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       Panorama de l'Algérie 
        Romaine 
        L'Agriculture et ses débouchés  
      Tourner ses regards vers le passé, 
        vers un passé si riche d'enseignements n'est point seulement faire 
        uvre d'historien. En Algérie, plus qu'ailleurs, l'Archéologie 
        romaine, avec les méthodes qu'elle met en uvre, ses moyens 
        d'investigation, la lumière qui s'attache à chacune de ses 
        découvertes, ne saurait encourir la moindre raillerie. Elle n'appartient 
        pas à un domaine suranné, elle est matière vivante, 
        elle participe à la vie politique et militaire, à la vie 
        économique de notre pays. 
         
        Combien d'expériences, d'ailleurs, ont été fondées 
        sur ses données, et ne voyons-nous pas aujourd'hui encore la jeune 
        Administration algérienne, toujours soucieuse d'améliorer 
        la productivité du territoire, se pencher, par une intelligente 
        initiative, sur les vestiges de nos grands devanciers dans la région 
        semi-désertique du Hodna où elle entreprend, depuis bientôt 
        deux ans, la reconstruction, à une échelle moderne, des 
        forêts d'oliviers de la Rome antique ( Consulter 
        notamment les " Document Algérien " ,Série Économiquen° 
        26. du 20 mai 1947.). 
         
        L'intérêt de l'agriculture ancienne en ce pays n'échappe 
        donc à personne, et l'on peut dire qu'il ne s'est guère 
        trouvé d'économiste intéressé aux problèmes 
        algériens qui n'ait préalablement ouvert le dossier archéologique 
        de l'Afrique romaine et consulté les témoins de sa légendaire 
        prospérité. 
         
        SOURCES DE NOS CONNAISSANCES. 
         
        Dans l'esprit des peuples anciens, la Libye, c'était le nom antique 
        du Maghreb, fut d'abord une terre de légendés, refuge de 
        peuplades monstrueuses, de magiciens aux pouvoirs surnaturels ; mais une 
        telle phase, purement imaginative, fut de courte durée La situation 
        géographique de la Berbérie qui déploie lentement 
        ses côtes au long d'une routé de convoitise, celle des richesses 
        minières de l'Andalousie, devait inciter les navigateurs grecs, 
        puis phéniciens, à une connaissance plus concrète 
        de ses havres et de ses populations. Leurs simples escales maritimes essaimées 
        sur un littoral ingrat, du Cap Bon jusqu'à Tanger, se transformèrent 
        bientôt en comptoirs commerciaux d'où les Carthaginois ne 
        tardèrent pas à tirer de grands profits. Puis vinrent les 
        guerres Puniques et les victoires qu'une Rome adolescente ravit à 
        la vieille Carthage. et puis les guerres civiles des dictateurs romains, 
        qui marquèrent en Afrique comme dans la Métropole les dernières 
        années de la République ; autant de tourbillons propices 
        à la curiosité d'un Polybe, et plus tard de l'historien 
        romain Salluste, ami de César. Leurs études partielles mais 
        utiles, relayées au premier siècle de notre ère par 
        les écrits plus substantiels de Juba II, roi de Mauretanie, du 
        géographe grec Strabon, de Tacite et Pomponius Mela, pour ne citer 
        que les meilleurs, et couronnées enfin par cette admirable encyclopédie 
        qu'est l' " Histoire naturelle " de Pline l'Ancien, ne perdirent 
        point leur attrait devant les travaux de Ptolémée, au IIe 
        siècle, ceux du narrateur Ammien Marcellin au IVe siècle, 
        et des historiens byzantins, deux siècles plus tard, ceux, plus 
        précieux encore, des géographes arabes du Haut Moyen-Age. 
         
        On ne saurait omettre non plus les enseignements techniques du Carthaginois 
        Magon, auteur d'un grand Traité d'Agriculture pour le Nord de l'Afrique, 
        ouvrage aujourd'hui perdu, mais auquel les agronomes latins d'époque 
        classique ont fait de larges emprunts. 
         
        Et c'est enfin, pour clore cet horizon de littérature antique, 
        l'appoint inestimable des Lois Romaines du Bas-Empire, recueillies aux 
        Codes Théodosien et Justinien, véritables traités 
        d'Économie Politique dans lesquels les provinces latines d'Afrique 
        obtiennent un bon rang. 
         
        A ces sources livresques, il fallait un complément d'ordre pratique 
        : l'Archéologie et son inséparable corollaire l'Epigraphie, 
        rivalisent alors d'intérêt.  
         
        D'une civilisation où tout était prétexte à 
        écriture, dans un pays peuplé de monuments romains où 
        des milliers d'inscriptions tiennent lieu de jurisprudence à la 
        doctrine des textes et des codes, on peut tirer aujourd'hui des conclusions 
        conformes à l'authenticité de la vie d'autrefois. Dans le 
        cadre particulier des questions agricoles, si l'Archéologie nous 
        conduit au pays merveilleux des ruines romaines où surgissent tour 
        à tour des vestiges d'exploitations rurales, 
        de silos, pressoirs, docks, marchés, greniers publies, nous devons 
        à l'Epigraphie une extraordinaire moisson de dédicaces et 
        inscriptions d'une infinie variété, auxquelles s'ajoute 
        l'attrait d'un Règlement d'irrigation et de deux Tarifs douaniers. 
         
        Entreprise avec une inlassable ardeur (Se 
        reporter au " Document Algérien ", Série Culturelle 
        N° 2 du ler avril 1946. " 
        La Recherche Archéologique en Algérie 
        ".), l'exploration archéologique de l'Algérie 
        se poursuit de nos jours sous l'impulsion de la Direction des Antiquités 
        et l'on peut espérer que dans quelques années les recherches 
        aériennes menées activement dans le secteur du Sud Constantinois 
        auront apporté la solution de bien des problèmes. 
         
        Nous possédons en tout cas, dès à présent, 
        une foule de renseignements les plus divers sur l'agriculture de l'Algérie 
        romaine, question complexe, délicate, aux prises avec de très 
        puissante facteurs. 
         
        LES CONDITIONS GÉNÉRALE DU PROBLÈME 
        AGRICOLE 
         
        A des facteurs déterminés, immuables, parce que d'ordre 
        géographique, viennent s'ajouter des composantes plus souples, 
        fortuites ou conditionnelles, liées aux vicissitudes de l'Histoire. 
        Auprès de la rigueur des conditions premières et de leur 
        incontestable tyrannie, on ne saurait se dissimuler la part fondamentale 
        qui, au cours des temps, revint aux secondes. 
         
             a) Impératifs 
        géographiques. 
        Une côte découpée et inhospitalière sert de 
        bordure à ce pays au relief confus, d'une altitude moyenne supérieure 
        à 400 mètres, au climat tempéré chaud, à 
        l'hydrographie défectueuse. La plupart des géographes modernes 
        ont admis l'existence de deux Algéries physiques, que séparerait 
        une ligne virtuelle unissant Alger à Biskra : l'Algérie 
        de l'Ouest, caractérisée par les alignements du Tell, des 
        hautes plaines intérieures, des Hauts-Plateaux et de l'Atlas Saharien, 
        et celle de l'Est, région compartimentée où dépressions, 
        hauts sommets, gorges, bassins, contrarient leurs efforts Tout cela est 
        harmonieusement exploité de nos jours où l'on s'est efforcé 
        d'assouplir l'irrégularité de telles conditions. Mais si 
        l'on considère le pays tel qu'il apparaissait dans l'Antiquité, 
        tout en excluant l'hypothèse hasardeuse d'un changement de climat 
        qui serait intervenu depuis cette époque, on doit tenir compte 
        d'importantes considérations : 
         
        La surface boisée y était d'abord plus étendue, ce 
        qui diminuait d'autant l'aire des zones de culture ; parmi les plaines 
        sublittorales, aujourd'hui si prospères, celles de la Macta et 
        la Mitidja, 
        anciens golfes comblés, étaient peu exploitées, celle 
        de Bône 
        était terriblement malsaine ; les hautes plaines du Nord de l'Aurès, 
        celles de la Medjana, de Sétif, d'Aumale, 
        de Boghari, contenaient des réserves d'acide phosphorique qui, 
        avec l'intensification de leur culture, se sont peu à peu épuisées. 
         
        Mais, par ailleurs, les conditions générales de l'exploitation 
        du sol se sont maintenues : présence d'une végétation 
        naturelle de lentisque et d'olivier sauvage que rehaussent de belles forêts 
        de chênes- lièges, de pins, de cèdres, de thuyas - 
        différenciation des terres à céréales et des 
        terres propres aux cultures arbustives, avec prédominance des premières 
        - existence de grands terrains de parcours où l'élevage 
        règne en maître. 
         
        Ajoutez à cela que la Berbérie est pratiquement une île 
        et qu'elle ne peut prospérer qu'à la condition d'écouler 
        ses produits outre-mer, en échange d'importations indispensables, 
        et vous aurez ainsi un tableau schématique de ce qu'ont décrit 
        les géographes et agronomes de ce pays, la lignée des Trabut 
        et Marès, des Rivière et Lecq, Augustin Bernard, Victor 
        Démontès et, plus près de nous, E.-F. Gautier et 
        René Lespès. 
         
        Tels sont donc les impératifs géographiques qui président 
        au développement de l'agriculture algérienne. 
         
        Les événements historiques ont-ils admis ou déjoué 
        leurs plans ? 
         
             b) Les conditions 
        historiques (On ne saurait 
        parl:r d'Algérie pour l'époque antique. A l'apogée 
        du Haut Empire Romain, vers le milieu du Ille siècle l'Afrique 
        du Nord est administrativement divisée d'Est en Ouest en : Afrique 
        Proconsulaire, capitale Carthage ; Numidie, capitale Cirta (Constantine) 
        ; Maurétanie Césarienne, capitale Caesarea (Cherchell et 
        Maurétanie Tingitane au Maroc Actuel. 
        Mais dans le domaine économique, on peut fort bien concevoir une 
        entité " Algérie " depuis qu'en l'an 76 ap. J.C., 
        une route établie non loin de l'actuelle frontière algéro-tunisienne 
        a été lancée de Theveste à Hippo Regius (Tebessa 
        à Bône) drainant ainsi en direction du Nord les productions 
        de toute cette région). 
         
        A leur arrivée en Afrique du Nord, les Romains ne trouvèrent 
        pas un pays totalement inculte et désolé. L'Empire carthaginois 
        et les grands royaumes indigènes qui se succédaient d'Est 
        en Ouest consacraient leur principale activité 
        à la culture du blé et à l'élevage des chevaux. 
        En ce pays, terre d'élection du nomadisme, les souverains indépendants, 
        précédant en cela les méthodes romaines, s'employèrent 
        à fixer les tribus errantes à la terre cultivable. L'agriculture 
        vécut ainsi pendant longtemps sans grand débouché. 
         
        A ce stade d'économie étriquée, l'occupation romaine, 
        timide encore, de l'an 146 avant J.-C. jusqu'à la politique de 
        César, substitua, surtout depuis l'avènement d'Auguste à 
        l'Empire, une grande vague de colonisation liée pas à pas 
        aux progrès de la conquête et de la pacification. La puissance 
        militaire de l'occupant va donc conditionner, ici comme ailleurs, le développement 
        de la vie agricole, le III siècle marquant à peu près 
        l'aboutissement du plan de sécurité territoriale nord-africain 
         
        Mais quelle docilité dans l'acceptation des conditions physiques 
        ! 
         
        C'est la vision d'une Algérie occidentale à peine rognée 
        par la présence romaine, le respect absolu d'une limite géographique 
        aujourd'hui bien dépassée : celle du grand arc montagneux 
        Biskra-Tlemcen 
        qui laisse en dehors d'une culture européanisée 
        de fort belles terres de notre Oranie. 
         
        Et que penser de l'ingérence du pouvoir central romain dans le 
        domaine agricole de la province ! Le pays est susceptible d'enrichir bien 
        des gens : on voit en lui une colonie d'exploitation, et il sera toujours 
        traité comme tel ! 
         
        Mais la balance de ses productions variera en fonction d'une économie 
        dirigée, où les instructions de l' Empereur seront toujours 
        impératives : l'Agriculture sera d'abord orientée vers l'ensemencement 
        général en blé et l'arrachage obligatoire des vignes, 
        pour ne point concurrencer la viticulture italienne. 
        On encouragera plus tard l'oléiculture et l'accroissement du bétail, 
        le blé restant toujours la production de base. 
         
        L'exportation avant tout, la subordination des cultures provinciales à 
        l'économie urbaine de la capitale du monde, voilà quels 
        ont été les principes directeurs de l'Economie Politique 
        des Romains envers les nations qu'ils avaient vaincues. 
         
        Leurs efforts persévérants pour obtenir ce résultat 
        les ont conduits à réaliser partout d'admirables travaux 
        d'hydraulique agricole, à protéger coûte que coûte 
        un régime foncier basé sur le principe de la hiérarchie 
        sociale, à organiser un extraordinaire réseau de routes 
        et de greniers où venait puiser à larges mains le service 
        impérial des approvisionnements de Rome : l'Annone Auguste. Là 
        s'entassaient les trésors de l'Afrique, les fruits qu'un sol fécond 
        donnait aux moissons des plateaux, aux oliviers des bocages, aux pampres 
        des riants coteaux. 
         
        LA CÉRÉALICULTURE. 
         
        La politique romaine de l'accroissement des superficies d'emblavures aux 
        dépens du maquis dans toutes les régions où cela 
        fut possible, eut un résultat qui, à nos yeux, fait figure 
        d'enseignement : la confrontation des zones de cultures antiques, connues 
        par la présence de ruines, avec une carte moderne de la céréaliculture 
        en Algérie, n'est pas toujours à l'actif de nos réalisations 
        ; et si les régions de production intensive étaient comme 
        aujourd'hui celles de Guelma, de Constantine, 
        de Sétif-La Medjana, d'Aumale, du Chélif, la culture du 
        blé s'était glissée bien avant vers le Hodna, vers 
        Biskra et jusque dans les hautes vallées des Monts Aurès. 
         
        Aux agriculteurs d'origine romaine, en nombre restreint, les indigènes 
        empruntèrent des procédés de culture qui nous paraissent 
        rudimentaires, mais constituaient un progrès sur l'état 
        antérieur, cependant que dans les grands domaines ou " Saltus" 
        et notamment les domaines impériaux, on avait minutieusement fixé 
        le détail des travaux agricoles, inspirés des coutumes romaines 
        de la Métropole, mais adaptés aux particularités 
        du sol d'Afrique. 
        Nous apprenons ainsi qu'une préférence était accordée 
        à la culture du Triticum ou blé dur, que l'on semait sur 
        la base moyenne de 80 kgà l'hectare dans les terres fortes, alors 
        que les terres légères ne recevaient que 20 à 25 
        kg, ce qui, avec le pouvoir de tallage, donnait un rendement considérable 
        pouvant atteindre 100 à 150 pour 1 dans les années humides. 
        La richesse des moissons d'Afrique avait acquis une réputation 
        universelle ; toute la littérature antique où agronomes, 
        poètes et historiens se trouvent associés, fourmille de 
        citations, de louanges à l'égard de cette terre que les 
        dieux avaient comblée, où les merveilles succédaient 
        aux merveilles, de cette terre où Rome se nourrissait. 
         
        En fait, la situation était-elle aussi favorable ? 
         
        La lecture des inscriptions alliée à l'interprétation 
        de certains textes, nous apprend bien qu'il fallait compter un rendement 
        moyen variant de 8 à 10 dans les bonnes années, ce qui nous 
        rapproche sensiblement de l'Algérie moderne, et que le poids spécifique 
        du blé récolté, se situant normalement aux environs 
        de 80, atteignait parfois le chiffre énorme de 86. Mais comment 
        nous faire une idée exacte du niveau de la production dans un domaine 
        où la statistique n'a pas accès ? 
         
        Il faut sans nul doute éviter d'accorder un trop large crédit 
        aux épithètes laudatives des auteurs anciens sur la prospérité 
        du territoire, alors que tant d'inscriptions nous rappellent à 
        une réalité moins optimiste : époques où la 
        soudure était difficile, époques plus tristes encore des 
        grandes famines en ce pays de révoltes agraires. Bien souvent, 
        le blé manquait en Afrique : aux causes naturelles de disette que 
        nous connaissons aujourd'hui, sécheresse, pluies torrentielles, 
        invasions acridiennes, des facteurs historiques non moins douloureux apportaient 
        leur concours : les insurrections, les guerres, et même les crises 
        de transports. C'est ainsi notamment que, par deux fois au cours du second 
        siècle, les habitants de Rusguniae (Cap 
        Matifou), menacés de famine, furent secourus par des 
        apports de blé que de généreux donateurs leur envoyèrent 
        de la vallée du Chélif. 
         
        On a, parfois, tenté d'évaluer, à la lumière 
        de certains textes, le montant de la production en blé de l'Afrique 
        romaine, qui, au début du premier siècle de notre ère 
        eût été de l'ordre de 10 à 12 millions de quintaux 
        par an, mais ni les données que nous fournit l'Histoire, ni les 
        bilans de la production moderne en ce pays ne nous autorisent à 
        retenir un tel chiffre. La productivité de l'Afrique romaine à 
        pareille époque se limitait, en effet, principalement à 
        la Tunisie et à une partie du Constantinois. Or, la production 
        des blés de la Tunisie moderne, dans des conditions économiques 
        autrement évaluées, atteint, pour la période de 1929.1938, 
        une moyenne annuelle proche de 3.500.000 quintaux, cependant que celle 
        de l'Algérie entière, pour la même période, 
        est d'environ 8.500.000 quintaux. 
         
        Il faut tenir compte, également, de la culture de l'orge dont la 
        moyenne décennale, de 1929 à 1938, se monte, en Algérie, 
        à plus de 7 millions de quintaux, et à près de 2 
        millions en Tunisie, mais nous ignorons totalement le pourcentage que 
        les Romains et les Berbères du Maghreb, grands éleveurs 
        de chevaux, accordaient à la culture de l'orge, par rapport à 
        celle du blé. On doit, néanmoins, lui faire une certaine 
        part dans la production des céréales antiques. 
         
        A ces cultures essentielles, on pourrait peut-être ajouter celle 
        du sorgho, dont les épis figurent sur une mosaïque de Timgad, 
        mais cela n'est guère établi. 
        Quant à l'avoine, céréale des pays humides et d'importation 
        germanique, elle n'existait pas chez les Romains. 
         
        Suivant les fluctuations de la production, les prix suivaient leur courbe 
        capricieuse et s'établissaient par récolte ; mais l'Administration 
        veillait au respect des conditions normales de l'existence et la taxation 
        intervenait, alors, impitoyable. La Céréaliculture était 
        affaire d'État ; elle avait des droits sur les sujets. 
         
        LA VITICULTURE. 
         
        Bien que l'Afrique romaine n'ait jamais été considérée 
        par les auteurs anciens comme une riche terre à vin, les témoignages 
        de la viticulture 
        antique abondent en Algérie. Sur les coteaux de la Numidie, 
        dans les hautes vallées de la Kabylie et de l'Aurès, partout, 
        depuis le littoral de Tipasa 
        à Cherchell, 
        jusqu'au Sud de Tébessa, la vigne était cultivée. 
        Affranchies de l'interdiction qui pesait sur elles depuis que l'empereur 
        Domitien, à la fin du premier siècle, avait, pour protéger 
        les vins italiens et libérer le maximum de terres à emblaver 
        en blé, singulièrement frappé les cultures provinciales, 
        les plantations s'accrurent dès le siècle suivant et ne 
        cessèrent de prospérer. On appréciait fort les raisins 
        secs des coteaux ensoleillés de la Numidie, qui concurrençaient 
        ceux de Smyrne et de Corinthe, les superbes grappes de la région 
        de Cirta que l'on consommait fraîches, et surtout l'excellent vin 
        de liqueur ou " Passum " qui s'exportait outre-mer. 
         
        Mais les gourmets africains demeuraient fidèles aux crus renommés 
        qu'ils recevaient directement de l'Italie méridionale. 
         
        L'habitude de boire du vin gagna de plus en plus les populations qui, 
        primitivement, y étaient réfractaires, nécessitant 
        l'intervention d'un saint Augustin, évêque d'Hippone, dans 
        ses nombreux sermons contre l'ivrognerie. 
         
        Si nous connaissons ainsi l'extension de la viticulture en Afrique, aucun 
        indice n'a jamais permis d'en évaluer la production, et nous devons 
        nous contenter ici de pures hypothèses. 
         
        L'OLÉICULTURE. 
         
        L'olivier, 
        vieille culture berbère de l'époque préromaine, fut 
        l'objet d'égards particuliers, surtout depuis l'avènement 
        de l'Empire, où les besoins de Rome en huile redoublèrent 
        d'acuité. 
         
        Dès lors, l'extension de l'oléiculture fut considérable, 
        à en juger par l'abondance des ruines de pressoirs qui parsèment 
        toute la contrée. L'olivier tapis sait les vallées et les 
        pentes : on le voyait autant dans les régions onduleuses de Souk-Ahras 
        et Tébessa que plus à l'Ouest, entre Batna et Sétif, 
        où il tenait lieu de principale culture, dans le Hodna, plus loin 
        encore dans les vallées du Sebaou, de l'Oued Sahel, de l'Oued Isser 
        et jusqu'aux confins de l'Ouarsenis. 
        Certaines agglomérations rurales s'érigèrent en centres 
        de l'industrie oléicole, dont les principaux semblent avoir été 
        Madauros (Mdaourouch, près de Souk-Ahras), Satafis (Périgotville) 
        et Tubusuptu (Tiklat, près de Bougie). 
         
        L'irrigation généralement pratiquée permettait d'obtenir 
        des rendements de grande importance et la production de l'huile d'olive 
        s'était assurée dans l'économie romaine le rôle 
        essentiel qu'elle conservera plus tard, aux époques musulmane et 
        française. 
         
        LA PRODUCTION FRUITIÈRE ET MARAÎCHÈRE. 
         
        Si l'olivier se trouve en Algérie dans son domaine naturel, on 
        ne saurait le dissocier de son compagnon : le figuier. 
         
        Dès l'Antiquité, les figues nord-africaines jouissaient 
        déjà d'une grande célébrité. Elles 
        étaient de bonne venue partout dans les vergers en terrasse aux 
        vestiges nombreux que l'on voit çà et là, sur le 
        littoral, en pays montagneux, dans des zones brûlées comme 
        celle de Djelfa. 
         
        On les consommait fraîches ou bien sèches, elles partaient 
        en colliers vers l'exportation. 
         
        L'amandier, le noyer, le pistachier, le grenadier abondaient dans les 
        jardins de Tébessa, de N'Gaous, de Sétif, où les 
        géographes arabes les voyaient encore au Moyen-Age. 
         
        Mais la production d'agrumes, orgueil de l'Algérie moderne, était 
        inconnue. Importation orientale des Arabes au XIVe siècle, l'orange 
        amère fut rejointe en Occident, deux siècles plus tard, 
        par l'orange douce que rapportèrent de Chine les Portugais. Le 
        citronnier, seul, était connu des Anciens et croissait sans doute 
        en Afrique du Nord puisque Magon en parle dans son Traité. 
         
        Ajoutons les dattes de nos oasis qui, dédaignées encore 
        au premier siècle, comme impropres à la consommation, étaient 
        réhabilitées au début du troisième et s'imposaient 
        sur les marchés du pays. 
         
        Quant aux légumes, ils venaient sans doute aussi bien qu'aujourd'hui, 
        dans les terres irriguées, mais à leur sujet nous manquons 
        de détails. On y produisait probablement la fève, le haricot, 
        la lentille, les pois, la courge, cependant que les pauvres gens consommaient 
        l'asperge et l'artichaut sauvages. 
         
        LES CULTURES INDUSTRIELLES. 
         
        L'exploitation des nappes d'alfa des Hauts-Plateaux, habilement menée 
        de nos jours, n'a eu aucun équivalent dans l'antiquité ; 
        on n'accordait guère à cette plante la moindre utilité. 
         
        On s'intéressait bien davantage à la production du lin textile, 
        cette culture qu'il fallut abandonner en Algérie à la fin 
        du XIX' siècle, après quelques années d'expériences 
        malheureuses, mais qui, fort prisée à l'époque romaine, 
        abondait dans les plaines sub-littorales de l'Algérie orientale 
        et franchissait quotidiennement les douanes maritimes de Rusicade (Philippeville) 
        et de Chullu (Collo). 
         
        L'ÉLEVAGE. 
         
        Les terrains de parcours qui participent si profondément à 
        la physionomie de l'Algérie, ont de tout temps nourri d'immenses 
        troupeaux, symboles de l'existence pastorale des peuplades indigènes, 
        et présidé aux migrations des tribus nomades. En un pareil 
        domaine où les conditions naturelles priment toutes les autres, 
        les Romains n'ont guère innové. Tout au plus se sont-ils 
        efforcés de systématiser les méthodes d'élevage 
        et de régler, après bien des difficultés, les mouvements 
        réguliers de la transhumance. 
         
        On connaissait, depuis fort longtemps, les chevaux maures et numides, 
        si rapides et si résistants. Judicieusement élevés 
        dans des parcs et des haras, ils furent réservés aux épreuves 
        guerrières et sportives. Le domaine des transports appartenait, 
        lui, aux mulets et ânes, d'une fort belle taille. 
         
        Quant au chameau, pour des causes demeurées obscures, et qui s'apparentent 
        sans doute au refoulement vers le Sud que lui avaient imposé les 
        Romains dès leur arrivée, il n'apparaît vraiment dans 
        l'économie du pays qu'au III" siècle, où il 
        s'associe brillamment aux autres bêtes de somme. 
         
        Les travaux des champs sont l'apanage des bufs, cependant qu'une 
        foule innombrable de moutons et de chèvres, en plus des laines 
        et poils qui alimentent l'industrie textile, leur prêtent assistance 
        dans la préparation des cuirs et dans les sacrifices réservés 
        aux dieux. 
         
        A cela, il faut ajouter les troupeaux de porcs, dont la chair déjà 
        interdite aux Berbères par leur religion n'empêche qu'ils 
        soient l'objet d'un grand commerce - l'entretien des volailles et notamment 
        des pintades, plus connues sous le nom de " poules de Numidie " 
        - l'élevage méthodique des escargots que la gastronomie 
        romaine appelle aux premières places - l'apiculture enfin, pour 
        l'utilité que l'on reconnaît au miel en matière de 
        cuisine et de pharmacopée. 
         
        Mais quel était l'emploi de toutes ces richesses, dans un monde 
        où la philosophie du plaisir allait de pair avec l'infortune des 
        masses laborieuses ? 
         
        LES DÉBOUCHÉS DE L'AGRICULTURE. 
         
        Les aptitudes naturelles du pays l'avaient prédestiné à 
        devenir le Bien économique d'un maître étranger qui 
        en exigerait la spécialisation. C'est bien ainsi que le conçurent 
        les Romains L'orientation donnée à la production était 
        conditionnée par ses débouchés, conception où 
        les besoins du conquérant s'avéraient tout puissants, mais 
        qui, par contrecoup, ne laissait pas d'enrichir la province et de hâter 
        sa mise en valeur. 
         
        Suivant une proportion que nous ignorons, une partie de la production 
        était octroyée à la consommation locale ; l'impôt 
        en nature dû à Rome et, dans une plus faible mesure, le secteur 
        libre à l'exportation, se partageaient le reste. 
         
             Le marché 
        intérieur. 
         
        Les catégories de consommateurs qui composaient la population sédentaire 
        de l'Algérie ne jouissaient pas toutes des mêmes privilèges. 
        Les pauvres gens se contentaient d'une mouture grossière ou de 
        quelque galette d'orge ; les citoyens romains et indigènes romanisés 
        préféraient, suivant une habitude ancestrale, un froment 
        qu'ils consommaient sous forme de bouillie ou de pain. 
         
        Pour la conservation des grains, on avait maintenu un vieux système 
        de silos souterrains, individuels ou collectifs, auquel s'adjoignaient 
        de grands vases d'argile appelés Dolia, en usage encore chez les 
        Kabyles. 
         
        Les municipalités et les hauts personnages édifiaient pour 
        leur part des greniers publics ou Horrea, où s'accumulaient leurs 
        réserves de blé et d'orge, de vin, d'huile, de fruits et 
        de viande séchée. 
         
        Le Pouvoir central, en prévision des exportations qu'il devait 
        assurer, stockait également ses marchandises en des greniers qui 
        jalonnaient les cités et les routes et où s'approvisionnaient 
        les troupes d'occupation, les fonctionnaires payés en nature et 
        des privilégiés de toute sorte. 
         
        Les grands propriétaires fonciers, soucieux de contrôler 
        l'alimentation de leurs sujets, créaient sur leurs domaines des 
        marchés périodiques que fréquentaient aussi les nomades 
        de passage, et des tavernes pour les buveurs. 
         
        Aussi, les problèmes de la répartition et de la consommation, 
        s'ils recevaient une solution favorable à certaines catégories 
        de consommateurs, constituaient un éternel sujet de mécontentement 
        pour un monde d'esclaves et d'ouvriers agricoles de condition libre en 
        apparence, toujours impatients de mettre à profit le moindre affaiblissement 
        de la puissance impériale. 
         
             L'exportation. 
         
        L'Histoire a, de tout temps, démontré qu'en un pays comme 
        l'Algérie, agricole par excellence, privé d'industrie, l'exportation 
        des matières premières était la condition essentielle 
        de la prospérité ; il suffirait d'interroger les statistiques 
        modernes pour s'en convaincre. L'Antiquité n'échappait évidemment 
        pas à ce principe, mais ses modalités d'application aboutissaient 
        en fait à remettre au seul pouvoir métropolitain les destinées 
        économiques de la province, l'initiative privée ne pouvant 
        s'exercer que sur les surplus de matières premières et les 
        marchandises de pure commodité. 
         
                  a) 
        Les prestations annonaires. 
         
        Rome a toujours eu une prédilection dans le recouvrement de ses 
        impôts, pour le système du règlement en nature. " 
        L'Annone ", ou Service central des approvisionnements romains, service 
        public par essence, poussait ses inflexibles ramifications jusqu'aux confins 
        des terres provinciales : des fonctionnaires, chargés de la rentrée 
        des prestations, les emmagasinaient dans les greniers impériaux 
        de l'intérieur, comme à Djemila, ou dans les entrepôts 
        portuaires d'Hippone, de Rusicade, de Muslubium, près de Bougie, 
        où une flotte spécialement affectée à leur 
        transport attendait l'ouverture annuelle de la navigation pour les acheminer 
        vers Rome. 
         
        L'apport principal consistait en blé, en vin, en huile, cette huile 
        d'olive à l'odeur forte, destinée beaucoup plus à 
        l'éclairage qu'aux soins de beauté puisque, selon la savoureuse 
        expression du poète Juvenal, elle faisait fuir les habitués 
        des thermes romains lorsque des Africains venaient s'y baigner. 
        Malheureusement, un régime économique détestable, 
        qui réservait à une classe insatiable de privilégiés 
        de la capitale la distribution gratuite des prestations de l'Annone d'Afrique, 
        subordonnant ainsi l'autorité du Pouvoir central aux exigences 
        d'une poignée d'agitateurs, avait pour conséquence d'instaurer 
        à Rome un perpétuel climat d'insécurité, et 
        de montrer aux provinciaux le chemin de l'indiscipline 
         
                  b) 
        Le secteur libre. 
         
        Cependant que les gourmets romains apprenaient à déguster 
        à leurs festins ce que l'Algérie leur envoyait de plus délicat, 
        que les chevaux et cochers africains allaient de victoire en victoire 
        aux concours de l'Amphithéâtre, la libre exportation s'exerçait 
        parfois sur des denrées alimentaires de première nécessité, 
        soit qu'en cas d'insuffisance des prestations de l'Annone l'État 
        traitait de gré à gré avec des producteurs locaux 
        l'acquisition de stocks excédentaires, soit que fut laissée 
        à la cupidité de négociants italiens l'initiative 
        de ces mêmes achats, dont ils tiraient par habitude d'énormes 
        profits. 
        Une pareille solution avait tout au moins le mérite d'assurer la 
        diffusion des marchandises nord- africaines dans tous les territoires 
        du monde romanisé, ce qui explique les découvertes archéologiques 
        en Gaule, en Germanie, sur le Danube et jusqu'en Égypte, des amphores 
        de produits d'Afrique et des huiles de Tubusuptu. 
         
        Tel était le bilan de l'oeuvre romaine. Parmi tous les jugements 
        qui lui furent portés, le plus exact est peut-être celui 
        qui ne voyait en elle que le résultat d'une vaste mission administrative 
        et financière. 
         
        Au reste, l'Algérie demeura toujours le pays agricole que nous 
        connaissons, celui qui fit la fortune des opulentes cités de Theveste, 
        Cirta, Thamugadi (Timgad), Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila) 
        et tant d'autres, et parmi les moments les plus décriés 
        de son Histoire, pendant l'obscurité des siècles musulmans, 
        ses exportations ne cessèrent pas. D'ailleurs, l'intervention française 
        de 1830 n'a-t-elle pas été, elle-même, le règlement 
        définitif d'une affaire de blé ? 
         
        Quant aux Romains, ils avaient trop compté sur leur puissance ; 
        la rigidité de leur conception devait s'écrouler un jour 
        avec leurs revers. Ils n'avaient pas mesuré la complexité 
        du problème africain. Par avance, ils avaient perdu la partie. 
      Pierre SALAMA, 
        Membre de la Société Historique Algérienne. 
         
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