra, 
          l'Ouarsenis, l'Atlas blidéen, le Sahel et la mer. À ses 
          pieds, Tipasa 
          qu'il a vu punique, puis romane; elle repose dans ses antiques monuments 
          de pierre dorée aujourd'hui enlacés par l'exubérante 
          flore méditerranéenne et parmi lesquels vagabondent de 
          sauvages sentiers de sable aux senteurs de lentisque et d'absinthe. 
          Le massif du Chenoua, bleu au loin dans sa végétation, 
          rouge par son grès quand on l'approche, abrite une population 
          berbérophone que l'activité urbaine, au temps de Rome, 
          n'a pas influencée. De nos jours encore, elle poursuit la confection 
          d'une poterie modelée de qualité, connue de quelques amateurs 
          fidèles qui venaient chaque année faire leur choix à 
          domicile. Je ne parle pas ici de la production accessoire pour la vente 
          aux touristes, vue précédemment. Les formes des poteries 
          traditionnelles du Chenoua sont nombreuses, ne dégageant pas 
          de caractères propres permettant de définir les poteries 
          du massif. En revanche, le décor est très caractéristique, 
          d'importance variable selon les différents types de poteries. 
          Les grosses pièces non décorées (plats à 
          laver le linge, à cuire le pain, marmites, jattes et kanoun), 
          présentent la rutilance du massif qui les a vues naître 
          (fig. 33).
          
          Pour les cruches à rafraîchir l'eau, la décoration 
          est généralement limitée au tiers supérieur, 
          tandis qu'elle ne concerne qu'une petite zone pour les jattes. Mais 
          elle affecte toute la surface intérieure et les bords des plats 
          à servir les mets (fig. 34). Le décor rouge du Chenoua 
          est caractéristique. Très particulier et très fin, 
          il est appliqué sur une surface passée à l'engobe 
          blanc. Seuls les cernes délimitant les motifs sont bruns. Ils 
          déterminent d'abord des plages triangulaires et quadrangulaires, 
          parfois des bandes, dans lesquelles ils forment ensuite un réseau 
          en quadrillage auquel peut s'ajouter une série supplémentaire 
          de lignes obliques; on obtient alors des petits carrés ou des 
          petits losanges ou, le plus souvent, des petits triangles, le tout disposé 
          de façons diverses selon les pièces. Alternativement peints 
          en rouge, ils forment des sortes de damiers toujours à petite 
          échelle; le remplissage en rouge est en plein ou en lignes parallèles 
          d'une grande finesse. Les plats sont décorés intérieurement, 
          généralement de la façon suivante, de l'extérieur 
          à l'intérieur: en brun, lignes brisées ou zigzag 
          sur le marli, bande rouge, espace, décor proprement dit.
          
          Tout cela est souvent fait avec grand soin, de sorte que les petits 
          éléments méticuleusement tracés, sont tous 
          identiques. Un vernis léger recouvre généralement 
          le tout. Finalement, un décor tout à fait spécifique, 
          assez constant, rouge, très fin, très régulier 
          et pour toutes ces raisons réunies, très reconnaissable.
          
          (À suivre)
        Jean Couranjou
          (Photos et dessins de l'auteur)
        * Voir l'algérianiste 
          n° 96 et 97.