les feuillets d'El-Djezaïr
Henri Klein

- Djenan Ali Raïs (description de 1909)
- Ben-Siam
sur site le 18-5-2009

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Djenan Ali Raïs (description de 1909)

Combien peu, parmi les villas des temps barbaresques, dont l'orientalisme sourit dans la verte banlieue algéroise, ont été conservées intactes en leur forme primitive, par leurs nouveaux propriétaires !

Ne pense-t-on pas que la possession de ces précieux échantillons d'architecture locale que ne protège aucun édit, crée aux détenteurs une obligation morale : celle d'en respecter le style et de les transmettre dans leur originale beauté, à la postérité ?

Il est à reconnaître cependant que l'adaptation aux habitudes occidentales, d'un home fait pour la vie musulmane, nécessite parfois, certaines transformations de détail. Mais avec quel tact alors, doit agir l'architecte pour ne pas défigurer la délicate chose qu'on lui confie !

Hélas! combien de jolies villas furent à jamais gâchées par le manque de goût de ceux qui voulant y réaliser une réformation pratique, ne réussirent qu'â accomplir une déformation lamentable ! Combien furent irrémédiablement déshonorées sur l'inspiration lamentable de leur propriétaire !

Les Médicis, n'est-il pas vrai, ne sont pas légion à notre époque ?

Au nombre de celles, le mieux conservées autour d'Alger, est à citer Djenan Ali Raïs qui se trouve dans le coquet village d'El-Biar dont les nombreux patriciens turcs, villégiaturant en ses vallons, avaient fait jadis, une manière d'Eden.

Blottie à l'ombre d'arbres centenaires, elle semble dans le silence, songer à son passé. C'est le nom d'un renommé corsaire d'El-Djezaïr qu'elle porte !

Sa destinée fut dans la suite d'appartenir à des familles bourgeoises de l'ancien- siècle dernier, au Bach-Agha Ben Ali Cherif, de Chellata. Elle devint plus tard la propriété du riche américain Macklay qui la fit restaurer par l'habile architecte, Bucknall, puis, du vicomte de Vercelli de Ranzy ( La possède aujourd'hui, M. Hill Loa', qui tient à lui conserver sa physionomie première, et y réside avec sa famille.).

Veut-on à son sujet quelques lignes de description ? Mais comment ne pas donner tout d'abord, à l'admirable parc qui l'environne, à ces pins où la gent ailée se multiplia sans cesse, toujours protégée par les maîtres de céans - à cette spacieuse et cristalline pièces d'eau que raye l'hirondelle au passage, à cette curieuse colonie de bambous poussés en une large excavation donnant en son curieux milieu, l'illusion d'un coin de jungle - à ce verger de centaines d'arbres où, orangers, citronniers, mandariniers constellés de fruits éclatants, embaument l'air de leurs senteurs pénétrantes !

On erre délicieusement sous ces allées de cèdres, d'eucalyptus, de palmiers, de cocotiers qu'enserent de folles montées de lierres. Certes, les Raïs savaient donner un digne cadre à leurs loisirs, à leurs plaisirs intimes !

On s'attarde volontiers en cet extérieur d'ombrages.

Soudain, en sa retraite végétale, vous apparaît la blanche Sultane, la séduisante villa qui, en vraie fille d'Orient qu'elle est, dissimule ses grâces sous des voiles, voiles d'un particulier attrait, que tisse pour elle la coquette nature.

Djennan Ah Raïs impressionne à l'arrivée, autant par le charme de sa physionomie que par le mystère qui l'enveloppe. Aucun bruit, aucun mouvement. Parfois seulement, la voix d'un piano, qui semble un écho lointain. La première fois que j'y vins, les accords d'une mélodie orientale vibraient dans l'air frais, pénétré des parfums du jardin; on eût dit rame même de la solitaire demeure s'exhalant en ce chant...

Visitons à présent cette attirante résidence.

Voici à l'entrée, un ravisant berceu fleuri appuyé sur les blancs piliers; dans le fond, un jet d'eau pleuvillant sur son bassin, au delà, le jardin du harem; auprès, une galerie qu'avoisine une tapisserie de bignones fraîches écloses, dont les pendeloques de son oranger, semblent des pièces de joaillerie.

Voyons les parties basses de l'édifice. C'est ici, la salle des gardes aux supports frustes, là, l'entrée d'un souterrain où auraient été retrouvés des chaînes, un squelette. Ce sont encore diverses salles meublées à l'avenant de leur caractère, et que décorent avec des fines faïences d'Italie, des cheminées harmonisées au style de la maison, par l'emploi d'encadrements de pierre sculptées, ayant formé jadis le cintre de portes anciennes. Et voici l'escalier contourné, aux gracieux revêtements d'émail, au long duquel ont été disposé avec art, d'élégantes pièces de décoration arabe. A la partie supérieure, c'est avec ravissement que l'oeil considère ces salons, ces galeries, ces cours à arceaux, avec leurs broderies murales, reproduites de l'Alhambra, leurs faïences de Delft, de Sicile, d'Espagne, leurs bois ciselés, leurs cuivres ajourés, leurs tentures de soie, leurs tapis précieux, leurs meubles incrustés, et aussi leurs plantes rares épanouies en des vases de haut prix.

Et c'est encore la séduction des baies en ogive ouvertes sur le dehors avec leurs échappées, leurs perspectives savamment calculées, sur le jardin dont la pittoresque végétation, on le constate à chaque instant, vient familièrement s'étendre sur la maison, caressant, enlaçant colonnes et chapiteaux, recouvrant d'une luxueuse parure de corolles, la blanche vêture des murs séculaires, improvisant aux fenêtres, des tendelets, des stores de fleurs, des velums de feuillage, car c'est bien la caractéristique de cette villa, d'associer continuellement son charme intérieur à celui de la végétation qui l'entoure.

On considère longuement ce délicieux ensemble, confondant son admiration en un sentiment de reconnaissance envers ceux qui, dans l'accommodation de cette villa aux nécessités de la vie nouvelle, surent si heureusement lui éviter les tristesses d'une transformation à l'européenne. Et l'on pense alors aux soeurs infortunées de celle-ci, mentionnées au début, qui s'offrent aujourd'hui, si laides, si ridicules, sous l'odieux travestissement dont les déshonora la pitoyable ignorance de leurs
nouveaux maîtres.

Ben-Siam

Cette villa, située à l'entrée de Birkadem, et qui appartint à M. Tachet, négociant à Alger, puis à M. Chevalier, est aujourd'hui la propriété de M. VÜST.

Elle était en 1830, propriété de la famille Ben Siam. Mahmoud Oulid Braham ben Siam, de Miliana, Mustapha Oulid Braham ben Siam, en résidence à Tétouan, et la soeur de ceux-ci, Aïcha ben Siam, étaient possesseurs des cinq sixièmes que l'Etat français séquestra.

Le dernier sixième fut laissé à la dame Khadoudja, fille du Sid Abd-er-Rahman ben Siam, qui était tutrice du Sid Mohammed et du Sid Ali, ses enfants, tous deux fils du Sid Abd-er-Rahman ben el-Raïs-Karbila.

La campagne avait une superficie de 6 hectares 75 ares. Un acte de 1836 la désigne ainsi :

"Campagne composée de deux corps de bâtiment réunis par un mur d'enceinte; d'un terrain de 6 hectares 75 ares, planté d'un verger détruit en grande partie par la troupe; d'une vigne totalement détruite, et d'un petit jardin planté d'orangers, situé entre les deux pavillons et la noria".

Un magnifique pin séculaire qui en décore l'entrée est le dernier vestige d'un gracieux bois existant là, jadis.

En 1831, "Ben-Siam" fut occupé par un escadron de spahis réguliers. Un camp y fut aussi installé, en son voisinage, qu'on dénomma : Camp de Birkadem.

Le 17 décembre 1833, la partie libre du. jardin Ben-Siam fut louée pour une rente annuelle de 350 francs, par ses co-propriétaires à M. Amédée Rousseau, notaire, pour le compte de Mme Forcinal, femme d'un lieutenant-trésorier de gendarmerie d'Alger (dont la caserne se trouvait au n° 8 de la rue du Croissant). Le lieutenant Forcinal était un ancien Garde du Corps du Roi.

L'État en 1835, proposa à Mme Forcinal la location de "Ben-Siam", au prix annuel de 1.500 francs. La propriétaire, qui demandait 2.000 francs, finit par accepter cette somme.

En 1836, le quartier Ben-Siam comprenait : 6 officiers, 137 hommes et 118 chevaux.

En 1840, le "Grand Pavillon" de la villa fut attribué à un Maréchal de camp ( II y avait à cette époque quatre maréchaux de camp hors d'Alger, à Birkadem, à Maison-Carrée, à Douéra et à Blidah.). Les officiers qui y logeaient furent installés en des annexes qu'on construisit. L'aménagement nouveau de ce pavillon çoûta 1.600 francs.

En 1845, la famille Ben Siam sollicita du Gouvernement la main-levée du séquestre prononcé contre sept de ses membres. (Cette famille comprenait alors douze personnes).

Le groupe des requérants représentait trois branches. Soliman, Hamdan et Mouni, enfants de Mohamed Khodja et de Aïcha bent Siam constituaient la première; Mohamed ben Siam, la deuxième; Mustapha, Fatma et Zohra ben Siam, la dernière.

Soliman et Hamdan étaient, l'un Hakem, l'autre Khodja, à Miliana.

Ils étaient demeurés fidèles à la France et avaient la recommandation du duc d' Isly.

Il fut établi qu'ils n'eurent pas de relations avec Abd-el-Kader en 1839, et que, surpris par la guerre à Miliana, ils ne purent retourner à Alger. Jugés comme suspects, ils furent condamnés à de fortes peines pécuniaires, puis emprisonnés, dépouillés de leurs biens, et exilés avec leurs enfants et leur soeur Mouni, chez les Beni-Menasser qui les maltraitèrent. Ils ne durent leur salut qu'au Marabout Sidi Abd-el-Kader ben Omar, qui leur fournit les moyens de revenir à Miliana.

II fut établi d'autre part, que Mohammed ben Siam nous était demeuré fidèle, lui aussi. Vieux, infirme, ruiné par nous et par l'Emir, il menait une vie malheureuse.

Quant à Mustapha, Fatma et Zohra, on reconnut qu'ils n'étaient nullement "émigrés". A notre arrivée en Algérie, ils vivaient à Tétouan, où ils résidaient depuis plus de dix ans, ainsi que l'attesta le Consul français de cette ville.

Le Ministre de la Guerre, duc de Dalmatie, accorda la restitution sollicitée.

La famille Ben Siam possédait entre autres biens, la Caserne de Gendarmerie qui se trouvait au n° 8 de la rue du Croissant.

La résidence des Ben Siam est aujourd'hui à Hussein-Dey, en une villa à laquelle s'attache la mémoire du Bach-Agha, fait Grand Officier de la Légion d'Honneur, et où habite actuellement son fils, conféré de même du titre de Bach-Agha.

Cette villa, très élégamment mauresque, et entourée d'un remarquable jardin, recèle des souvenirs historiques des plus intéressants, parmi lesquels : une pendule héritée d'Hassan-Pacha, des armes incrustées d'or, dons du duc d'Orléans, du Maréchal de St-Arnaud, un coffret portant une dédicace sur cuivre, du prince Napoléon.