-les transports d'Alger : les tramways
par Jean Arrivetz
Article paru dans "Chemins de fer régionaux et urbains" n° 210 en 1988 (excellente revue pour les amateurs de trains et d'histoire).

revue le 28-3-2010

60 Ko
retour
 

un VRAI tram des TA ligne 3
tickets
une page de tickets divers
juin 2019


LES TA

-------La création du réseau des "Tramways algériens" procéda d'une démarche très différente des CFRA ou des TMS. Il ne s'agissait pas là de relier à Alger différentes communes de banlieue, mais bien de constituer un réseau intérieur à la ville, touchant en particulier les nouveaux quartiers situés à mi-pente et permettant de bien irriguer les zones résidentielles. La concession en fut donc donnée par la ville d'Alger et les TA constituèrent toujours un réseau à la fois très urbain et très "européen", souvent même largement copié sur les transports parisiens.
-------La société concessionnaire fut fondée en 1898. Elle était alors une filiale de la Société Thomson-Houston qui, après ses succès dans la construction électrique, souhaitait se diversifier dans l'exploitation, avec l'arrière-pensée de fournir du matériel aux réseaux dont elle détiendrait des parts. Le régime administratif prévoyait une régie intéressée, dont les grandes décisions seraient prises par la ville mais ceci souffrit plusieurs exceptions.
-------Le principe du réseau de base était une très longue ligne parcourant Alger à quelques hectomètres en deçà du Front de mer (lequel était du "domaine" CFRA) pour grimper sur les collines de Mustapha supérieur puis se diviser en deux branches, vers la Colonne Voirol et vers le boulevard Bru.
-------Rapidement, cette ligne fut scindée comme suit
-Hôpital du Dey-Plateau Saulière.
-Opéra-Colonne Voirol.
- Opéra-Boulevard Bru.
-------Malgré le profil sévère atteignant 5,2 %, les petites motrices Thomson de couleur verte tiraient souvent une et même parfois deux remorques "jardinières", avec des fréquences qui atteignaient 4 minutes en heures de pointe. En 1935, le parc de matériel était de 40 motrices et 60 remorques, toutes à deux essieux et plates-formes ouvertes. Mais l'urbanisation des collines se développant, ces trois lignes apparurent insuffisantes en débit et trop limitées géographiquement. De plus, Alger n'a,sauf en Front de mer, que des rues de faible largeur de sorte que les artères construites vers 1890 étaient déjà saturées en 1914.
-------En 1925, une convention nouvelle avec la ville prévoyait le financement d'extensions éventuelles. Puis, en 1928 cette dernière, en liaison avec le Conseil Général, préconisa la mise en souterrain d'un grand axe parallèle à la mer, avec des ramifications d'une part vers le domaine TA (Colonne Voirol), d'autre part vers le domaine CFRA (Le Ruisseau et Maison Carrée). Chiffré à 600 millions de francs, ce projet dépassait largement la puissance financière des autorités de tutelle. Cependant, à cette époque, la Sté des TA fit, sur ses deniers propres, l'acquisition d'un vaste domaine qui avait appartenu au célèbre général YUSUF afin d'y édifier un grand dépôt moderne pouvant remplacer les modestes remises antérieures de Mustapha supérieur (Rue Ampère et Boulevard Beauprêtre). Le dépôt de YUSUF fut l'un des rares au monde à s'étendre sur deux niveaux : tramways en bas et bus en haut.
-------La circulation ne faisant qu'empirer, en 1933, un nouveau projet de métro fut élaboré, ne dépassant pas 220 millions grâce à de nombreux tronçons à l'air libre. Mais la crise étant passée par là, ce modeste programme ne put pas mieux être financé que le précédent. Déçue, la ville d'Alger, sur les conseils de la Société des TA, admit que l'on pourrait se contenter d'enterrer à faible profondeur la ligne TA entre l'Opéra et Yusuf, ce qui limiterait le devis à 75 millions. Mais il faudrait auparavant remplacer les tramways d'origine, dont la puissance, la vitesse et le confort étaient insuffisants.
-------Immédiatement, en décembre 1934, un prototype de motrice moderne fut essayé entre l'Hôpital du Dey et Yusuf. Il s'agissait d'un engin révolutionnaire composé en fait de deux motrices extrêmes, à deux essieux chacune, reliées par une partie centrale suspendue par pivots aux précédentes. De la sorte on obtenait un véhicule de près de 20 m pouvant admettre jusqu'à 150 personnes avec un poids de 21,5 t seulement. Pour réduire le gabarit du futur tunnel, la largeur du nouveau matériel était limitée à 2 m, mais la vitesse normale était prévue à 40 km/h, grâce à une puissance de 180 ch sur quatre moteurs. Les portes étaient automatiques avec marchepieds relevables. Le plafond était isolé thermiquement, avec aérateurs de toitures. Le frein était électrique, avec achèvement du freinage par air comprimé. Le roulement se faisait par boîtes Isothermos et l'attelage était simplement à barres et manchon, attendu qu'on ne pensait pas avoir besoin d'accoupler ces véhicules de très grande capacité. Enfin, la perche était utilisée pour la prise de courant, avec frotteurs analogues à ceux des trolleybus envisagés en correspondance des tramways. La possibilité d'alimenter le véhicule par frotteur latéral en souterrain restait réservée.
-------Les premiers essais démontrèrent l'excellence du prototype, de sorte que 25 autres véhicules furent commandés très rapidement et livrés au cours de l'année 1937. Ils différaient du prototype par l'isolation du wattman dans une cabine vitrée, par des sièges simples et réversibles, et par l'emploi de double-portes à toutes les ouvertures. C'est la Société SATRAMO qui avait fait l'étude de ce matériel et en avait sous-traité la construction avec la Société Franco-Belge, de Raismes (Nord). Bien entendu, l'équipement électrique était fourni par Alsthom, émanation de l'ancienne Thomson-Houston, actionnaire du réseau. Ces voitures, de couleur crème et vert, étaient servies par 3 agents : un wattman et deux receveurs s'en partageant la longueur. Il est à noter d'ailleurs, qu'aux TA comme dans certains autres réseaux africains, la casquette et le fez distinguaient les employés chrétiens des employés musulmans.
-------Dès 1938, l'ancien matériel fut démoli, sauf une motrice gardée pour le service de la voie.
-------Or, dans le même temps, M. GALLOIS, administrateur délégué des TA, très convaincu de la supériorité de la traction électrique, avait décidé d'expérimenter des trolleybus dont le renouveau s'amorçait déjà à Rouen. Il choisit pour cela le site de la basilique Notre-Dame d'Afrique. Ce lieu de pèlerinage se situait au nord de la ville, sur un piton rocheux difficilement accessible, à plus de 2 km du terminus des tramways de l'Hôpital du Dey. Dans le courant de l'été 1934, un trolleybus fut essayé sur une simple ligne bifilaire installée le long du chemin abrupt de la basilique. Là aussi les résultats furent excellents ; 4 autres trolleybus furent mis en service avant la fin de 1934 et assurèrent un service parfait malgré des rampes de 11,2 % et des courbes de 8 m de rayon.Mais la ligne de Notre-Dame d'Afrique étant très éloignée du dépôt unique des TA à Yusuf, il fallait matin et soir acheminer les trolleybus par les lignes de tramways, avec une perche levée et le retour du courant électrique assuré par une "souris" glissant sur l'un des rails.
-------Les trolleybus CS 35 étaient des véhicules courts (7,25 m), étroits (2,20 m) et légers (6,6T);avec une carrosserie-poutre sans châssis et un moteur de 72 ch. Ils donnèrent entièrement satisfaction pendant 27 ans de service très dur.
-------Or, dés 1925, un autobus Berliet de 25 places avait été lancé par les TA à l'assaut des pentes du quartier escarpé du Telemly. Très lent et asthmatique, il avait été surnommé "le Cafard". Il n'est pas étonnant que le succès des trolleybus de Notre-Dame d'Afrique ait encouragé à remplacer "le Cafard" par des trolleybus. Ce fut l'apparition des Vetra CS 60, plus longs (8,78 m), plus larges (2,35 m) et plus lourds (7,5 t) que les précédents ; ils furent mis en service en 1935, sous une ligne aérienne construite par les Ets. BOMPARD d'Alger. Devant ces brillants résultats, l'électrification maximale du réseau fut vite décidée. Certes des autobus avaient bien été achetés : Somua 35 places puis 40 places en 1929, Panhard 50 places un peu plus tard pour créer des relations Grande Poste/ El Biar ou La Redoute, et Bab El Oued/Beau Fraisier. Mais il était évident que les trolleybus seraient autrement efficaces sur de telles lignes en rampes. Or, en 1935/36 Vetra n'avait encore qu'une capacité productive assez réduite et se trouvait accaparé par les commandes de Rouen, Lyon, Casablanca et Strasbourg. Sans hésiter, les TA se lancèrent alors dans la fabrication intégrale de trolleybus, à partir de châssis d'autobus Somua et de moteurs de tramways récupérés à Rouen et qui n'étaient autres que ceux des motrices L de Paris.
-------La plupart de ces trolleybus "maison" avaient, contrairement aux Vetra, une plateforme arrière ouverte "à la Parisienne". 32 d'entre eux furent construits, ce qui portait le parc à 41, permettant la conversion des lignes de La Redoute, Clos Salembier, puis El Biar.
-------Le bilan de la société s'améliora nettement avec l'arrivée des trolleybus ; aussi 10 trolleybus CS 60 furent-ils encore commandés à Vetra, et livrés en 1937. Cela permit de parachever l'évolution du réseau en convertissant aussi les lignes d'Hydra et du Boulevard Bru. La première fut un rare exemple français où les transports en commun précédèrent l'urbanisation puisque le trolleybus y arriva avant même que le lotissement fut habité, ce qui d'ailleurs permit de vendre les terrains beaucoup plus cher.
-------Parallèlement, la perception fut améliorée par l'introduction des "moulinettes" à la Parisienne, oblitérant des tickets en carnets. Les rares autobus restant au parc des TA furent limités à la desserte de Beau Fraisier et Rampe Vallée. Un essai d'intrusion des autobus dans le domaine CFRA du Front de mer se solda par un échec sans lendemain et une recrudescence de la lutte entre les réseaux.
-------A la déclaration de guerre, le 2 Septembre 1939, il n'est pas exagéré de dire que le réseau TA était le plus moderne du monde. L'âge moyen de ses 80 véhicules s'établissait à moins de 3 ans, alors, par exemple, que le réseau de Lyon accusait une moyenne de 32 et d'autres (Toulon, Douai, Laon, Cherbourg, Bourges etc...) frisait les 40.
-------Il convient d'ajouter que les TA entreprirent aussi en 1936 la construction d'un ascenseur reliant la rue d'Isly au quartier Berthezéne (Bureaux du Gouvernement Général). Il comportait une cabine de 30 personnes et une de 12 et fonctionnait sur le courant des tramways.
-------Un autre ascenseur public existait aussi entre le Boulevard de la République et le Port, et un 3e entre le square Bresson et le Port, mais ils appartenaient à la Chambre de Commerce dont les entrepôts étaient situés en-dessous. Le dernier garda même longtemps un caractère privé.
-------Parmi les particularités des TA, notons aussi que ce réseau ne comportait aucune sous-station électrique, le courant lui étant fourni directement en 620 volts continu par l'Electricité et Gaz d'Algérie.
-------En 1941, on se trouvait avec un réseau TA ainsi constitué
TRAMWAYS
Ligne 1 : Yusuf-Hôpital du Dey (avec beaucoup de services partiels) Parc de Galland-Hôpital du Dey).
TROLLEYBUS:
A : Grande Poste-Hydra
B : Grande Poste-Bd Bru
E : Grande Poste-El Biar
G : Grande Poste-Telemly (ligne circulaire)
H : Hôpital du Dey-N.D.d'Afrique
J . Grande Poste-La Redoute
K : Grande Poste-Clos Salembier
J barré : Champ de Manoeuvre-La Redoute
K barré : Champ de Manoeuvre-Clos Salembier
AUTOBUS:
C : Place du Gouvernement-Rampe Vallée
F : Place du Gouvernement-Beau Fraisier
(Ces deux lignes étaient depuis 1940 réduites à une simple navette commune)

-------Le trafic ne cessait de croître, alimenté par la foule des réfugiés de toutes sortes déferlant sur l'Afrique du Nord, pour peu de temps oasis de paix dans un monde en feu. D'ailleurs, l'essence rationnée obligeait bien à recourir aux transports en commun. Une épidémie de peste (Camus n'a rien inventé) suivie d'une épidémie de typhus obligèrent à désinfecter les véhicules chaque nuit, tandis qu'à la descente des tramways les mères attentives cherchaient sur le crâne de leurs rejetons les angoissants "poux rouges" porteurs de maladie.

-------Le 8 Novembre 1942, le débarquement allié ne fit guère de dégâts mais les bombardements allemands causeront en 1943 de terribles carnages en ville et sur le port. Le ravitaillement ne s'améliorait guère et, pour acheminer sur les marchés quelques légumes des banlieues, les TA transformèrent deux autobus Somua en trolleybus à marchandises équipés de ridelles. Ils déversaient chaque matin leurs précieux chargements de carottes, courgettes et patates douces et ont ainsi sauvé bien des familles de la famine.
-------Il faut noter, pour l'anecdote, un accident apparemment unique au monde un conducteur dépressif lança son trolleybus du haut du petit viaduc entre Hydra et la Colonne Voirol et réussit ainsi le premier suicide par trolleybus. Heureusement, il choisit un moment où il n'y avait pas de voyageurs, mais son receveur fut grièvement blessé.
-------La fin de la guerre permit de créer dès 1947 une nouvelle ligne de trolleybus intitulée
I : Grande Poste-Birmandreis, grâce à 5 nouveaux véhicules de type Vetra-Berliet VDB. Ils furent suivis en 1949 de 10 Vetra-Renault VCR.
-------Dans le même temps, les encombrements urbains reprirent de plus belle. De 1946 à 1950, une réorganisation des services fut essayée, en vue de réduire le nombre de trolleybus atteignant la Grande Poste. La ligne de tramways fut scindée en deux
Ligne 1 : pour les services partiels Parc de Galland-Bd de Provence (Bab-el-Oued).
Ligne 3 : pour les services complets Yusuf-Hôpital du Dey.
-------De plus, les voies non déposées au dessus du Parc de Galland furent remises en service sur plusieurs centaines de mètres pour atteindre le Bd Galliéni, permettant de créer une ligne 2 : Grande Poste-Bd Galliéni, qui devait donner correspondance en ce point avec les lignes de trolleybus A, B,.E,.vers la banlieue.
-------Mais ce système qui obligeait à des correspondances moins commodes qu'avant, fut mal accueilli et la Ligne 2 disparut.
-------On reparla un peu, sans plus de succès, d'une mise en souterrain des tramways (voir :" 30 ans de grands projets") , mais déjà certains préconisaient leur suppression pour résoudre par enchantement les problèmes de circulation. Pour faire un essai, 9 trolleybus VA 3 de 12 m furent acquis en 1950 et mis en service sur la ligne de tramway, intercalés entre les rames articulées. Puis, en 1951, un trolleybus articulé de 18,60 m fut acheté, sans qu'on comprenne bien en quoi il encombrait moins qu'un tramway réversible de 19,80 m. Mais ce trolleybus joua vite de malchance car son arrière-train mal coordonné avec les roues avant montait sur les trottoirs.

-------Le bouquet fut atteint lorsque, en 1956, il faucha une partie du précieux mobilier du général SALAN, en cours de déménagement pour cause de nomination au commandement en chef. Cela valut à ce prototype d'être envoyé aussitôt à la ferraille.(Voir dans l'encadré la mise au point par Christian Ripoll qui corrige cette allégation )

Le trolleybus articulé VETRA VA4, n°101 par Christian Ripoll

En 1950, VETRA, qui construisait une série de trolleybus du type VA3 (12 m de long, 3 essieux) pour les TA, proposa un VA4, véhicule articulé à 4 essieux, 18 m de long, d'une capacité de 180 places. La partie articulée était une semi remorque sur un essieu équipé d'un système directeur (un brevet italien) destiné en principe à faciliter sa conduite. Le véhicule a été essayé sur une ligne parisienne (à l'époque, il y avait des trolley à Paris), et sur une ligne lyonnaise. Puis il a été mis en service avec le numéro 101 sur la ligne de tram entre le Bd de Provence et le dépôt Yusuf, avec le projet de remplacer les trams avec ce type de véhicule.

Mais ce gros trolleybus présentait des défauts graves : une conduite délicate en raison d'un comportement difficilement maîtrisable du 4 éme essieu directeur ; son gabarit qui rendait périlleux les croisements dans les rue étroites de Bab Azoun et Bab el Oued ; l'instabilité de la semi remorque en route ; les installations de maintenance inadaptées à sa longueur.

Devant ce constat d'échec, les TA décident en 1953 de l'amputer de la semi remorque et d'en faire un VA3 similaire aux autres. Il est remis en service en 1954 sous le numéro 90.

Cette transformation a été décidée par les responsables des TA pour des raisons d'exploitation. Elle a été réalisée en 1953/54. Elle n'a rien à voir avec le mobilier du général Salan qui prend son poste à Alger en 1956 !!

voir aussi Les derniers trams d'Alger Texte et documents : Christian Ripoll

------Une liaison entre les plateaux de Mustapha supérieur et Belcourt (en plein domaine CFRA) se révélait de plus en plus indispensable pour éviter aux usagers d'aller encombrer inutilement le centre de la ville. Mais le profil d'une telle relation est très sévère. Un funiculaire avait été envisagé, mais en 1956, les TA construisirent un téléférique Belcourt-Clos Salambier, dont l'équipement fut confié à la Sté Applevage. Un téléférique aussi purement urbain était une première mondiale.

-------A l'horizon des Aurès, les nuages tragiques s'amoncelaient. L'insécurité devenait omniprésente en Algérie, surtout à partir de 1956. Des grenades ayant été lancées dans des tramways au passage des rues étroites de Bab El Oued, il fut décidé de munir tramways et trolleybus de grillages protégeant les fenêtres. Ces superbes véhicules prirent des airs de fourgons cellulaires ! Nuit et jour il fallut garder les dépôts pour prévenir des attentats sur le matériel. L'officier préposé au dépôt de Yusuf n'était autre que le lieutenant LE PEN qui s'illustrera plus tard en politique.

-------En 1958, le Général de GAULLE décréta que le "Plan de Constantine" devrait permettre - avec bien du retard - d'industrialiser l'Algérie et d'en assainir l'économie. Entre autres, une usine Berliet fut construite à Rouiba pour produire des camions et des autobus, que le nouveau pétrole saharien devait approvisionner. Hélas, le tohu-bohu politico-militaire de cette époque était peu propice à l'économie et à l'industrie ; à part les besoins militaires, l'usine de Rouiba avait peu de commandes en carnet. Alors que flottait déjà dans l'air la suppression des tramways, il était tentant de la rendre effective pour trouver un débouché à l'usine Berliet et au pétrole saharien.

haut de page
LA RSTA


-------Le 1er Janvier 1959, les réseaux TA et CFRA furent enfin réunis au sein d'une régie syndicale des transports algérois (RSTA), dont les mandants étaient à la fois le département et les communes concernées. Cette régie adopta pour son matériel les couleurs crème et bleu clair déjà expérimentées sur les CFRA. Cette fusion, qui aurait été très bénéfique si elle avait été opérée 20 ans plus tôt, n'eut guère de conséquence en cette époque où plus personne ne se préoccupait du sort des transports en commun.
-------A la tête de la RSTA fut nommé M. CARON, dont la doctrine était de liquider au plus vite le réseau de tramways et de trolleybus. L'occasion lui en fut donnée les 24 et 25 Janvier 1960. Ces jours, connus sous le nom de "Journées des Barricades", virent Alger s'embraser en une guerre civile sans merci. Des barricades de pavés avaient été dressées en travers des principales rues de la ville. A l'issue de ces graves échauffourées, les dégâts aux voies et aux lignes aériennes se révélèrent importants. Plus jamais les tramways ne ressortirent du dépôt de Yusuf

Christian Ripoll : « En réalité, les lignes électriques n'ont jamais subi de dégâts si graves qu'un trafic de tramways ou de trolleybus puisse être définitivement interrompu !!

Le vrai motif de la suppression des tramways est tout autre :

Avec la mise en oeuvre le 19 mars 1959 d'un plan de circulation mettant les artères principales de la ville en sens uniques, rue Michelet en sens descendant, Bd Saint Saens en sens montant, les trams, dont on ne pouvait raisonnablement pas déplacer les voies, ont circulé une fois sur deux en sens interdit, dégradant encore un peu plus la circulation automobile. Certains n'hésitaient pas à accuser la RSTA de sabotage du plan de circulation. Les trams étaient condamnés. Ils ont été retirés du service en 3 temps :
---------1) Création le 14 août 1959 de la ligne d'autobus " T ", à titre expérimental, suivant un itinéraire respectant les sens uniques tracé au plus prés de l'itinéraire des trams. Cette ligne remplaçait les trams les week end et jours fériés.
---------2) Suppression, à compter du 3 septembre 1959, de la ligne de tram n°1, Parc de Galland - Bd de Provence, remplacée par la ligne autobus T. La ligne 3 est maintenue en service.
---------3) Suppression, à compter du 12 septembre 1959, de la ligne de tram n°3, remplacée par la ligne T. Avec cette suppression, la dernière ligne de tram de la ville disparaissait.

Cette suppression, décidée par la direction de la RSTA, n'a rien à voir avec les évènements de janvier 1960.

Donc, depuis le 12 septembre 1959, plus aucun tramway n'a circulé dans Alger.

Il faut souligner qu'à cette époque, le tramway était l'ennemi de l'automobile. C'était partout la course à la destruction des réseaux. Aujourd'hui, c'est le contraire, c'est la course à la construction de réseaux ! Nous attendons maintenant la résurrection du tram d'Alger dans un avenir tout proche. Peut être même est ce déjà une réalité.

et, peu après, des autobus Berliet de types PCR, PBR, puis PLR et PH prirent la relève du réseau ferré. Cela n'était certes pas une économie, puisque pour remplacer les 26 motrices articulées, il ne fallut pas moins de 60 autobus.
-------En outre le pétrole saharien, sur lequel on avait fondé tant d'espoirs, s'avérait beaucoup trop riche en paraffine et nécessitait des installations de raffinage complexes, à cette époque inexistantes en Algérie. De dérisoires appareils à filtrer le pétrole tentèrent sans succès de poursuivre l'expérience, mais très vite on préféra faire venir le pétrole d'Arabie- ce qui était tout de même le comble - !

De 1962 à ...

-------Les trolleybus disparurent dans la foulée, au cours des années 1962 à 1964 sauf la ligne de N-D. d'Afrique dont les autobus ne pouvaient pas monter les rudes déclivités (elle a été fermée en 1975, remplacée par un téléphérique de St Eugène à ND d'Afrique). Les véhicules de 1934 qui y roulaient toujours furent, en 1961, remplacés par 5 trolleybus Berliet VBH.
-------Le 3 Juillet 1962, l'indépendance de l'Algérie fut reconnue par le Général de GAULLE devenu Président de la République depuis 1959.
-------Le réseau de transports en commun, si beau quelques années auparavant, était dans un état lamentable. Tout le personnel européen avait fui précipitamment, en sorte que la RSTA n'était plus dirigée que par un agent de maîtrise. Un service réduit fut néanmoins rapidement élaboré. On envisagea un instant de remettre les tramways en service, mais les lignes aériennes en cuivre étaient introuvables( la vraie raison est que les voies avaient été enlevées par endroits) . La revente des motrices s'avéra aussi impossible en raison de leur bizarre écartement de 1,055 m, et il fallut se résoudre à les démolir pour faire de la place.
-------Petit à petit, la RSTA se réorganisa, embaucha de nouveaux cadres et la vie put reprendre dans l'agglomération. Les autobus, déjà bien insuffisants à l'époque antérieure, devenaient de plus en plus surchargés avec l'afflux à Alger de nombreuses populations rurales appauvries par la guerre et séduites par le mirage urbain.
-------Le gouvernement algérien détermina rapidement les priorités qu'il entendait respecter d'abord l'Education Nationale pour former les cadres manquants, ensuite la Santé, qui laissait beaucoup à désirer, et enfin l'Agriculture pour assurer la subsistance de la population sans recourir à de coûteuses importations.
-------Les Transports furent placés tout à fait en queue de liste priorités. Avec un matériel inadapté et insuffisant, la RSTA devait faire face à un afflux de nouveaux Algérois qui atteignit jusqu'à 50 000 par an. Nul doute que le coefficient de surcharge ait, dans les années 70, atteint des valeurs stupéfiantes.
-------Pourtant, la situation s'est améliorée progressivement. Des autobus ont été achetés un peu partout : Deutz, Van Hool, Renault, etc... De nouvelles lignes ont été créées surtout dans la banlieue proche de El Harrach (Maison Carrée)et autour de Birkadhem, Baraki et Dely Ibrahim. La longueur du réseau a atteint 950 km, avec 113 lignes d'autobus (mais les services partiels utilisent généralement un numéro différent des services de bout en bout). Le téléférique de Belcourt-Clos Salambier (devenu Sidi M'Hamed-Diar E1 Mahçoul), qui avait beaucoup souffert de la guerre, a été entièrement rénové en 1983 par la société française Poma et son trafic atteint le chiffre énorme de 2 400 000 voyageurs par an.Un autre téléférique a été construit pour remplacer les trolleybus de N-D. d'Afrique, qui avaient expiré définitivement en 1975, il joint Bologhine à N-D. d'Afrique, en correspondance avec les autobus de Raïs Hamidou qui passent près de la gare basse.
-------Deux ascenseurs fonctionnent encore : celui de l'ancien Gouvernement Général, dit "Tancrède", et un autre sur le port dit "Port-Saïd". Un escalier mécanique permet aussi d'accéder au Boulevard Mohamed V.
-------Enfin, vers 1984, commençant à émerger des préoccupations les plus immédiates, les Algériens ont pu penser à l'avenir, même si l'Etat se désengage largement des transports urbains. Et le fameux projet de métro revint à l'esprit, d'autant plus que le trafic avait triplé sur certains axes.
------La Sofretu, appelée en consultation, procéda à des forages et mit au point un projet de métro extrêmement complet et performant, mais tout de même un peu cher pour ce pays encore convalescent.

Une "Entreprise du Métro d'Alger" (EMA) fut constituée, qui aménagea ce projet pour en faire une ligne d'Oued Koriche (près de l'ancien Beau Fraisier) à Dar El Beida, et au Gué de Constantine, donc par rapport à Alger : Ouest-Centre-Sud-Est. C'est à Dar El Beïda, déjà lieu de l'aéroport international d'Alger que sera construite la nouvelle gare ferroviaire évitant aux trains de voyageurs de pénétrer en ville. Le métro utilisera donc largement l'ancienne ligne de chemin de fer entre Alger et El Harrach, qui d'ailleurs restera ouverte aux convois de frêt atteignant le port. On prévoit 21 stations dont 10 souterraines, des rames de 6 voitures à la fréquence de 5 minutes, pour un trafic annuel de 322 millions de voyageurs. Bien entendu, une refonte du réseau de bus s'en suivra. Il semble cependant qu'une certaine discorde règne entre l'EMA - conceptrice du métro et la RSTA - exploitante du réseau, ceci bien dans la tradition de toutes les villes où ces deux tâches sont dissociées. La RSTA affecte de largement ignorer le métro et l'EMA méprise un peu les autobus. Pour ne pas être en reste de projet, la RSTA vient de lancer à son tour "son" projet d'avenir avec reconstruction de lignes de trolleybus sur les hauteurs, création de 5 nouveaux téléphériques et surtout construction d'une longue ligne de tramways suburbains d'Alger à Zeralda (29 km). Celle-ci reconstituerait, après 60 ans d'interruption, la magnifique ligne CFRA de Castiglione. Une telle émulation entre EMA et RSTA entre métro et trolleybus/tramways, n'est sans doute pas négative. Alger pourrait peut-être bien retrouver un jour le titre de réseau le plus moderne du monde.

Jean ARRIVETZ
avec l'aimable autorisation de "Chemin de fer régionaux et urbains".
haut de page