
          
          Les statues d'Alger. 
        Né à Limoges 
          le 17 octobre 1784, fils de Messire Ambroise Bugeaud, chevalier de la 
          Piconnerie, marquis de la Rybolerie, et de dame Françoise Sutton 
          de Clouard, Bugeaud devait se révéler à la fois 
          homme de guerre, colonisateur et administrateur d'un mérite incontestable. 
          
          En 1836, il remporte en Oranie la victoire de Sikkah, est nommé 
          lieutenant-général et signe peu après le fameux 
          traité de la Tafna qui le rend assez impopulaire. Il rentre alors 
          en France et revient en Algérie en 1840. 
          On le voit, le 29 décembre 1840, Gouverneur Général 
          de l'Algérie ; le 17 juillet 1843, après la prise de la 
          Smala, Maréchal de France ; et Duc d'Isly le 14 août 1844. 
          
          Bedeau, au cours d'un dîner chez l'Évêque d'Alger, 
          après avoir porté son jugement sur Lamoricière, 
          Changarnier et sur lui-même, dit de Bugeaud : " Le Maréchal 
          est notre maître à tous. A lui seul, il nous vaut. Aucun 
          de ses lieutenants n'arrive à l'épaule de ce véritable 
          grand homme !". 
          On a beaucoup écrit sur le soldat-laboureur qui fonda, en 1819, 
          le premier Comice agricole de la Dordogne, et qui se plaisait à 
          affirmer que "l'agriculture est le plus heureux passe-temps que 
          puisse se créer l'homme de bien, le vrai philanthrope ". 
          
          Son uvre de colonisation en Algérie fut considérable, 
          tant au point de vue de la Colonisation civile que militaire ; maritime 
          que religieuse. 
          Il s'attache de bonne heure à accorder des concessions aux soldats 
          libérés, escomptant obtenir par là, en même 
          temps qu'une dette de reconnaissance, un rendement appréciable. 
          Or, il n'en fut rien. Les soldats-laboureurs s'inscrivirent au nombre 
          de 63 sur des milliers pressentis. 
          D'ailleurs, militarisés en quelque sorte, ils supportèrent 
          mal la discipline à laquelle on les asservissait. Il y eut des 
          déserteurs, des plaintes, des complications à n'en plus 
          finir. 
          Bugeaud songe alors à les marier. Il offre aux candidats une 
          prime de 500 francs. Ils sont tous candidats. On s'occupe d'abord à 
          en établir vingt ; et pour cela le Gouverneur demande au Maire 
          de Toulon de rechercher dans cette ville vingt jeunes filles de bonne 
          condition, morale et physique. Ce qui est bientôt fait. Un beau 
          jour débarquent à Toulon les soldats-laboureurs que l'on 
          met en présence de leurs future.?. Au bout de deux mois, après 
          échanges, ruptures et raccommodements, on se met d'accord. La 
          cérémonie collective du mariage a lieu en grande pompe; 
          on défile dans les rues, musique en tête, au milieu de 
          la plus vive allégresse. 
          Ce furent les mariages au tambour du Père Bugeaud. 
          Bugeaud fut très populaire. 
          Une nuit de surprise, en campagne, le maréchal sortit précipitamment 
          de sa tente, coiffé d'un simple bonnet de coton. Il réclama 
          bientôt à grands cris sa casquette. (Son képi). 
          
          Le lendemain, les zouaves s'accostaient en riant: " L'as-tu vue 
          la casquette du père Bugeaud ? ". 
          On en fit une chanson. 
          La statue du maréchal Bugeaud, qui s'élève au centre 
          de la place d'Isly, est l'uvre du sculpteur Dumont, de l'Institut 
          (Eck et Durand, fondeurs, à Paris). Le monument fut commencé 
          le 1° juin 1852, sous la direction de MM. Coumes et Piarron de Mondésir, 
          ingénieurs ; Guiauchain, architecte, et Blouet, de l'Institut, 
          auquel on avait confié la réalisation des plans. 
          Les porphyres du piédestal proviennent des carrières du 
          Cap de Fer. Elles furent extraites sous la direction de M. Billiard, 
          ingénieur des Ponts et Chaussées. L'État prit à 
          sa charge la fourniture de ce piédestal. 
          Une souscription fut ouverte dans le même temps en France et en 
          Algérie, l'une pour l'érection d'un monument identique 
          à Périgueux, l'autre à Alger. On confondit les 
          souscriptions, avec l'assentiment du général Changarnier, 
          président du Comité de Paris, afin de suppléer 
          à l'insuffisance de l'apport algérien. 
          Le maréchal Randon, alors Gouverneur général, fit 
          placer en juillet 1852, dans les fondations du monument, un coffret 
          de cèdre recouvert d'une enveloppe de plomb, contenant une médaille 
          à l'effigie du maréchal, des pièces de monnaie, 
          ainsi qu'un parchemin portant le texte suivant : 
          " Ce monument, destiné à perpétuer la mémoire 
          du maréchal Bugeaud, ancien Gouverneur général 
          de l'Algérie, a été élevé avec les 
          fonds d'une souscription publique ouverte dans la population et dans 
          l'armée, et avec l'aide du Trésor de l'État, sous 
          le gouvernement du Prince Louis-Napoléon Bonaparte, président 
          de la République française, le général de 
          Saint-Arnaud étant ministre de la Guerre et le général 
          Randon, Gouverneur général de l'Algérie, par les 
          soins d'une Commission présidée, d'abord, par les généraux 
          de Saint-Arnaud et de Crémy ; et, en dernier lieu, par M. Mercier-Lacombe, 
          secrétaire général du Gouvernement. " 
          Suivent les indications que nous avons données plus haut, concernant 
          les techniciens attachés à la mise en oeuvre du monument. 
          
          L'inauguration eut lieu le 15 août 1852. Nous ne saurions insister 
          sur l'ordonnance des cérémonies qui se succédèrent 
          à cette occasion ; non plus que sur le caractère des réjouissances 
          vraiment magnifiques qui en soulignèrent l'éclat. 
          Dans ses souvenirs, Eugène Fromentin, peintre et littérateur, 
          s'attarde avec beaucoup de complaisance sur Alger. C'est ainsi que, 
          conviant le lecteur à une promenade fort attrayante, à 
          travers la ville, il notera à un moment : 
          " Nous arrivons ici devant la porte neuve (Bab-el-Djeddid) ; celle-là 
          même par laquelle l'armée de 1830 est entrée, reportée 
          quelques cents mètres plus loin, se nomme aujourd'hui porte d'Isly 
          ; et la statue du maréchal agronome est placée là 
          comme un emblème définitif de victoire et de possession. 
          " 
          Ainsi, le grand orientaliste rendait-il un juste hommage à celui 
          qui, le 27 février 1S17, écrivait à Guizot, non 
          sans mélancolie : " Je suis. un peu vieux pour la rude besogne 
          d'Afrique ".