La poterie modelée d'Afrique du Nord,
dite " poterie kabyle " (quatrième partie)
Pour les premières parties, voir l'algérianiste n° 96, 97 et 99.

L'auteur :
Jean Couranjou, né à Alger, est issu d'une famille qui y était installée depuis 1882. Directeur de recherches à l'I.N.R.A. (Institut national de la recherche agronomique, département génétique et amélioration des plantes) jusqu'en 1994; il est aujourd'hui à la retraite. Passionné d'Algérie, il a progressivement constitué une collection d'objets traditionnels (utilitaires, d'apparat et rituels) relatifs à l'Afrique du Nord et à divers pays islamiques, allant de la préhistoire à l'époque actuelle. Mais les carreaux de faïence constituent sa collection la plus importante car ses recherches personnelles, menées depuis 1965, concernent la faïence de revêtement importée de pays très divers dans la Régence turque (1518-1830). Dans ce domaine qu'il a passablement élargi, il a réalisé de nombreuses découvertes. Elles l'ont amené à la réalisation d'un très important ouvrage, actuellement non édité. Il est en relation avec des chercheurs de divers pays, et publie dans des revues spécialisées d'Espagne et des Pays-Bas. Il est aujourd'hui chercheur associé au Centre de recherche sur les archéomatériaux (Université de Bordeaux 3, CNRS. U.M.R. 5060).
Son site : http://arts.medit.occ.pagesperso-orange.fr/

extraits du numéro 101,mars 2003, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 15-2-2010

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La poterie modelée d'Afrique du Nord dite poterie " kabyle " (quatrième partie)
(note du site : je n'ai pas inséré toutes les illustrations. Voir PDF)

5. Styles régionaux (suite)


fig. 35 : Grande Kabylie
Jean Couranjou

55.- Grande Kabylie (fig.35)*
*Note du Déjanté : Pour les figures, se reporter au PDF.Merci.

La Grande Kabylie, haut lieu de la poterie modelée, rurale et féminine, est à ce titre si réputée qu'elle éclipse la production des autres régions, désignée à tort comme " kabyle ". Parmi les nombreuses zones de toute cette région se distin- guant par leur style, je ne traiterai pas ici la Kabylie maritime.

     551. Zone occidentale : Oued Isser

Notre progression toujours vers l'est, nous amène à franchir les gorges de Palestro, de plus en plus serrées verticalement, abruptes dans le calcaire à la paroi duquel les buissons s'accrochent, tandis qu'en contrebas, lisser coule ses teintes d'ocre. Nous sommes dans les marges ouest de la Grande Kabylie où sont confectionnées des poteries dont les différents styles du sud au nord de Visser, annoncent ceux du coeur de la Grande Kabylie toute proche.

Nous n'examinons que l'un de ces styles, celui de la zone qui en est la plus voisine, c'est-à-dire la plus septentrionale, juste au nord de Tizi-Renif.

Invariablement les pichets présentent une panse sphéroïde (fig. 36 et 37). Toujours sur engobe blanc, le décor est très caractéristique, la surface des pièces verticales est divisée horizontalement en deux ou trois étages, parfois plus (fig. 37) séparés entre eux par une fine bande brun- rouge, le plus souvent cernée de noir de chaque côté; ces bandes annoncent celles, plus larges, horizontales et verticales, qui dans le tout proche nord-ouest du coeur de la Grande Kabylie, jouent le même rôle. Mais ici les séparations verticales à l'intérieur de chacun de ces étages sont facultatives et faites de fines lignes noires ; elles déterminent des fenêtres; celles-ci sont décorées intérieurement de motifs formés d'assez nombreuses lignes parallèles la plupart noires, quelques-unes brun- rouge; ce sont des triangles composés, en particulier sabliers et croix de Malte au remplissage divers, très caractéristiques de cette région. Pour les plats, les croix de Malte peuvent être coalescentes (fig. 38). Le vernis est général.

     552. Djurdjura

D'ouest en est, sur quarante kilomètres, la chaîne du Djurdjura limite la Grande Kabylie, côté sud (fig. 39). Elle déploie sa barrière couverte de neige jusqu'en juin, faisant miroiter sa blancheur lointaine dans les lumineuses journées d'hiver algéroises. Son impressionnant relief de pitons aigus et de crêtes dentelées habille ses flancs de cèdres séculaires et de pins sapo.
(Fig. 37 - Décor de la panse d'un pichet de la zone de Tizi-Renif (détale (coll. Pages).

          5521. Versant sud du Djurdjura.
Pour ce qui est de la forme des pichets, on retiendra certaines caractéristiques (fig. 40), en particulier la rupture de la ligne du profil de la panse, formant ainsi une arête parfois très basse comme dans le pichet de gauche (fig. 40), la section aplatie, et non circulaire, du tube à pont et plus encore du pont lui-même toujours en position oblique pour les pichets de cette région. Les motifs ne sont pas enfermés dans des fenêtres; sur engobe blanc, le décor est en grande partie constitué de faisceaux
de lignes parallèles noires où intervient discrètement le brun-rouge.

Souvent deux faisceaux de lignes noires parallèles bordés à l'extérieur de festons plus ou moins savants, ménagent entre eux des motifs pouvant être: petits festons de différentes natures, damiers, superposition de petits triangles. La décora- tion des pichets se prolonge sur la partie visible de l'intérieur. Un autre trait caractéristique est la ligne noire sur chacun des côtés du tube, se poursuivant sur la totalité du pont. Chez certaines tribus, le décor de lignes noires parallèles peut devenir très important et dense au point de noircir une grande partie de la surface, voire sa quasi totalité. Le vernis est général.

Voici les appellations de quelques motifs de base sur le versant sud du Djurdjura: la poutre faîtière, les griffes de la panthère, le chemin, les cornes du vent, les dents du veau, le mille-pattes (littéralement le feu du vent (2)), l'oeil du chardonneret.

          5522. Versant nord du Djurdjura.
Le versant nord du Djurdjura abrite dans ses vallées, des tribus en contact avec la région de Palestro à l'ouest, et surtout la sous-région centrale au nord-est. Mais au nord- ouest, apparaît une étanchéité correspondant à la dépression de Tizi- Renif à Boghni, avec ses centres créés par les Européens et coïncidant avec la limite de la confédération des Igouchdal.
Formes et décors des poteries sont assez bien définis (fig. 41), mais les styles cependant caractéristiques, évoluent insensiblement du sud au nord; ceux du sud sont naturelle- ment les plus apparentés à ceux du versant sud qui vient d'être vu au point qu'il n'est pas toujours facile de les en distinguer.

Sur engobe blanc, les motifs sont en noir agrémentés de brun-rouge; comme sur le versant sud, les faisceaux de lignes tiennent une grande place mais cette fois les triangles apparaissent.

Chez les Aït Smail, les triangles prennent toute leur importance. Ils sont limités là encore par des lignes parallèles. Généralement de grande taille et pointe vers le bas, ils sont souvent décorés intérieurement de damiers. Dans le champ du décor, des séparations verticales et hori- zontales sont encore constituées des inévitables faisceaux de lignes noires. Les anses et le bord supérieur des poteries sont brun-rouge.

Pour la partie la plus septentrionale du versant nord, un style transitoire entre elle et la sous-région centrale en contact avec elle, apparaît chez les Ait Bou Addou et les AU Mendès, ce qui ne permet pas une délimitation géographique précise. Ainsi, comme dans les zones qui suivent, les motifs sont enfermés dans des fenêtres délimitées par des bandes horizontales et verticales brun-rouge (fig. 42).

     553. Coeur de la Grande Kabylie (fig. 39)

Coeur de la Grande Kabylie (fig. 39)

(fig. 39) Coeur de la Grande Kabylie

Le coeur de la Grande Kabylie déploie son relief de pittoresques montagnes appuyées au sud sur le Djudjura. Cette zone est limitée au nord et à l'est, par l'oued Sebaou, à l'ouest par l'oued Ksari. Dans ces lieux au relief mouvementé, on confectionne une poterie dont le style varie assez d'une vallée ou d'un versant à l'autre pour qu'il soit généralement facile de les localiser; mais la transition est parfois si pro- gressive que les limites entre ces zones peuvent rester confuses et que des styles intermédiaires ne permet- tent pas toujours de préciser de façon certaine l'origine d'une pièce isolée.

En fonction des styles, reprenant à Peu de choses près la nomenclature de Balfet, je distinguerai quatre sous-régions : le nord-ouest, le nord- est, et, enserré entre ces deux sous- régions et le versant nord du Djurdjura et influencées par elles, le
centre; à l'extrême nord-est, les Ait Khellili.

          5531. Nord-Ouest:des Bou Mahni aux Aït Douala

La sous-région du nord-ouest, des Bou Mahni aux Ait Douala, se situe au sud de Tizi-Ouzou, nom signi- fiant col des calycotomes, le calycoto- me étant un genêt épineux. Le style des poteries s'apparente à celui qui a été vu au nord de Tizi-Renif, à l'ouest, et beaucoup plus à celui des sous-régions de Grande Kabylie qui lui sont voisines: le nord-est et le centre; ainsi le style des Ait Aissi dans la partie est de cette sous- région n'est-il pas séparable de celui des Ait Mahmoud de la sous-région centrale. Avec cette dernière, il n'est pas possible de tracer une réelle limite.

Dans cette sous-région, les poteries sont engobées en deux tons sur la totalité de la surface: un fond blanc coupé de larges bandes brun-rouge horizontales et verticales ménageant des fenêtres quadrangulaires renfer- ment le décor (fig. 43). La bande brun-rouge horizontale la plus éle- vée intéresse le sommet de la pote- rie, ainsi toujours brun-rouge. Le pourtour des bandes brun-rouge est cerné d'une large ligne brune accom- pagnée dans le blanc de deux fines lignes brunes parallèles. Accessoirement, les bandes brun- rouge sont elles-mêmes décorées en blanc, de points, de pastilles, de traits (fig. 43) ou de chevrons. Ce sont là les traits communs à toutes ces poteries, mais dans cette sous- région, coexistent en réalité deux styles différant à la fois par la forme des pièces (fig. 44) et par le décor. Je les appellerai respectivement le rouge et brun, et le rouge à festons.

Le style rouge et brun concerne surtout la partie centrale et orientale de cette sous-région (fig. 43, 44, 45 et 46); le profil des pièces verticales est souple, ne montrant pas de ressaut marqué, tout au plus léger au niveau de l'attache supérieure de l'anse ou du tube à pont. Les motifs dérivent le plus souvent de triangles aux contours en brun, renfermant des remplissages où rouge et brun se côtoient. Les poteries en rouge et brun sont toujours vernies.

L'autre style, le rouge à festons, est plus répandu dans l'ouest et le nord de la sous-région. Cette fois le profil n'est plus fait d'une ligne courbe régulière mais d'une suite de droites (fig. 44); ainsi les amphores, à anses petites contrairement à celles des amphores rouge et brun, montrent un profil fait schématiquement de trois droites, le passage de l'une à l'autre étant marqué par une modification brutale du diamètre, formant à ce niveau un bourrelet suivi d'un resserrement (fig. 44 et 48). Il en est de même pour les pichets, souvent faits de la superposition de différents volumes, soit une base grossièrement hémisphérique, un saut de profil et un tronc de cône (fig. 44 et 47); un troisième étage peut exister, séparé du précédent par un fort étranglement (fig. 47). Ici le brun n'apparaît que pour cerner la fenêtre, car les motifs qui s'y trouvent sont entièrement rouges. Plus simples en général que ceux des poteries du style précédent, ils sont toujours bordés de festons pleins, caractéristiques de ce style (fig. 49). Autre différence, contrairement aux précédentes, les poteries en rouge à festons ne sont pas vernies; ainsi non ocrées par le louk, les teintes s'opposent davantage. De plus, le rouge est très brillant grâce à un polissage prolongé qui accroît encore l'opposition au mat du blanc qui le jouxte. L'effet décoratif est très réussi.

On pourrait se demander pourquoi n'avoir pas divisé cette sous-région en deux parties correspondant à chacun des deux styles. C'est qu'en fait ils sont relativement mêlés dans l'espace comme le montrent certaines pièces associant la forme de l'un des styles et le décor de l'autre (fig. 50). Pour en terminer avec cette intéres- sante sous-région, quelques appella- tions des motifs et leur signification à Ait Mesbah chez les Ait Douala:
de ceux de ses proches voisins; ainsi entre le style des Aït Mahmoud et celui des Aït Aissi. Dans l'intérieur, le style peut varier dans une même tribu, un même village, mais il reste constant dans l'ensemble de la sous- région.

Le style fait des emprunts aux trois sous-régions des alentours. Le plus fréquemment, les formes sont proches de celles de la sous-région du nord-ouest; on y trouve les profils souples du style rouge et brun et ceux rompus du style rouge à festons y compris la présence du bulbe de ce même style (fig. 51). Comme pour ce dernier, le vernis est toujours absent. Comme dans le nord-ouest, les motifs sont enfermés dans des fenêtres blanches délimitées par de larges bandes rouges horizontales et verticales, mais cette fois très larges comme dans la sous-région du nord- est. Quant aux motifs, ils sont très apparentés à ceux de la sous-région du sud, le versant nord du Djurdjura (fig. 52): en effet, les faisceaux de lignes parallèles prédominent, aussi bien pour border les triangles, qu'à la verticale constituant des sépara- tions sur l'étage. Mais comme plus au sud, dans le versant sud du Djurdjura, une ligne noire s'échappe de la panse pour remonter tout au long de l'accessoire, généralement ici l'anse. Toutefois une personnalité apparaît: la présence sur les bandes rouges, de motifs cette fois bruns, souvent des lignes parallèles; et le gros trait délimitant les fenêtres n'est ici doublé que par une ligne unique, et non pas double comme dans la sous-région du nord-ouest.

          5534. Les Ait Khellili

À propos de la poterie commercialisée, j'ai déjà parlé des Aït Khellili, à l'extrême nord-est.

Cette tribu assez spécialisée dans ce type de production, confectionne des pièces modelées dont j'ai indiqué l'excellente qualité. Ces poteries pansues, jamais vernies, de couleur naturelle rouge sombre, constellées de paillettes de mica apportées par le dégraissant utilisé, portent un décor sommaire; sur fond beige fait d'une large zone ou de bandes, sont tracés en brun des triangles grossiers ou le plus souvent de longues arêtes de poisson.
(À suivre)

Note:
1- Voir l'algérianiste n° 96, 97 et 99.
2- Le myriapode (mille-pattes) est censé éteindre le vent c'est-à-dire la discorde (Devulder).