Les voies ferrées de pénétration sahariennes hors Algérie
3ème partie: les pénétrantes du Djérid,
du Maroc oriental et Mauritanienne.
Texte, illustrations: Georges Bouchet
sur site le 7-3-2007

Eléments de bibliographie.
****L'essentiel vient de EXPLOITS ET FANTASMES TRANSSAHARIENS par Dominique et Pascal Bejui aux éditions :La Regordane- Le Villard -BP 3- 48230 Chanac - Octobre 1994
Tome sur L'Afrique du Nord . Le Transsaharien - Editions La Regordane -1992. ..... et le guide Michelin 1956.
****
Lartilleux " Géographie des chemins de fer français" Troisième volume. Afrique du nord; Librairie Chaix Octobre 1949.

vers 2ème partie : les pénétrantes de Djelfa,Touggourt, et djebel Onk. soit 266 ko
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vers 4è partie: le transsaharien.

I/ La pénétrante du Djerid: Sfax-Gafsa-Tozeur

                                A/ Les étapes de la construction

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La pénétrante du Djerid
La pénétrante du Djerid

                                          · de l'axe principal Sfax-Tozeur
La voie minière Sfax-Gafsa-Métlaoui est ouverte le 20 novembre 1898. C'est la voie qui a permis l'exportation, et donc l'exploitation du gisement de phosphate découvert par le vétérinaire militaire Philippe Thomas en 1885, dans des djebels au nord du chott Djerid, désormais appelés " Chaîne des Phosphates ".
En 1896 c'est la " Compagnie des Phosphates de Gafsa " à capitaux français, qui obtint du Bey de Tunis Ali ben Hussaïn, et la concession du gisement, et la concession de la voie ferrée à poser jusqu'au port de Sfax, à 243km de Métlaoui. L'écartement choisi est l'écartement étroit de 1m. Le concessionnaire ne bénéficia d'aucune des aides habituelles en pareil cas ; ni subvention, ni même une garantie d'intérêt. Pourtant les travaux, y compris les études préparatoires, n'ont pris que 23 mois, grâce à du matériel de pose mécanisée acheté aux Etats-Unis. La difficulté principale vint du manque d'eau qui renchérit le coût des maçonneries et explique que les ponts soient souvent métalliques.

Le prolongement saharien de Gafsa à Nefta avait été souhaité par les autorités militaires françaises pour mieux surveiller les habitants des oasis si proches de la frontière algérienne. En fait la voie ne dépassa pas l'oasis de Tozeur, riche en palmiers Deglet Nour dont les dattes sont exportables en Europe, même si les Anglais préféraient les dattes d'Irak, alors premier producteur mondial de ce fruit.
La voie arriva à Tozeur en 1912.

                                          · des embranchements
Ils sont au nombre de trois :
-Métlaoui-Tabeditt-Redeyef (Maxime Pellé) : 22km ;
-Tabeditt-Moularès-Henchir Souatir: 20km
-Gafsa-Mdilla : 11km

L'embranchement de Redeyef
fut le plus délicat à construire à cause du relief car il fallut parcourir les gorges de Seldja, au prix de 4 petits tunnels, puis grimper à 575m par des rampes de 10mm qui, il est vrai, n'étaient utilisées, en montée, que par des trains à vide. La voie est ouverte en 1907.

Le tracé de 9km vers Moularès n'a exigé que deux ponts métalliques sur les oueds Zellès et Tabeditt.
La voie est ouverte en 1909, et prolongée l'année suivante, sur 11km, jusqu'à Henchir-Souatir où elle
se soude à la voie d'une autre compagnie qui permet de rejoindre le port de Sousse.

La compagnie de Mdilla ouvre sa voie en 1913.

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Redeyef-Tabeditt-Metlaoui Redeyef-Tabeditt-Metlaoui
Redeyef-Tabeditt-Metlaoui

                                B/ Description de la ligne
A la sortie de Sfax la voie traverse une plaine couverte d'oliveraies ( on disait plutôt olivettes avant 1956 en Tunisie), toutes plantées depuis le protectorat français par des Français et par des Tunisiens. Dans cet arrière-pays sfaxien qui reçoit, au plus 250 à 300mm de pluies, les arbres sont alignés loin les uns des autres. Dans ces sols légers et sablonneux, ils bénéficient de la forte l'humidité de l'air maritime, et des " condensations occultes " de la fin de la nuit. Le parcours est commun avec celui du chemin de fer de Gabès jusqu'à Graïba, sur 29km.

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Profil Sfax-Tozeur
Profil Sfax-Tozeur
Ensuite la voie s'éloigne du littoral et le paysage devient vite steppique. La steppe à jujubier remplace les oliveraies. Il faut aussi grimper sur le plateau de Maknassy, point culminant à 420m, par une rampe de 15mm que le trains miniers n'empruntent qu'à vide. Après Maknassy la voie est dominée, au sud, par des djebels qui dépassent les 1100m (1165 au djebel Orbata) et dont les roches sont à nu.

La voie redescend alors vers Gafsa par une rampe plus douce, 10mm, que les trains doivent gravir chargés. La voie passe au sud de la vieille ville et de la palmeraie de Gafsa ; elle traverse l'oued Baïech, au lit démesuré et presque toujours à sec.

Le pont sur l'oued Baiesch au sud de Gafsa.
Le pont sur l'oued Baiesch au sud de Gafsa. Il y a raremnt de l'eau sous le pont; mais il faut prévoir large en cas de crue

Les paysages les plus pittoresques sont ceux de l'embranchement minier de Métlaoui à Redeyef. La voie suit les gorges de Seldja dominées par des escarpements calcaires verticaux vraiment spectaculaires. Là où les transports routiers ont maintenant pris le dessus, le paysage revêt des allures de Far-West avec des petites gares qui attendent des trains de voyageurs qui ne s'arrêtent presque plus.

 

                                    C/ L'exploitation : trafics et rôles
Le rôle fondateur des phosphates n'a pas disparu. Ce sont ces gisements qui ont fait du Sfax-Gafsa " l'archétype de la voie ferrée coloniale de pénétration, essentiellement vouée à écouler des richesses naturelles vers un port d'embarquement ". Le transport des phosphates est encore à l'origine du trafic principal, même s'il a un peu diminué avec la mise en exploitation d'autres gisements africains au Sénégal ou dans les provinces que le Maroc a héritées du Sahara espagnol.

Les gisements ont des couches épaisses de 0,5 à 5 mètres, avec une bonne teneur en phosphate tricalcique (60 à 70%). Ils se trouvent en bordure de dômes crétacés. La Tunisie leur doit d'avoir été le premier producteur mondial de phosphate vers 1925/1930. En années pleines les " trains-cargos " transportaient alors entre 2 et 2,5 millions de tonnes. Ces convois interminables de 80 wagons chargés de 18 tonnes chacun, transportaient 1500 tonnes ; à comparer avec les 150 tonnes du Blida-Djelfa, ou les15 000 du train de Mauritanie. Pour grimper la rampe de 10mm, à la sortie de Gafsa, on rajoutait en queue de train une locomotive de renfort. Ailleurs la locomotive de tête suffisait.

Le transport des dattes de Tozeur et de Nefta n'a fourni qu'un appoint très secondaire.

Il est sûr que les administrateurs ont toujours privilégié le tonnage, et non la vitesse. Néanmoins la naissance, entre les deux guerres, d'un flux de touristes attirés par cet exotisme d'accès facile, plus près de la côte que les oasis d'Algérie notamment, a poussé à l'amélioration des performances du service voyageurs. Comme en Algérie les trains de voyageurs ont été remplacés par des autorails deux fois plus rapides. En été 1939 la société avait acheté 4 autorails Brissonneau & Lotz. Mais ils ne sont entrés en service qu'en 1946 ! La guerre les avait bloqués à Creil ; et en 1945, sur le bateau qui les transportait en Tunisie ils ont été endommagés, sur le pont du navire, par une tempête d'une exceptionnelle violence. Lors des essais, en 1946, l'un de ces autorails avait atteint la vitesse, record pour ce type de voie, de 132km/h.

Autorail Brissonneau&Lotz mis en service en 1946. Il est suivi d'une remorque Verney.
Autorail Brissonneau&Lotz mis en service en 1946. Il est suivi d'une remorque Verney.

Après 1950 toutes les locomotives à vapeur furent remplacées par des Diesel Alsthom appelées " BB Gafsa " avant de devenir, plus anonymement BB de type Standard.

Quelle situation en 2006 ?
Le trafic minier reste l'essentiel malgré sa diminution.

Les trains de voyageurs Sfax-Tozeur circulent encore, malgré la concurrence routière. Il y a deux trains quotidiens ; un de jour et un de nuit. Les 296km sont parcourus en 9 heures. Par contre les correspondances par autobus vers l'Algérie, entre Nefta et El Oued, dans le Souf, n'ont pas survécu aux troubles des années 1950.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir...superbe..
les gorges de Seldja
les gorges de Seldja
Plus tard est apparu un train à vocation uniquement touristique sur l'embranchement minier de Redeyef : le " lézard rouge ". Ce lézard lézarde dans les gorges de Seldja, avec possibilité d'arrêt-photo. Il circule 5 jours par semaine, ou en charter à la demande de groupes assez nombreux. Le trajet dure 1h15.
Contrairement aux gares terminus des lignes de
pénétration algériennes, dénuées de toute recherche architecturale, la gare de Tozeur a bénéficié d'un soin particulier.

La construction est en briques, avec un porche à
arcades et des bandeaux décoratifs autour des
fenêtres.
La gare de Tozeur
La gare de Tozeur

             II/ La pénétrante du Maroc oriental:Oujda, Bou Arfa -

                               A/ Les étapes de la construction
C'est la découverte, en 1914, d'une gisement de manganèse, à 300km au sud d'Oujda, qui rendit souhaitable la construction d'une voie ferrée. On songea d'abord à une voie de 0,60m analogue à celles du réseau des voies militaires posées à partir de 1912. Mais les priorités militaires liées aux opérations de la guerre du Rif contre Abd el Krim (1921-1926) retardèrent la réalisation de ce projet primitif.
Il réapparut en 1927 avec l'écartement de 1m. Le 6 avril le gouvernement chérifien accorda la concession de cette ligne minière à la CMO (Compagnie des chemins de fer du Maroc Oriental), dont l'un des propriétaires est la société des mines de Bou Arfa. Les premiers travaux de terrassement sont entrepris pour une voie métrique. Mais l'année suivante, les CMO optèrent pour la voie standard également choisie pour la future voie Oujda-Fès. Malgré la nécessité d'adapter les terrassements déjà réalisés, les travaux avancèrent vite. La voie est ouverte en février 1931.

D'Oujda à Bou Arfa, il y a 305km, mais la CMO n'eut à poser que 289km de rails car sa voie se branche sur celle de Fès à Beni Oukil, à 16km à l'ouest d'Oujda. Restait à trouver un port d'exportation commode. On avait au début pensé à Port-Say, où un Français, le lieutenant de vaisseau Say avait fait construire à ses frais deux petites jetées à l'est de l'embouchure de la Moulouya entre 1900 et 1906. Mais le projet de transformer ce tout petit port de pêche en port en eaux profondes fut abandonné, d'autant plus volontiers que ce port s'ensablait. En 1930 il était complètement ensablé. Jusqu'en 1934 le seul port utilisable fut Oran. En 1934 la liaison à voie normale avec les ports marocains de l'Atlantique est enfin achevée ; mais ces ports sont vraiment trop éloignés. La bonne solution n'intervint qu'en mars 1936, quand fut ouverte la voie ferrée vers le port algérien de Nemours (Ghazaouet). Elle supposait une bonne entente entre les deux pays ; ce qui allait de soi dans le cadre de l'Empire français, mais pas dans celui des relations entre deux états souverains dotés de régimes politiques opposés.

A cette voie principale il faut ajouter deux embranchements qui desservent les carreaux de deux gisements : celui d'anthracite de Djerada, où le chemin de fer double un téléphérique de 22km qui arrivait à la gare de Guenfouda, et celui de manganèse de Bou Arfa plus au sud.


                                B/ Description de la ligne
Après la gare de bifurcation de Beni Oukil la voie remonte la vallée de l'oued Isly et de l'un de ses affluents, l'oued Mniarène, se rapprochant ainsi très près de la frontière algérienne. Comme je crois le nom d'Isly connu de tous mes lecteurs algérois, une petite piqûre de rappel historico-géographique me paraît opportune. L'Isly est un oued et une victoire remportée sur l'armée du Maroc ; la Tafna est l'oued dans lequel se jette l'Isly, et une Convention. Le nom de Bugeaud est associé à ces deux oueds.

Le 20 mai 1837, Bugeaud alors commandant des troupes de l' Oranie, signe la calamiteuse Convention (on dit aussi le traité) de la Tafna par laquelle il augmente beaucoup les pouvoirs d'Abd el Kader, y compris le pouvoir de nous nuire.

Le 14 août 1844, Bugeaud Maréchal de France, " Gouverneur des possessions françaises dans le nord de l'Afrique " et futur Duc d'Isly, remporte près de cet oued une victoire décisive sur les troupes du sultan Moulay Abderrahmane alors allié d'Abd el Kader.

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Oujda-Nemours
Oujda-Nemours

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Bou-Arfa
Bou-Arfa

Ce détour par l'oued Mniarène permet d'éviter la traversée frontale de l'Atlas Tellien permise au téléphérique.

Peu après la gare de Tiouli la ligne aborde les hautes plaines à alfa qui prolongent celles d'Oranie. La voie monte peu à peu jusqu'à plus de 1300m. Berguent (Aïn Benimathar )est à 925m.
Le point culminant de la ligne est à Tendrara. A travers ces hautes steppes, où la végétation est de plus en plus clairsemée, la ligne est souvent rectiligne sur de longues portions. Les gares ne sont, au sud de Tendrara, que des points aménagés pour les croisements car il s'agit d'une voie unique comme la très grande majorité des voies ferrées en Afrique du nord.

La ligne des CMO continue encore 67km vers le sud, puis contourne le djebel Bou Arfa. Mais un court embranchement de 5km dessert le carreau des mines.

Bou-Arfa par satellite
Bou-Arfa par satellite

Au sud de Bou Arfa on entre dans le désert. La photo satellitaire le montre bien. Les lignes noires soulignent le tracé des pistes, et les pointillés rouges le tracé de la voie ferrée.

Au sud de Bou Arfa la voie ferrée est maintenant abandonnée. Elle n'était d'ailleurs pas la continuation de la pénétrante marocaine, mais le début du chemin de fer transsaharien qui ne fut jamais terminé, mais qui atteignit tout de même Colomb-Béchar en Algérie.

L'espace plat au sud des monts de Bou Arfa est la plaine de Tamlelt.


                                
C/ L'exploitation : trafics et rôles
Le trafic est d'abord minier. Le manganèse de Bou Arfa est destiné à l'exportation ; l'anthracite de Djerada est destiné au marché intérieur marocain. Les tonnages sont modestes , de l'ordre de 30 000 tonnes pour le manganèse, et moins de 100 000 tonnes pour le charbon. L'alfa fournit un modeste complément.

Les locomotives à vapeur des années 1930 sont remplacées par des Diesel Baldwin américaines. En effet les accords d'Algésiras de 1906, signés par 13 pays dont les EU avaient décidé l'internationalisation économique du Maroc. Même après l'établissement de son protectorat la France ne pouvait protéger ses intérêts par des droits de douane.

Les services voyageurs ont toujours une place très marginale. Ils étaient assurés, dans les années 1940 par des autorails De Dietrich. En 1941 il y avait un service de bout en bout, hebdomadaire !

Quelle situation en 2006 ?
Les troubles en Algérie à partir de 1954, puis les conflits algéro-marocains de 1963 et 1976 ont chamboulé le système d'exploitation inter territorial hérité de la période française.
o La voie au sud de Bou Arfa est abandonnée et la liaison avec Colomb-Béchar coupée.
o Il n'y a plus de service voyageurs au sud de Tendrara.
o Le port algérien de Nemours n'est plus accessible.
o Le Maroc a aménagé le port de Nador, près de Mélilla, et l'a relié par une voie ferrée qui
s'embranche à Taourirt sur la voie Oujda-Fès.

             III/ La pénétrante mauritanienne : Port-Étienne - Fort Gouraud

                               A/ Les étapes de la construction
L'idée de cette ligne remonte à 1933. Elle est apparue à la suite de la découverte, en mai, près d'un poste militaire français très isolé, d'un énorme gisement d'hématite. Ce gisement de Fort Gouraud (Zouérat), ou de la Kédia d'Idjil, a d'indéniables avantages : sa teneur en fer (63 à 68%), ses réserves (200 millions de tonnes) et la possibilité d'une exploitation à ciel ouvert. Il a par contre un gros défaut : sa situation derrière la frontière du Sahara espagnol. Pour atteindre la mer il faut, soit traverser le Rio de Oro ( impossible pour raisons politiques), soit le contourner. En plus en 1933 les tribus Regueïbat et Ouled bou Sba de ces confins franco-espagnols, sont encore turbulentes. On décida d'attendre.

On attendit ainsi jusqu'en 1952. Cette année là, 7 ans après la fin de la guerre, un groupe franco-anglo-canadien crée la Miferma (Société des mines de fer de Mauritanie). Les Français y détiennent 51% du capital et pilotent ce projet concernant une de leurs colonies d'AOF. Le passage à travers le Sahara espagnol étant encore moins envisageable qu'avant l'arrivée de Franco au pouvoir, il va falloir contourner. Il n'est pas inutile de savoir que la Miferma a été nationalisée en 1974, puis transformée en société d'économie mixte ouverte aux capitaux privés en 1978. Son nouveau sigle est celui de SNIM (Société Nationale Industrielle et Minière).

La décision de construire la voie est prise le 21 mars 1960. Les travaux commencent le premier avril dans une Mauritanie devenue République autonome de la Communauté franco-africaine. Quand la pose est achevée en mars 1963 la Mauritanie est alors une République Islamique indépendante.

Le premier train d'essai a testé la voie en avril 1963. Et le premier train minéralier est chargé au terminal de Tazadit le premier juin.

L'inauguration peut se tenir, le 16 juin, en présence du premier Président de la République Moktar Ould Daddah.

La construction de ces 650km de voies posées en plein désert a été très rapide, grâce à l'expérience acquise avec les études préparatoires et avec la pose des 91 premiers kilomètres du Transsaharien, au début des années 1940. Les ingénieurs avaient inventorié trois difficultés : la falaise de Choum, juste à l'angle droit de la frontière, des dunes fixes et une zone de barkhanes (petites dunes en croissant) très mobiles, au nord de Port Etienne (aujourd'hui Nouâdhibou).


                                B/ Description de la ligne
Sa longueur officielle est de 648km ; mais en y ajoutant les installations portuaires, les voies d'évitement et l'accès aux 4 sites de chargement (le dernier ouvert en 1994), c'est 740 km de rails qui ont dû être posés.

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Ligne Miferma
Ligne Miferma

Il s'agit d'une voie unique à écartement normal et qui n'a pas été construite à l'économie comme tant d'autres auparavant. La rampe la plus rude gravie par les trains chargés est de 5mm ; c'est très peu. Le rayon minimal des courbes est de 1000m ; c'est beaucoup. Ce serait une voie d'exploitation très facile s'il n'y avait pas les inconvénients du sable.

Dans la zone des dunes fixes la voie a dû être posée sur un remblai adapté ; dans celles des barkhanes baladeuses on a essayé de les stabiliser en les imprégnant de divers corps gras, et notamment d'huile de vidange.

En réalité le risque d'ensablement a été réduit, mais pas supprimé. La voie est dans la zone de l'alizé du nord-est qui pousse le sable 12 mois sur 12. Il n'y a qu'un seul véritable ouvrage d'art : le tunnel de 1893m percé sous la falaise de Choum et rendu nécessaire par l'impossibilité d'écorner légèrement le territoire espagnol.
Il n'y a pas de signalisation au sol le long de la voie ; la sécurité est assurée uniquement par radio.

Des centres d'entretien légers sont disposés tous les 150km. Leur personnel comportant 60 personnes, de véritables villages se sont édifiés autour de chacun d'eux, dans cette région très peu peuplée et de tradition nomade. A Port Etienne (Nouâdhibou) le port minéralier en eau profonde de Cansado a été creusé à l'abri de la longue langue de terre du Râs Nouâdhibou (ex Cap Blanc). Les bateaux peuvent être chargés quel que soit l'état de la mer.

Il y avait 6 voies d'évitement pour le croisement des trains en 1963 ; il y en a maintenant 9, une tous les 60 kilomètres environ.

Il y eut peu d'obstacles à surmonter lors de la construction ; mais il en reste un qui gêne en permanence l'exploitation : c'est l'ensablement. Bien sûr il y a d'abord le risque d'ensablement des rails. La parade est le " wagon-soc ", une sorte de chasse-sable poussé par une locomotive à 15 km/h. C'est efficace, mais à refaire après chaque vent de sable. D'autre part le sable projeté par le vent, même faible, érode les rails. Une parade temporaire consiste à permuter les deux rails gauche et droit qui, vu la régularité de l'alizé, ne sont usés que d'un seul côté. Cette opération ne peut être tenté qu'une fois : ensuite il faut changer les deux rails. La lutte contre le sable est, paraît-il, la préoccupation la plus constante et la plus absorbante du Service de la voie. C'est un travail de Pénélope, ou de Sisyphe, jamais terminé et toujours à reprendre.


                                    C/ L'exploitation : trafics et rôles
La ligne transporte ce pour quoi elle a été créée : elle achemine vers un port d'exportation le minerai extrait dans l'intérieur du pays. Ce rôle primitif et primordial demeure intact. Elle est parcourue chaque jour par des trains de wagons tombereaux pleins qui " descendent " et par des trains de wagons vides qui " remontent ". On peut considérer tous les autres transports comme des trafics complémentaires (indispensables) ou comme des trafics accessoires que l'on pourrait supprimer.

Le trafic minier est un trafic lourd. Le tout premier train commercial, celui du 19 avril 1963, comportait 135 wagons de minerai (10 000 tonnes de minerai pour 14 000 tonnes de poids total), était long de 1750m et était remorqué par une " triplette " de trois locomotives associées. Le parcours dura 17 heures à 38km/h de moyenne. La gestion de la ligne avait prévu deux trains quotidiens pour une capacité annuelle totale de 6 millions de tonnes.

Aujourd'hui les vitesses n'ont pas changé (50 en vitesse de pointe), mais la capacité a doublé. Il y a trois trains par jour, avec presque 200 wagons de minerai sur un maximum de 210 wagons formant un convoi de 2500m. La capacité théorique a beau avoir doublé, à 12 millions de tonnes, le trafic réel est bien inférieur, entre 6 et 10 millions. Il dépend un peu des aléas techniques et beaucoup de l'état du marché mondial. Au port de Cansado les wagons sont déchargés par un culbuteur qui les renverse et dont la capacité est de 5000 tonnes/h. Le port est accessible à des navires de 150 000 tonnes.

Une rotation complète, chargement et déchargement compris, prend 48 heures.

Le Culbuteur au port de Cansado
Le Culbuteur au port de Cansado
Un wagon plat avec voiture et chèvres
Un wagon plat avec voiture et chèvres

Aux trains minéraliers sont accrochés, dès le premier jour, d'autres wagons ; des citernes, et des wagons plats, mais pas de voiture pour voyageurs. Au contraire des wagons tombereaux, les wagons citernes descendent vides et remontent pleins, soit d'eau potable pour les gens , soit de produits pétroliers pour les machines. Sur les wagons plats on peut placer un peu de tout, nomades et animaux compris. Pour ces derniers il y a des clients et des resquilleurs , dans les deux sens .

Très vite des voyageurs clandestins ont trouvé place dans ou sur les wagons tombereaux ; ils y sont tolérés, ainsi que leurs bagages.

En 1973 a été ajoutée en queue de train une voiture voyageurs, une fois par jour. La gare de Choum est même considérée comme la gare de la ville d'Atar, pourtant située presque 100km plus au sud, mais reliée par une bonne route, la RN 1. En 2006 le prix du billet, de Nouâdhibou à Zouérat était de 60€ : trop cher pour le Mauritanien de base.

Depuis une vingtaine d'années il existe enfin un autorail panoramique et climatisé, louable seulement par des agences de tourisme pour des groupes en voyage organisé. Cet autorail s'arrête ici ou là, et notamment à Ben Améra pour jeter un coup d'oeil à son imposant monolithe.

Cette voie minière typiquement coloniale par son inspiration, entre un gisement et un port, assure sinon le bonheur des Mauritaniens, du moins l'essentiel des ressources en devises de la République Islamique née durant la période des travaux. Elle a débloqué la " Montagne de Fer " de la Kédia (plateau) d'Idjil et fournit certaines années jusqu'à 85% des devises entrées au pays. Cet apport considérable a permis à ses dirigeants de quitter la zone franc en 1973, et même l'UEMOA ( Union Economique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest), pour gérer seuls leur matelas de devises. Sa nouvelle monnaie, l'Ouguiya, n'avait plus besoin de la caution de la France. La mine de fer et le chemin de fer associé ont fourni, à ce pays peuplé de moins de 3 millions d'habitants, ses revenus les plus importants.

Cette voie est aussi un fournisseur d'emplois, et notamment d'emplois qualifiés ; Son rôle d'agence de formation professionnelle destinée à des gens ne parlant que le Hassania et quelques mots d'arabe parfois, est l'une de ses réussites . Dès 1973 certains trains ne circulaient qu'avec du personnel mauritanien.

C'est aussi une infrastructure fragile, voire un enjeu stratégique, en période troublée, comme de 1976 à 1978. Elle a été menacée par le Polisario après que la Mauritanie eut annexé le Tiris (partie sud de l'ex Sahara espagnol) avec Dakhla (ex Villa Cisneros). En 1976 le Polisario attaque Zouérat. En 1976 et 1977 il prend en otages des employés français (libérés en fin d'année). En 1978 il sabote la voie en mars… et en juillet Moktar Ould Daddah est renversé par un coup d' Etat. Son successeur s'entend avec le Polisario et abandonne le Tiris (qui est alors pris par le Maroc).Le trafic peut reprendre normalement après de longues périodes de suspension.

Cette voie s'est enfin révélée comme un " vecteur de vie "en ravitaillant en eau la ville de Zouérat née en plein désert., et tous les villages apparus sur le trajet.

Cet indéniable succès prouve la faisabilité technique du Transsaharien. Mais il ne prouve absolument pas que son exploitation eût été rentable, ni même durable. Ce projet était adapté au cadre de l'Empire français. La balkanisation de l'Afrique qui a accompagné la décolonisation des années 1954-1962 l'aurait fait disparaître aussi vite qu'il a tué la portion du Méditerranée-Niger posée entre Bou Arfa et Abadla dans les années 1940.

Une triplette de locomotives CC et quelques wagons de minerai dans le désert mauritanien.
Une triplette de locomotives CC et quelques wagons de minerai dans le désert mauritanien.
  La pénétrante du Djerid Profil Sfax-Tozeur les gorges de Seldja Oujda-Nemours Bou-Arfa ligne miferma