BOUFARIK dans la plaine de la Mitidja
PIRETTE, colon héroïque
Trouvé dans :"Nobles vies-Grandes œuvres
Cent ans d'efforts français en Algérie
BOUFARIK par Edmon Gojon
1930-Paris-Librairie Plon-..
.
sur site le 5-05-2004

15 Ko
retour
 
-------La belle histoire ! Cela fait songer au chevalier d'Assas, à Bara, à Viala. Que ne l'a-t-on illustrée, à la façon d'Épinal, d'images populaires.
-------À deux kilomètres du camp de l'Arba est la ferme de Ben-Seman.
-------Là vit M. Pirette, colon. Il a déjà subi maints assauts. Que lui importe. Ne les a-t-il pas toujours victorieusement repoussés. Aussi pourquoi perdrait-il de sa sérénité, ce jour du 9 décembre 1839 où ses métayers affolés lui annoncent que mille cavaliers arabes viennent d'attaquer le camp.
-------Pirette monte sur la terrasse en compagnie de deux amis qui étaient venus le visiter. Ses amis inquiets le quittent. Le voilà seul. Le camp résistera-t-il? Si oui, c'est le salut. Sinon, les Arabes gagneront BenSeman. Alors cet homme conçoit rapidement, et le risque et la défense. Il enchaîne les portes, les barricade, poussant contre elles tout ce qui résistera. Il monte des pierres sur la terrasse. Et près de la petite porte de cette terrasse place une hache bien aiguisée.
-------De quoi dispose-t-il? De cinq fusils, de deux cents cartouches, de cinq litres de balles coupées en quatre.
Il a une confiance absolue en la solidité de son bordj.
L'âme des grands lutteurs du moyen âge entre dans ce
Français résolu.
-------De sa terrasse, il entend la fusillade. Elle se rapproche.
-------Un dangereux nuage floconne à l'horizon.
-------- Les voilà!...
-------Alors que fait Pirette?
-------À chaque fenêtre, il accroche un bonnet, une cas
quette, un chapeau, des oripeaux, des vêtements.
-------L'ennemi approche. Un moment l'homme, découragé, hésite. Mais il se ressaisit bientôt. Déjà, l'orangerie est envahie. Un sourd piétinement saccage le jardin. Déjà des coups de crosse retentissent à la porte principale.
-------Pirette guette. Il attend, ses cinq fusils chargés à portée de main, Les voilà. Alors Pirette ouvre le feu, déchargeant en pleine chair. Une clameur immense retentit. Notre homme voit, en un remous d'épouvante, reculer ses assaillants. Des blessés sont emportés. Pirette charge, recharge ses armes. Il tire sur cette masse, sans arrêt. Que de cadavres
-------Pirette est exténué. Mais ni la soif, ni la faim, ni la fatigue ne viennent à bout de ce valeureux.
-------Il tire toujours, tire encore... Alors les Arabes cherchent le défaut de la petite forteresse. Ils le découvrent bientôt. A grands coups ils essayent de percer le mur muet et sans oreilles. Pas de meurtrières, nulle issue. Mais Pirette, surpris de voir que l'attaque se ralentit, parcourt anxieux sa maison. Il entend les sourds frappements. Les Arabes creusent un trou. Alors, il se ramasse, et guette. Il attend. La pierre remue. Pirette surveille ce mur qui branle. Il a rechargé son fusil. La dernière pierre tombe. Un Arabe rampe. A peine a-t-il passé sa tête qu'à bout portant Pirette décharge sur lui son arme. Les Arabes tirent à eux le cadavre par les talons. A l'apparition effroyable de la tête horriblement mutilée, ils reculent, terrifiés.
-------Qui est cet homme?
-------Des feux s'allument autour du bordj. Les Arabes ont dressé leurs tentes. Ils bivouaquent, chacals patients autour du lion bravé.
-------La nuit tombe, la grande nuit africaine, la grande nuit pure de décembre, sans lune, la grande nuit de Cassiopée.
Pirette est à bout de forces. N'a-t-il pas tiré deux cent soixante coups de fusil? Il secoue son pouce qui saigne. Il a l'épaule toute meurtrie. Il est presque sans munitions. Que faire?... Il faut partir. Alors il se déchausse, met ses souliers dans ses poches, et, son fusil à l'épaule, glisse de la terrasse le long d'une corde.
-------Il rampe dans les fourrés, de jujubier en lentisque, frôle même une sentinelle arabe.
-------Mais à quoi rêve cette sentinelle?...
-------Débraillé, défaillant, Pirette atteint enfin les avant-postes du camp.
-------Or il court un nouveau danger plus terrible encore. Si on allait tirer sur lui? S'il allait mourir d'une balle française?...
-------Là-bas, apparaissent déjà des silhouettes familières. Il rampe, puis soudain dressé, s'écrie
-------- À moi ! France, France, à moi !
-------Les sentinelles accourent, le soutiennent. Il retrouve au camp les deux amis qui l'avaient abandonné et qui, anxieux, écoutaient l'épique fusillade.
-------Certes, ils ne pensaient pas revoir vivant celui qui, demeuré seul, avait résolu de tenir tête aux mille Arabes rués contre lui.
 

-------" On ne trouve pas dans les annales de notre histoire coloniale de trait plus héroïque que celui du colon Pirette qui résista seul pendant toute une journée contre un millier d'ennemis. Cet acte passa pourtant presque inaperçu au milieu des nombreux actes de bravoure dont firent preuve les colons d'alors.
-------" La ferme de Pirette fut pillée et brûlée le lendemain (1). "
-------Ce vaillant colon est mort presque oublié à Cherchell.
-------Le gouvernement général a honoré sa mémoire en donnant son nom à un village.
-------Il y a une rue Pirette à Alger.
(1) Julien FRANC, la Colonisation de la Mitidja. Champion, 1929.

-------Mais il y eut aussi le colon Laurans et sa femme. -------Laurans était l'un des fermiers de M. Mercier, au haouch Bou-Ogab. Il eut à lutter, de 1836 à 1839, contre tous les brigands de la Mitidja ou du Petit-Atlas.
-------C'était un homme rude qui ne connaissait nul repos. Mais quand il succombait à la fatigue, sa femme le remplaçait, guettant au créneau de la ferme fortifiée et tiraillant sur le maraudeur.
-------Dans les derniers jours de mars 1841, une bande de coureurs s'avance jusque sous l'enceinte de Boufarik.
Laurans s'aperçoit qu'un boeuf manque à son troupeau.
Il va à sa recherche. A deux kilomètres du camp, un Arabe l'appelle. Laurans le connaissait. Il va vers lui, sans défiance. Mais à peine a-t-il fait quelques pas qu'il est saisi, bâillonné, enlevé.
-------À la nouvelle, la femme de Laurans saute sur une fusil.
-------Elle se précipite sur la route. Avertis, les colons voisins la poursuivent. Elle ne voulait pas entendre raison. On eut beaucoup de mal à la ramener.

-------À la même époque, Bertrand (Bazile) fit également grande figure. C'était un des plus anciens colons de Boufarik.
-------Il faisait partie de la milice. Or s'il était estimé pour sa valeur et pour son courage, il était réputé aussi pour le lamentable état de son équipement et de ses armes.
-------Dans la journée du 30 mars 1841, le gouverneur-général Bugeaud, en tournée d'inspection à Blida, puis à Médéa, passe en revue la milice.
-------Il s'arrête devant Bertrand
-------- Votre fusil, dit le gouverneur, n'est pas d'une propreté excessive.
-------- C'est possible, mon général, réplique Bertrand, mais permettez-moi de vous faire observer qu'un chien noir mord tout aussi bien qu'un chien blanc.