Urbanisme, architecture à Alger, en Algérie
L'aménagement des communes annexées par le Grand alger
CRÉER DES ZONES À VIE ET DENSITÉ URBAINE
ce thème bouleverse entièrement l'économie des "banlieues" et l'orientation de quartiers jusqu'ici dirigée sur le centre ville.
Illustrations, textes extraits de "Alger-Revue, printemps 1960"
mise sur site le 20-11-2007

138 Ko
retour
 
AVERTISSEMENT: En cliquant sur les mots en rouge soulignés, vous accédez à ce lieu.
En cliquant sur les vignettes, vous agrandissez l'image.
Par exception, Dély-Ibrahim, commune champêtre, est appelée dans les structures nouvelles d'Alger, à conserver son caractère agreste, dont le bois des Cars (à gauche) n'est pas le moindre attrait.
Par exception, Dély-Ibrahim, commune champêtre, est appelée dans les structures nouvelles d'Alger, à conserver son caractère agreste, dont le bois des Cars (à gauche) n'est pas le moindre attrait. Voir paragraphe plus bas.

Y a-t-il un problème d'aménagement particulier aux communes dites suburbaines ? (par le fait du Grand-Alger, ce terme de suburbain devient impropre). Peut-on traiter d'un problème d'aménagement d'El-Biar, de Birmandreïs, d'Hussein-Dey ?

Je montrerai les raisons pour lesquelles il est devenu impossible de voir les choses sous ce jour. Le Grand-Alger n'est pas une vue de l'esprit, c'est une réalité concrète : une entité urbaine qui va de Maison-Carrée à Bouzaréah.

C'est donc dans le contexte de cette unité que doit être replacée chacune des communes. Je montrerai aussi que les nouvelles structures et la nouvelle occupation du site vont déplacer les centres de gravité et que de nouveaux arrondissements délimités par la géographie avant de l'être par un acte administratif auront tendance à se former.

(Pour citer un exemple que l'on commence à connaître, ( la nouvelle unité des Annassers est à cheval sur les anciennes communes de Kouba et de Birmandreïs).

Traiter du problème des " communes suburbaines " revient donc à décrire le nouveau plan d'aménagement du Grand-Alger. Lorsqu'on regarde le mouvement de construction actuel, on constate d'ailleurs qu'il est presque entièrement reporté sur les communes en question. Le tableau des augmentations de population illustre le même phénomène.(Note du Déjanté : le tableau ne figure pas dans l'article. Mystère.)

Il s'agit d'un parti délibéré, que je ne saurais mieux expliquer qu'en renvoyant aux principes d'urbanisme énoncés à de nombreuses reprises par M. Dalloz, ici même ou dans des publications spécialisées : le développement d'une ville est naturellement radioconcentrique ; en découlent l'engorgement du centre et la fixation des banlieues, causes de l'impasse où se trouvent aujourd'hui toutes les grandes vil-les. L'urbaniste actuel doit donc oublier ce vieux centre et chercher la solution nouvelle dans des trames nouvelles. Le site et les conditions d'établissement déterminent ce choix. L'économie et la démographie en fixant les limites.

Le développement d'Alger apparaît sur les figures successives à partir de la Casbah isolée de 1830 entourée d'une campagne verdoyante dans laquelle les fermes et les villas d'été font une ponctuation blanche, jusqu'à la chaotique cité de 1960, où s'amorcent les grands éléments d'une structure, et à la ville possible de 1980, fixée dans une ordonnance nouvelle.

Un fait frappe sur ces dessins. C'est que la plupart des communes " suburbaines " sont de création récente et ont été assez vire absorbées par la ville.

Dans l'ordre ou dans le désordre, elle n'avaient aucune chance de rester campagnarde.

Une exception pourtant : on remarque que sur le croquis de 1980, Dély-Ibrahim reste isolé. Il va de soi qu'une croissance incontrôlée aurait tôt fait de l'absorber. Village de colonisation, Dély-Ibrahim a le charme et le caractère des villages du Sahel, dont il est, par son paysage, un exemple typique. Le charme actuel de Dély-Ibrahim (et du bois des Cars) est justement d'être isolé d'Alger par une zone de campagne qu'il faut préserver.

Ce vieil aqueduc turc, envahi par la végétation.
Le ' Café d'Hydra ", relais animé du temps des diligences,
Sites bucoliques ou pittoresques, coins poétiques, refuges du passé seront respectés. En voici trois exemples, pris le long de l'Oued-Kniss : le chemin Maclay, auquel les urbanistes établissant à côté les grandes voies d'accès, conserveront le reposant ombrage de ses vieux oliviers. Ce vieil aqueduc turc, envahi par la végétation. Le ' Café d'Hydra ", relais animé du temps des diligences, aujourd'hui borne sommeillante dans l'histoire de la cite.

Toutes les autres communes du Grand-Alger sont absorbées, et, en périphérie, hors des limites administratives, Birkadem et Maison-Blanche participent de la même économie.

Aucune de ces communes, de même qu'aucun des tracés de routes existants, n'a été un acte de création délibéré (Vieux-Kouba mis à part). De l'ancienne Casbah rayonnaient les chemins muletiers conduisant vers le Sahel et vers les zones maraîchères (devenues la plaine d'Hussein-Dey). Puis dès 1830 ces chemins ont été élargis en voies carrossables, elles-mêmes élargies en routes pour supporter un trafic plus grand, puis doublées au fur et à mesure des besoins. Aux carrefours et aux points d'eau se sont développés de petits centres agglomérés. Ces centres agglomérés, comme la ville, se sont étendus le long des voies. On voit donc qu'Alger a suivi le développement radioconcentrique habituel, simplement déformé par une topographie particulière et une position côtière.

86 ko
d'Alger 1830 à la cité actuelle de 1959
d'Alger 1830 à la cité actuelle de 1959

Saint-Eugène est né avec l'ouverture d'un chemin riverain destiné à desservir les batteries militaires. Il a suivi le schéma de développement habituel aux banlieues côtières : quelques maisons de villégiatures et une ou deux guinguettes, qui se multiplient entre la route et la mer et finissent par se souder à la ville. Puis l'arrivée des spéculateurs et les lotissements de terrain ont fait cette frange un peu monotone qui va aujourd'hui jusqu'à Guyotville. Avec l'ouverture de la route et les facilités de transport, on voit s'y fixer les habitants en permanence, les carrières et la fabrique de ciment attirent une population ouvrière ; le caractère de villégiature se reporte peu à peu sur Sidi-Ferruch ou sur Cap-Matifou. (C'est pourquoi, dans l'étude d'aménagement d'Alger, ces deux centres ont aujourd'hui une telle importance et ne sont pas dissociables de l'étude d'Alger).

Voici la ville de demain, résultante logique d'une évolution désormais dirigée par un urbanisme rationnel.
En contraste avec l'expansion radioconcentrique habituelle des grandes cités, Alger s'étend suivant les directions des zones actives industrielles.
En contraste avec l'expansion radioconcentrique habituelle des grandes cités, Alger s'étend suivant les directions des zones actives industrielles.

La Bouzaréah est la seule commune " suburbaine " n'ayant pas encore amorcé son développement. Sans eau et sans desserte routière, (Lespès, en 1930, parle de " projet étudié depuis longtemps de téléphériques liant Bab-el-Oued et Saint-Eugène à la Bouzaréah, l'idée étant alors surtout d'en faire une station touristique et climatique, ce qui reste valable "), elle présente de petits noyaux d'agglomération sur les voies existantes et d'assez importantes fixations de bidonvilles ou de mechtas (la tribu, les flancs du Frais-Vallon). Il n'est pas pensable d'amorcer de grandes mises en viabilité dans tous les coins d'Alger. Les milliards d'investissement que représenterait un équipement complet de l'agglomération dépassent les possibilités matérielles. Il est donc souhaitable de grouper les constructions dans des zones choisies et de les équiper totalement. Faire un bout de route, un tronçon d'égout par-ci par-là ne sert évidemment à rien. Cela explique pourquoi La Bouzaréah représente plus une grande réserve foncière qu'une zone d'extension actuelle.

El-Biar
, Birmandreïs, Kouba et les hauts d'Hussein-Dey constituent cette dorsale d'Alger qui devient le grand élément de structure de la nouvelle agglomération.

Le schéma de formation des trois premiers est toujours semblable : des routes, un point d'eau, un café maure (Birmandreïs = Bir Mourad Reïs, " le puits du reïs Mourad ", V. Lespès).

La première route de Blida par Dély-Ibrahim, Douéra , passe par El-Biar et en conditionne la formation : c'est la porte du Sahel (le Sahel, qui était auparavant du maquis, a été mis en valeur par la colonisation). La commune était surtout un ensemble de grands jardins, dont donnent encore une idée les propriétés du chemin Beaurepaire, du chemin Maclay, etc... Mais la spéculation intervenant, ces propriétés se morcellent en lotissements qui couvrent le sol, ne laissent pas un arbre et échantillonnent les architectures les plus diverses et les plus bâtardes.

Le processus est le même pour les deux autres communes : en 1843 l'ouverture de la route de Blida par Birkadem détermine la petite agglomération de Birmandreïs. Le pont d'Hydra déclenche une débauche de lotissements.

Pour Kouba, j'ai dit que c'était à l'origine un village de colonisation qui ne s'est pas développé. Le séminaire date de 1860 et c'est la route du. Gué-de-Constantine et les liaisons-tramways (1906) qui ont fixé la formation actuelle. Là encore, comme sur les hauts d'Hussein-Dey, les lotissements ont fait tache d'huile.

Le cas de la plaine d'Hussein-Dey et de Maison-Carrée est différent. Au temps d'Alger-Casbah, les zones maraîchères allaient jusqu'à l'Harrach. La Mitidja, peu cultivée, était surtout marécageuse. Mais les terrains plats qui vont du Hamma à l'Harrach, l'accès au port direct étaient commodes pour les industries. Le développement intensif vers l'est était inévitable. La conversion de zone maraîchère en zone d'activité industrielle et commerciale s'est faite progressivement en passant par un mélange composite de fermes, de villas, d'usines, de camps militaires et de guinguettes. L'immigration espagnole - ouvriers ou jardiniers mahonais - s'est beaucoup faite par Hussein-Dey.

La jonction d'Hussein-Dey à Maison-Carrée date d'après 1930. Aujourd'hui, l'implantation de quartiers d'habitation nombreux rejette les grosses industries au delà de l'Harrach mais la proximité du port, la commodité des terrains fait souhaiter que cette zone garde son caractère d'activités diverses.

Deux grands axes ont présidé à l'extension d'Alger : un Est-Ouest le long de la baie, un Nord-Sud industriel à l'Harrach. A leur intersection, Maison-Carrée est un point clé.

Il reçoit la chute du Sahel, les circulations de plaine passent nécessairement par là (c'est le point d'arrivée de la plupart des immigrants). Du point de vue militaire, c'était évidemment un poste capital. Aussi dès 1830 le bordj turc y était occupé. Mais l'insalubrité de la Mitidja, l'insécurité due aux descentes des tribus de Kabylie ou de 1'Atlas mitidjien ont retardé la création d'une agglomération. La vraie naissance de Maison-Carrée est due à l'instauration d'un marché de bestiaux en 1.862, fixé au vendredi de chaque semaine. Ville de marché, Maison-Carrée devait concurrencer l'Arba et Boufarik.

Maison-Carrée reste un point-clé, point de commande des zones industrielles et embout de l'agglomération.

Cette revue systématique fait bien ressortit que la croissance d'Alger n'est pas différente de celle de la plupart des grandes cités. La ville pousse des tentacules le long de ses voies de sortie, les communes voisines rayonnent elles-mêmes et tout finit par se fondre en une vaste et informe agglomération.

Les points de densification sont les anciens centres (généralement des carrefours) et les zones périphériques deviennent ce qu'on appelle - aujourd'hui péjorativement - des banlieues. Le centre s'engorge, la banlieue reste sans vie.

Si le premier phénomène (la congestion du centre) n'est pas difficile à expliquer, le second, " la banlieue ", ne se caractérise pas si facilement. Il y a souvent la présence d'industries, créées à l'origine en marge de la ville et absorbées par elle. Mais les " banlieues " (je continue de l'employer dans son sens péjoratif, qui n'est pas forcément impliqué par sa définition) sans industrie ne sont pas toujours plus amusantes ; le terme de villes-dortoirs les définit en partie. La bonne et la mauvaise architecture participent de la même tristesse générale, (ce qui doit faire réfléchir les architectes). Par contre on note que les commerces y sont réduits à leur plus simple expression (quelques boutiques d'alimentation) et que les équipements urbains : hôtels, restaurants, théâtres, etc... n'existent pas. Cela s'explique par le postulat de croissance concentrique : le quartier est branché sur le centre-ville, mais trop loin pour participer à sa vie.

Autre chose plus subjective : les espaces n'ont pas de caractère et d'échelle urbaine. Ville par sa densité, ses voisinages, ces concentrations de voitures, il manque à la banlieue tout ce qui pourrait lui conférer l'ambiance urbaine.

La ville se développe en prenant appui sur les structures nouvelles :

La ville se développe en prenant appui sur les structures nouvelles :
pleine utilisation des terrains constructibles et des équipements. D'où impérieuse nécessité d'un plan directeur.
La ville se développe sans ordre
La ville se développe sans ordre
le long des voies existantes : gaspillage des terrains.
La dilution des opérations ne permet pas la
constitution de centres (Phénomène-type des banlieues)

Or, les impératifs de l'économie et de la démographie ( Pour ce problème particulier, ne pas oublier que le problème Alger est indissociable du problème de toute l'Algérie.) nécessitent la densité urbaine : un bref calcul montre que seule la texture urbaine répond au problème. Un rendement de terrain de 100 % (rapport de la surface habitable à la surface du terrain), qui représente pour 4 niveaux moyens d'immeuble une surface construite de 25 % définit une trame urbaine normale. Si on la remplace par une trame de lotissement, qui ramène les rendements de terrains à 30 % au plus, la surface de la ville triple. Il s'agit bien entendu d'une démonstration par le paradoxe.

Qu'en est-il d'Alger ? A priori, ce phénomène " banlieue " qui existe, est un peu escamoté par le prestige d'un site merveilleux. Mais les années à venir, où vont se saturer petit à petit les terrains libres, seront déterminantes, puisque Alger deviendra A ou B (croquis). Cela me ramène à décrire, en grands traits, quelques-uns des principes d'aménagement des hauts d'Alger, pour montrer comment pourra se fixer cet objet déterminé A.

Un réseau de voies nouvelles sera créé sur Alger. Ces voies ne sont plus la confirmation des anciennes, insuffisantes, souvent impossibles à élargir, souvent trop raides (les anciens chemins muletiers), mais un grand maillage juxtaposé à la cité. En particulier les voies longitudinales créent des axes de composition nouveaux liant directement les hauts d'Hussein-Dey, Kouba, Birmandreïs, El-Biar pour aboutir à Châteauneuf. Ce réseau détermine une économie entièrement nouvelle des hauts d'Alger. Les quartiers ne sont plus orientés vers le centre-ville actuel, mais dans un axe Est-Ouest. La création de nouveaux centres urbains à l'intérieur des mailles réorganise tout le système. Il est évident que la nouvelle zone de densité urbaine impose des centres commerciaux, des centres de divertissements et d'administrations, impliquant eux-mêmes des surfaces de terrain pour les parkings et les constructions, des dégagements par les rapidités d'accès, qui ne sauraient se trouver dans les petits centres communaux d'ores et déjà engorgés:

Un centre au promontoire de l'Oued Ouchaïa, le centre des Annassers, ceux de l'Oued Kniss, de Sidi Yahia et de Châteauneuf pourraient redéterminer dans cette nouvelle optique tous les quartiers des anciennes communes suburbaines. De l'autre côté de l'Harrach, un centre urbain sur la crête de Lavigerie rééquilibre une partie de Maison-Carrée.

Actuel quartier de l'oued Oucha'ïa, à Hussein-Dey
Actuel quartier de l'oued Oucha'ïa, à Hussein-Dey Entre les maisons disparates de ces lotissements hétéroclites
et la lisière des Eucalyptus (château-d'eau) sera implanté un centre urbain.
Un des premiers jalons de l'Alger futur :
Un des premiers jalons de l'Alger futur :
du sol encore fleuri
de l'extrémité ouest de l'opération Annassers,
on voit la cité de la Concorde
(C.I.A. Birmandreïs, 1.000 logements).

Contraste saisissant qui caractérise certains aspects de l'ex-banlieue algéroise : une vaste culture maraîchère (on voit un ouvrier agricole sarclant à la main) au milieu d'immeubles ultra-modernes - C'est un coin d'Hussein-Dey.
Contraste saisissant qui caractérise certains aspects de l'ex-banlieue algéroise : une vaste culture maraîchère (on voit un ouvrier agricole sarclant à la main) au milieu d'immeubles ultra-modernes - C'est un coin d'Hussein-Dey.

Lorsqu'on étudie la mise en forme de cette agglomération on finit par s'apercevoir que le site d'Alger se réduit à quelques grandes lignes de force. Le tracé d'une ville (d'une ville ou d'autre chose) est la juxtaposition d'une volonté sur une matière, ici 15.000 hectares de terrain. Les tracés des structures sont donc très simples et très grands. Les grands thèmes une fois tracés, tous les détails particuliers (un petit vallon, un chemin d'oliviers, une villa turque, trois arbres, etc...) peuvent en conditionner les variations et les fioritures. Alger pourrait devenir ce grand objet très simple, contenant une variété infinie de perspectives et d'aspects.

J.-J. DELUZ