Les transports au Sahara
du temps de la présence française en Algérie

extraits du numéro 51, 2è trimestres 2012, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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Ici : août 2012

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Les transports au Sahara
du temps de la présence française en Algérie


Lorsque l'on évoque le Sahara, un certain nombre de clichés apparaissent qui viennent immédiatement à l'esprit : " l'immensité ",
les mirages ", " la caravane qui passe ", " les grands raids ", " le pétrole et Hassi Messaoud ", et un certain nombre de noms évocateurs : Ghardaïa, El Goléa, In Salah, Tamanrasset, Touggourt, Ouargla, Colomb Béchar, Timimoun, Adrar...

Mais sait-on que la connaissance complète du Sahara ne date que d'un siècle. En 1959, avec la mission Berliet Ténéré, d'importantes découvertes furent faites tant sur le plan de l'exploration de tracés de routes que sur le plan scientifique, avec une foison de renseignements sur les différentes périodes du néolithique à nos jours.

Géographie et histoire

Le Sahara s'étend de la côte atlantique jusqu'aux bords de la Mer Rouge, représentant une surface de 8 millions de km2. Le Sahara français atteint 4.300.000 km2, soit quatre fois la surface de la France métropolitaine, avec une population d'environ un million d'habitants.

Le Sahara algérien, couvre du nord au sud : de l'Atlas saharien, passant par les grands ergs pour finir au Tanezrouft, et d'est en ouest : du Grand Erg oriental avec le massif du Hoggar et le Tassili des Ajjer, le Gourara et le Tidikelt, et le Grand Erg Occidental.

La nature des sols varie énormément allant de sols rocailleux aux sables et aux montagnes déchiquetées, comme dans le Hoggar, dont l'un des sommets culmine à plus de 3.000 m.

Dans la partie centrale, l'eau est un élément vital, sans cette denrée rare, il y est impossible de survivre. La lecture de certains raids des missions françaises montre combien il fallait connaître les points d'eau pour traverser le Sahara.

Du nord au sud la population est variée; la majorité des habitants est d'origine berbère. Au Nord, la région du Mzab, avec comme capitale Ghardaïa, est un groupe ethnique arabo-berbère, les Mozabites; ce sont des commerçants nés. Au centre, les Touareg forment une population en tribu, sont nomades et se déplacent au gré des pâturages pour la nourriture de leurs troupeaux, moutons et dromadaires. Ils sont guerriers par excellence et, avant la présence française, opéraient des rezzous (attaque rapide et inattendue par une bande armée) sur les caravanes qui circulaient sur leurs territoires.

a Panhard et Levassor des frères de Crawhez,
La Panhard et Levassor des frères de Crawhez,
1ère voiture à pénétrer le M'Zab.

Les Touareg sont grands, leur teint est mat, ils ont de petites mains mais une forte musculature, ce sont des guerriers. Ils sont de religion musulmane, mais ne jeûnent pas, ne font pas régulièrement leurs ablutions, ne saignent pas les animaux, la langue parlée est le Tamâheq.

Plus on va vers le Sud, plus la population touareg est nombreuse, car l'eau est plus abondante, bénéficiant des pluies du Sahel ; certaines tribus se sont même sédentarisées.

La pénétration au Sahara date du milieu du XIXe siècle à la suite de la conquête du nord de l'Algérie, l'implantation française dans les oasis en limite de l'Atlas saharien, celles-ci devant être reliées aux possessions françaises en Afrique subsaharienne, au Sénégal et au Golfe de Guinée.
Un certain nombre de grands noms marque cette conquête avec des échecs retentissants et des massacres de missions comme celle du colo?
nel Flatters qui ralentirent la pénétration. Mais au demeurant, grâce à des initiatives heureuses comme la mise sur pied des Compagnies Sahariennes de Méharistes par le commandant Laperrine, une grande partie du Sahara en 1904 était sous les couleurs françaises.

Au départ, ce sont des individus entreprenants qui explorèrent le Sahara. On peut citer en tout premier le Major Gordon Laing qui disparut au cours de sa mission au début du XIXe siècle ; puis un Français René Caillé, qui fut le premier européen à pénétrer dans Tombouctou, grâce à un subterfuge, se faisant passer pour un musulman. Il réussit ensuite à traverser le Sahara pour arriver jusqu'au sud marocain. Il faut citer également un anglais Henri Barth, un français Henri Duveyrier, premier européen à se rendre à l'oasis d'El Goléa, un allemand Gerhard Rohlfs, appelé le " marathonien des pistes ", deux autres allemands Gustav Nachtigal et Erwin Von Bary, enfin un marchand juif, Mardoché Abi Serour, qui organisa, à son bénéfice, une liaison quasi permanente entre Tombouctou et le Maroc. Dans cette liste, il ne faut pas oublier l'explorateur Camille Douls qui se consacra surtout à la connaissance du Sahara occidental. Mais la conquête du Sahara français est l'oeuvre essentielle de l'Armée française avec des figures d'officiers comme le Capitaine Pein, qui conquit In Salah, le lieutenant Cottenest qui alla à la conquête du Hoggar. S'ensuivirent celles du Niger, du Tchad et de la Mauritanie. Tous ces territoires furent acquis par des pénétrations à dos de chameaux. Beaucoup plus tard vinrent l'exploration motorisée et l'organisation de grands raids routiers ou aériens.

Les différents modes de transport

On distingue quatre modes de transports au Sahara : à l'origine les caravanes chamelières, suivies par l'automobile, le train et l'avion, éventuellement un cinquième, occasionnel, la marche à pieds. Ce type de déplacement, pratiqué par les Touareg ou par les militaires, était dû à des incidents exceptionnels comme la perte d'animaux ou les conséquences de rezzous ne laissant aux survivants aucun autre moyen (certains ont fait plus de 500 km).

Les caravanes chamelières À l'origine, le seul mode de transport au Sahara était le dromadaire. Des caravanes sillonnaient du sud au nord cette immensité, apportant au nord des denrées indispensables, comme le sel, le mil ou les tissus. Ces caravanes, de plusieurs centaines de dromadaires, partaient des limites des contrées subsahariennes, notamment de la boucle du Niger et du lac Tchad, pour traverser, à leurs risques et périls, des paysages parfois lunaires, emmenant souvent avec eux leur famille.

Certaines tribus touareg contrôlaient les déplacements sur ces pistes avec des villes relais. Deux grands axes caravaniers parcouraient le Sahara depuis l'Aïr, le premier reliant l'empire du Mali au Fezzan et à l'Égypte, le second le pays haoussa ( nord ouest du Nigéria ) au sud algérien et à la Tripolitaine. A partir du XVe siècle, le négoce caravanier transsaharien connut une période d'activité accrue qui s'estompa peu à peu à partir du XVIIe siècle, pour disparaître après la guerre de 1914-1918. Les caravanes chamelières ont été le seul moyen de locomotion fiable pour toutes les entreprises individuelles ou militaires devant traverser le désert, jusqu'au début du XXe siècle.

Les transports routiers


Le développement des transports routiers s'est fait à partir des grandes villes situées à la frontière de l'Atlas saharien. Les points de départ des axes routiers s'égrènent d'est en ouest :
Biskra, El Oued, Touggourt, Edjelè, Alger, avec la branche Ouargla, Hassi Messaoud, Fort Flatters et la branche Laghouat, Ghardaïa, El Goléa, In Salah et Tamanrasset, enfin Oran Colomb-Béchar, Beni Abbès, Timimoun, Adrar, Ouallen et Bidon V.

Laghouat a été occupée en 1852, Touggourt en 1854, Ghardaïa avait son autonomie en 1853. La pénétration française fut freinée par l'hostilité des Touareg et des Anglais ; l'obstacle anglais, tout symbolique, fut levé par la Convention du 5 août 1890 par laquelle le Royaume Uni reconnaissait la zone d'influence française au sud de ses possessions méditerranéennes jusqu'à la ligne allant de Say sur le Niger à Barroua.
La route du Hoggar est ouverte en 1899 par la difficile conquête d'In Salah aussitôt suivie par les occupations du Tidikelt, du Gourara, du Touat et de la Saoura.

Il faut voir ces pénétrations comme de grands axes, bien jalonnés et permettant une libre circulation des individus avec leurs dromadaires, sous la protection des militaires qui assuraient la sécurité territoriale.

Les premiers essais de véhicules à moteur datent de 1901 par trois frères belges, Pierre, Jean et Joseph de Crawhez, qui atteignent Ghardaïa le 14 février 1901. En 1908, Gaston Liegeard équipe une Peugeot de 28 CV avec de grandes bandes et va de Biskra à Touggourt en parcourant 450 km. Ce sont les premiers essais routiers suivis d'autres comme les raids organisés par les constructeurs automobiles, Renault et Citroën.
Le Commandant Pein fera en 1909 une liaison Alger Ouargla en motocyclette, mais ne pourra aller au-delà, le sable l'en empêchant. La première guerre mondiale incitera les militaires à se motoriser et en 1920, trente-deux camionnettes partent de Ouargla à Tamanrasset ; seules neuf y arriveront.

A cette époque il n'y avait que des pistes balisées, elles étaient souvent recouvertes de sable, créant des problèmes d'orientation.

Les civils prennent le relais des militaires en créant les premières " croisières " et de nombreux raids. L'invention de la chenille permit le démarrage de ces expéditions, relayées très rapidement par la roue et le pneu.

En 1922-1923, Georges-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil réussissent la première traversée automobile du Sahara de Touggourt à Tombouctou par Tamanrasset sur autos chenilles Citroen.

Car Pullman RENAULT (voyageurs et marchandises)
Car Pullman RENAULT (voyageurs et marchandises)

En 1923, la mission Gradis-Estienne, toujours sur autos chenilles Citroën, part de Beni-Ounif de Figuig, au nord de Colomb-Béchar, passe par Adrar pour atteindre le Tessalit par le Tanezrouft et en 1924, Citroën organise la Croisière Noire, mission d'Alger à Gao par Adrar, pour atteindre Le Cap et Madagascar. Mais la concurrence Renault arrive en utilisant non plus les chenilles mais des voitures à 6 roues dont 2 jumelées de chaque côté à l'avant du véhicule. La mission Schwob comble en 5 jours le trajet Colomb-Béchar Bourem au nord du Mali. Elle sera suivie par le raid du Capitaine Delingette et sa femme sur une Renault 6 roues de 10 CV d'Oran au Cap. D'autres missions s'organisèrent, nombreuses et variées :

- Mission Sahara Niger de 1926, organisée par le Gouvernement Général de l'Algérie, avec des véhicules 6 roues Berliet et Renault

- Nouvelle mission Estienne, cette fois-ci sur Renault, qui prépare l'ouverture d'un service Algérie-Soudan en jalonnant la piste de fûts d'eau et d'essence enterrés dans le sable tous les 50km et repérés au sol par des bidons numérotés. La star du bidon fut le bidon n°5, Bidon V, appelé à un avenir quasi mythique en tant qu'étape à la porte du Tanezrouft

- Mission Delahaye du Prince Sixte de Bourbon Parme en 1929

- Mission Laffly (constructeur automobile) en 1930, à prétention scientifique, d'Alger à Fort Flatters, par In Salah, Bidon V et Tamanrasset, avec des véhicules à moteur diesel.

Les militaires ne furent pas en reste, ils organisèrent de leur côté des raids motorisés, comme la mission en mars 1933 de Wauthier Bréard, d'Alger Tamanrasset Bilma, oasis au nord est du Niger.

Ces diverses missions ouvrirent la voie à la constitution de socié- tés de transports. Plusieurs compagnies vont se partager l'exploitation de lignes, avec services réguliers de marchandises et de population, notamment de touristes fortunés. Deux de cel- les-ci émergent :

- la CGT ou Compagnie Générale Transsaha- rienne, dirigée par Georges Estienne en 1927 ; un vrai décollage en 1930 avec une quarantaine de véhicules Renault, cars couchettes et limou- sines destinés à une clientèle fortunée, propo- sant chaque année trente voyages aller-retour de Colomb-Béchar à Gao sur le Niger. " Les pistes sont considérées comme excellentes de Colomb-Béchar à Beni-Abbès et comme amé- liorées de Laghouat à Tamanrasset et de Touggourt à Fort Flatters ".

- la SATT, Société Africaine de Transports Tropicaux ( le A au départ voulant dire Algérienne ), créée par le Gouvernement Géné- ral de l'Algérie, avec comme axe central Alger

Tamanrasset et au- delà, sans concur- rence avec la CGT. Dès 1937, cette société s'équipe de cars Pullman Renault à l'allure aérodynamique. En 1939, elle ouvre une nouvelle ligne à l'écart de l'axe central : Ouargla Fort Flatters Djanet. La guerre de 1939-1945 perturbe les liaisons mais dès la fin de celle-ci, la SATT, après le rachat de la CGT, a un quasi-monopole des lignes sahariennes.

Toutefois, l'évolution économique et politique, à partir de 1954, va changer les transports : de liaison essentiellement de petites marchandises et transport de personnes, ce sont les transports de marchandises lourdes destinées à la recher- che pétrolière qui vont jouer sur deux aspects : - d'une part l'évolution du réseau routier : en 1945, eut lieu le premier grand programme d'in- frastructure routière pour le Sahara, avec l'en- robage des routes; mais la découverte du gaz et du pétrole à Hassi'Rmel, au sud de Laghouat, Hassi Messaoud près d'Ouargla et d'Edjelé à la frontière libyenne, nécessitera le perfectionne- ment du réseau desservant les oasis tout en créant, de toutes pièces, un nouveau réseau capable de relier les puits, mis en production, aux grands axes routiers.

- d'autre part le matériel à transporter, étant d'un volume important et d'un poids considérable, a incité les constructeurs à créer des véhicules susceptibles de répondre aux exigences des sociétés pétrolières et de recherches sismiques. Les sociétés Willème, Renault, Berliet, et même les constructeurs allemands et européens se sont concurrencés, apportant des innovations dans le domaine des transports de charges lourdes au Sahara.

Les transports ferroviaires

L'un des deux premiers fourgons automoteurs
L'un des deux premiers fourgons automoteurs en essai sur Biskra-Touggourt.

On peut distinguer quatre grandes voies de pénétration :

1) la pénétrante de Colomb-Béchar pour laquelle deux tracés ont existé : le premier à partir du port d'Arzew sur la Méditerranée, en passant par Méchéria dans le sud oranais, avec un écartement de ligne de 1,055 m, le second partant de Nemours pour atteindre Oujda au Maroc puis au sud Bou-Arfa, Colomb-Béchar pour finir à Abadla, le tronçon du Maroc ayant un écartement normal. Cette pénétrante transportera des voyageurs pendant un certain temps mais surtout des marchandises et le minerai de Khenadza. Des dérivations seront faites pour desservir les gares de Krafallah et Modzbah pour le transport de l'alfa.

2) La deuxième pénétrante est celle de Blida à Djelfa, 273 km, à écartement de voie de 1,055 m, ouverte dès 1892 mais n'atteignant Boghari qu'en 1912 et enfin Djelfa en 1921 ; elle devait se prolonger jusqu'à Laghouat et Ghardaïa, mais ce ne fut qu'un voeu pieux. La construction de cette ligne nécessita de nombreux ouvrages d'art, la partie la plus haute culminant à 1164 m à Ben Chicao.

3) Le troisième axe concerne la ligne Biskra Touggourt, 217 km, qui s'enfonce le plus dans le vrai désert par la dépression de l'oued Rhir.
Cette ligne a eu deux vies différentes : la première date de la fin de sa construction en 1914 jusqu'en 1958. L'écartement des voies est de 1 m. Le trafic à l'origine est essentiellement celui du transport des dattes, mais à celui des marchandises s'ajoutera le tourisme avec des wagons peints en blanc, ce train sera alors surnommé " le train blanc ". Puis entre mars et décembre 1957, fut construite, sur le même trajet, la ligne avec un écartement normal de 1,435 m afin de permettre le transport des marchandises de la recherche pétrolière.

4) Le dernier tronçon est celui de Tébessa- Djebel Onk, 95 km, ouvert en 1966, voie normale de 1,435m. La construction commencée en 1960 s'est terminée après l'indépendance, elle fut destinée essentiellement au transport du phosphate.

Toutes ces pénétrantes, outre la voie principale, auront des dérivations pour atteindre des centres de production comme sur la ligne Biskra Touggourt, la dérivation d'El-Oued et celle de Tolga.

Les transports aériens

C'est la dernière composante de cet article sur les moyens de transport au Sahara; dans ce même Mémoire Vive, le professeur Jean-Pierre Marciano nous expose la création des premières lignes aériennes au Sahara. Se référer en conséquence à son article.

Bernard Vigna

Note du site: Voir sur ce site

Les transports au Sahara -Textes, illustrations de Georges Bouchet.
Je remercie chaleureusement l'auteur pour cette importante contribution au site.
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